Chiffres et faciès

24.09.10 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur

Il y a rue du Temple à Paris, un piège à provinciaux. Lorsqu'on vient de la rue de Réaumur et que l'on tourne à gauche dans la rue du Temple, le couloir de bus, qui était à gauche, passe subtilement à droite après le croisement en doublant presque de largeur. Il est très facile de se faire piéger dans ce couloir. La préfecture de police étant consciente de la chose, la police de la circulation veille. Cela permet de dresser des procès-verbaux à peu de frais et fait des économies sur les semelles des chaussures des pervenches. Tout le monde est content.

Hier soir, une voiture en état correct, immatriculée en Loire inférieure, pardon atlantique, a été arrêtée par les forces de l'ordre pour le simple motif d'avoir empiété sur ce fameux couloir de bus. Il faut dire à sa décharge que c'était rouler à cheval sur ce couloir de bus ou avoir un accident, les automobilistes connaissant le coin étant passés à la gauche de cette voiture et empêchant qu'elle se rabatte dans sa voie normale de circulation.

Cela n'a pas raté, les pandores qui pourtant avaient vu comme moi la scène n'ont pas arrêté ceux qui ont contraint ce véhicule à se retrouver dans le couloir de bus mais seulement cette voiture qui, pour être exact, n'était pas vraiment responsable de la situation.

L'automobiliste en question s'est arrêté, a reconnu les faits. Pas un mot plus haut que l'autre de la part du conducteur qui pourtant aurait eu de quoi râler. Peut-être parce qu'il avait le défaut d'être un peu bronzé tout en étant propre sur lui. Il faisait d'ailleurs plutôt cadre supérieur que loubard de banlieue même nantaise. Et là, de la part des forces de l'ordre, ça a dérapé, mais jamais le ton de l'automobiliste n'est monté. J'ai admiré le sang froid de cette personne en prise à trois fonctionnaires de la préfecture de police. Tout ce qui pouvait lui être reproché a été reproché :

  • le gilet jaune de Karl Lagerfeld était dans la malle et non dans le véhicule lui-même ;
  • la boîte d'ampoules qui n'était pas complète. À ma connaissance, ce qui est verbalisable n'est pas de ne pas avoir une boîte d'ampoules à disposition, mais de circuler avec une ampoule cassée sans avoir de quoi la remplacer. C'est tout de même légèrement différent ;
  • la plaque d'immatriculation à l'avant qui était légèrement tordue mais parfaitement lisible. En tout cas, cette plaque d'immatriculation était en bien meilleur état que la plaque arrière de la voiture de la préfecture de police stationnée dans le fameux couloir de bus ;
  • le triangle qui était un modèle ancien un poil plus grand que le triangle homologué.

Lorsque je suis parti, ils en étaient à vérifier l'état du moteur et celui de la roue de secours, capot ouvert. Ils n'avaient sans doute rien pu dire sur l'état des pneumatiques qui semblaient assez neufs.

Je n'ai rien a priori contre les forces de l'ordre, encore que depuis quelques années, je traverse scrupuleusement entre les clous pour surtout éviter de leur parler. Je trouve parfaitement normal qu'ils arrêtent des contrevenants. En revanche, je trouve inadmissible leur façon de ne pas regarder plus loin que le bout de leur nez. Dans ce cas, le responsable n'était pas ce nantais puisque la seule chose objective qu'on pouvait lui reprocher était de ne pas savoir que ce couloir de bus delanoësque passait d'un côté de la rue à l'autre après un virage à angle droit. Le véritable responsable était le flot de véhicules qui l'a coincé dans ce couloir. Je trouve aussi parfaitement anormal que les forces de l'ordre commencent à ergoter sur l'état d'un véhicule extérieurement entretenu, la boîte d'ampoules, la pression dans la roue de secours et le fameux gilet jaune lorsqu'on reproche à son conducteur d'avoir mis une roue dans un couloir de bus.

Je n'ai pas assisté à la fin de la scène qui n'a duré que quelques minutes et je regrette de n'avoir pas eu sous la main une caméra pour la filmer. En moins de cinq minutes, ce pauvre automobiliste a reçu plusieurs papillons verts dont tous étaient discutables. Il n'en a contesté aucun parce que ce n'était pas le moment et que vu son faciès, il valait mieux ne pas en rajouter une couche.

Et les forces de l'ordre se demandent encore pourquoi leur métier est de plus en plus difficile, pourquoi de moins en moins de personnes apprécient la police nationale.

La police nationale, c'est avant tout un service aux concitoyens. La répression est naturelle, il en faut, mais il faut qu'elle soit intelligente et non destinée essentiellement à satisfaire les statistiques.

 

Bernard-Henri et Sakineh

23.09.10 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Haines ordinaires

Bernard-Henri a encore frappé. À l'instar des reportages photographiques de guerres qu'il faisait, caché derrière un bloc de béton pour éviter des balles qui ne sifflaient plus depuis longtemps, le voilà qui s'attaque à un problème sans vraiment avoir pris ses renseignements. Je ne résiste pas à l'envie de vous faire profiter de sa prose d'un style incomparable.

« Pourquoi la lapidation  ? N’y a-t-il pas, en Iran, d’autres manières de donner la mort  ? Parce que c’est la plus abominable de toutes. Parce que cet attentat contre le visage, ce pilonnage de pierres sur un visage innocent et nu, ce raffinement de cruauté qui va jusqu’à codifier la taille des cailloux pour s’assurer que la victime souffre longtemps, sont un concentré rare d’inhumanité et de barbarie. Et parce qu’il y a, dans cette façon de détruire un visage, de faire exploser sa chair et de la réduire en un magma sanglant, parce qu’il y a dans ce geste de bombarder une face jusqu’à ce que bouillie s’ensuive, quelque chose de plus qu’une mise à mort. La lapidation n’est pas une peine de mort. La lapidation est plus qu’une peine de mort. La lapidation, c’est la liquidation d’une chair à qui l’on fait procès, en quelque sorte rétroactif, d’avoir été cette chair, juste cette chair  : la chair d’une jeune et belle femme, peut-être aimante, peut-être aimée, et ayant peut-être joui de ce bonheur d’être aimée et d’aimer. »

Déjà ne figure dans cet extrait aucune condamnation de la peine de mort, ce qui est bizarre pour une grand humaniste comme lui. Enfin, c'est lui qui le prétend… Je veux bien que la méthode joue, mais le résultat est le même.

Il y a plusieurs choses à dire à cet apprenti Albert Londres qui ne s'est pas contenté de cet écrit. En effet, invité à la conférence annuelle des ambassadeurs de France et, pour paraphraser Nicolas Sarkozy qui appellait toutes les femmes battues du monde entier à rejoindre la France, il a trouvé le moyen de dire au cours de son allocution qu'il plaçait la condamnée « sous la responsabilité de la France ». Rien que ça. Heureusement que sa parole n'engage que lui.

Présentés de cette manière, les faits ne peuvent que scandaliser l'opinion qui juge, qu'elle en soit consciente ou non, ces faits à l'aune de sa culture judéo-chrétienne.

Avant d'écrire ce genre de choses, il faut pour rester sérieux se renseigner un minimum sur ce qui est reproché à la femme en question, sur sa condamnation et surtout sur les procédures juridiques de la république islamique d'Iran. En effet, le droit applicable en république ismalique d'Iran peut être qualifié de tout sauf d'arbitraire, au moins lorsqu'on parle d'autre chose que de crime contre l'état. Il ne s'agit pas ici de prendre position pour ou contre le régime politique de ce pays, mais de relater des faits. Tous les spécialistes du droit constitutionnel et des procédures pénales vous diront la même chose, pour peu qu'ils ne soient pas aveuglés par la propagande.

La révolution islamique s'est avant tout préoccupée de mettre fin à l'arbitraire — c'est entre autre chose pour cela qu'elle a réussi — et l'un des moyens pour arriver à cette fin était d'instaurer un état de droit le plus rigoureux possible. Les procédures judiciaires sont complexes et les recours nombreux. Ainsi, ce système prévoit de longue date pour les crimes passibles des assises une possibilité d'appel. En tout état de cause et même s'il n'y a pas d'appel, la cour de cassation est automatiquement saisie pour vérifier la légalité de la procédure. En d'autres termes, ce système offre des garanties bien supérieures à celles que peut donner les juridictions françaises et nous n'avons aucune légitimité pour intervenir dans le débat. Il n'y a pas si longtemps que cela, il était impossible dans notre beau pays de faire appel d'un jugement d'assises.

Vous me direz que le juge français est laïc et que le juge iranien est guidé par sa foi toujours renouvelée en Dieu et dans le retour attendu du 12e imam, et qu'il vaut mieux être jugé par un magistrat laïc que par un fou de Dieu. Pas si sûr. Si en Iran, il n'existe pas le principe de grâce présidentielle mais, en vertu de la miséricorde islamique, le pardon des victimes ou de la famille suffit à annuler l'exécution des peines capitales.

Dans la pratique, les exécutions capitables concernent surtout les terroristes, les assassins d'enfants et les trafiquants de drogue. Il se glisse parfois dans cette liste des déviants à la morale islamique que sont des invertis notoires, des voleurs multirécidivistes, des opposants ou des espions et quelques femmes infidèles ou battues ayant trucidé leurs maris. La technique de mise à mort est la pendaison en public, généralement filmée par la télévision d'état, spectacle hautement pédagogique, et très rarement la lapidation qui éprouve trop les nerfs des exécutants. Officiellement, l'Iran a interdit toute condamnation à la peine de mort par lapidation depuis 2002, car la lapidation est un précepte sunnite — basé sur les récits des hadiths —, alors que l'Iran est chiite. Depuis cette date, toutes les lapidations — deux en 2006, six condamnés en attente depuis — ont été ordonnées par des juges locaux. Ces juges ont été tous poursuivis pour non respect des décisions du code pénal iranien.

Rapellons maintenant ce qui est reproché à Sakineh. Contrairement à ce qui a été dit, cette femme n'a pas été jugée pour adultère mais pour meurtre avec préméditation. C'est un peu différent. Ce n'est donc pas tant une victime qu'un bourreau. De toute façon, en Iran, il n'y a que très peu de condamnation pour adultère car la loi demande pour que soit établi le constat d'adultère des conditions qui sont très difficiles à rassembler. En particulier, il faut quatre témoins simultanés et, dans un pays aux mœurs aussi peu corrompues, gageons que ces témoins doivent être soit participants à une partie fine, soit simples témoins d'icelle, ce qui fait mauvais genre.

Cette femme, Sakineh Mohammadi-Ashtiani a été condamné pour assassinat parce qu'elle a drogué son mari et l'a fait tuer durant son sommeil par Issa Tahéri, son amant. Les deux complices ont été condamnés en première et seconde instance à mort.

Bernard-Henri a donc beau jeu de fustiger le régime politique et la justice iranienne en la traitant d'obscurantiste, d'arbitraire ou de scandaleuse. Non seulement il ment éhontément sur les procédures de justice et sur l'application des peines, mais il soutient une complice d'assassinat. Cela commence à faire beaucoup. Quelles sont ses motivations profondes ? Faut-il absolument qu'il utilise un fait divers tragique pour condamner publiquement le régime iranien parce que celui-ci est en train de construire une bombe qui pourra être à terme dangereuse pour Israël ? Si c'est vraiment cela, c'est d'autant plus pathétique que ce n'est pas BHL ni l'oppinion publique manipulée qui arrêtera Mahmoud Ahmadinejad.

 

Lettres classiques

22.09.10 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Mauvais esprit, Vieux con, Haines ordinaires

Je ne sais pas si vous avez suivi le feuilleton de la réforme du CAPES de lettre classiques. La stratégie visant à éradiquer de l'école publique la plaie que sont le latin et le grec entre en sa phase terminale puisque la disparition du CAPES de lettres classiques, principal fournisseur de professeurs de latin et de grec dans les lycées de France, est d'ores et déjà programmée.

Il y aura, dès le mois de novembre 2010, un CAPES de lettres classiques flambant neuf et ne contenant plus ni latin ni grec. Tout au plus pourront être demandées aux candidats des bribes de versions ou de thèmes comme sont demandées des traductions aux futurs professeurs de lettres modernes qui traduisent parfois un peu d'anglais. Plus d'explication des auteurs classiques, place à l'épreuve reine qu'est le commentaire d'une page quelconque du manuel scolaire tant qu'il en restera un.

Grâce à la suppression de ces épreuves, le jury du CAPES ne peut même plus juger de la qualité d'un candidat dans la discipline qu'il s'apprête à enseigner. On se demanderait même à quoi sert encore ce concours.

La commission de réforme des concours s'est réunie. Le nouveau concours a été avalisé par le ministre de tutelle. Personne n'est descendu dans les rues pour manifester contre cette réforme pour le moins bizarre. Remarquez, c'est plutôt normal et si on supprimait les mathématiques du CAPES de mathématiques, il ne se trouverait pas non plus un lycéen pour défiler dans les rues. Il est tellement plus gratifiant de manifester contre le report de l'âge de la retraite ou la vignette moto, voire la simple idée de remettre une année de propédeutique avec un examen d'entrée à l'université ! Dans ces conditions, voir ne serait-ce qu'un seul lycéen dans la rue pour défendre Homère, Eschyle, Virgile ou Horace relève de l'impossible.

Depuis trente ans, des hommes de progrès luttent contre ces fléaux de l'élitisme, du conservatisme et de l'inutilité que seraient le latin et le grec. Le latin et le grec ne sont peut être pas nécessaires à la bonne compréhension du français mais mine de rien, ils y contribuent largement. Depuis que nous avons à la tête de l'état des hommes politiques fiers de leur inculture, le phénomène ne s'est pas arrangé. Ce problème n'est malheureusement pas limité aux langues anciennes. Souvenez-vous de la polémique autour de la Princesse de Clèves. Le petit Nicolas avait cru amusant de déclarer, j'ouvre les guillemets avec des pincettes :

« Dans la fonction publique, il faut en finir avec la pression des concours et des examens. L'autre jour, je m'amusais, on s'amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de La Princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle ! En tout cas, je l’ai lu il y a tellement longtemps qu’il y a de fortes chances que j’aie raté l’examen ! »

Si seulement lors de son investiture, il y avait eu un examen où on lui avait demandé de parler de cet ouvrage. Nous aurions évité le petit nerveux d'une inculture crasse et assumée. Enfin, au moins, il nous apprend qu'un jour, il a su lire. Remarquez, on avait le choix entre deux incultes, d'un côté le petit Nicolas, de l'autre, Marie-Ségolène, et entre nous, c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Il n'y en a pas un pour racheter l'autre. On doit avoir les hommes politiques que l'on mérite et force est de constater que nous ne devons pas être trop méritants.

Pourtant, au début des années 70, souvenez-vous, on pouvait entendre un président de la république déclamer du Paul Éluard à la fin d'une conférence de presse. Vous me direz que Georges Pompidou était un homme de lettres et vous aurez raison. Il me semble de le petit Nicolas, en tant qu'avocat, devrait aussi en être un.




Aujourd'hui, au plus haut de l'état se trouvent des hommes qui sont fiers de ne plus avoir aucune espèce de culture. Il n'est pas question que de la Princesse de Clèves, mais de toute forme de culture. En vertu du principe de Peter et de celui du piston qui ne fonctionne qu'avec un solide nivellement par le bas, tous les postes à responsabilité sont tenus par des incapables la plupart du temps incultes. Et on s'étonne encore que ces gens continuent à s'attaquer aux derniers bastions de la culture que sont des matières prétendûment inutiles comme le latin et le grec, mais aussi le français, les mathématiques, les sciences…

Écoutez seulement nos élites parler. Écoutez la langue française massacrée par notre président, incapable de faire la moindre concordance de temps, incapable de poser une négation sans bouffer un ne qui n'est pas explétif… Ses tics de langage sont uniquement là pour faire populaire. Comme je ne crois pas au mimétisme, je suis convaincu que cette façon de parler est parfaitement étudiée et est issue d'un travail laborieux. Écoutez son âme damnée, son ministre de l'intérieur. Ces deux-là n'ont pas appris à parler ensemble, d'autant qu'il ne se connaissent que depuis 1976. Mais ils montrent les mêmes tics de langage, les mêmes tournures de phrases, le même accent, le même mépris de la langue.

Nous avons déjà Iznogoud qui travaille assidûment à la création d'une génération de gens parfaitement incultes, munis de diplômes n'ayant plus aucune valeur parce que donnés à tout le monde ou presque. Essayons au moins d'échapper à Izverybad qui se rêve calife à la place du calife et qui ne changera rien à l'affaire.

Au fait, que devient Jean Sarkozy ?

 

Aide inhumanitaire

21.09.10 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Haines ordinaires

Au coin de la place de la République et de la rue du Temple, au pied de l'ancien magasin Tati, se tiennent tous les jours que Dieu fait, et il en fait le bougre, des personnes prêtes à arrêter tous les passants pour leur parler de leurs croyances ou de leurs engagements. Certains jours, on a de la chance, parce qu'il s'agit de gens normaux comme vous et moi, enfin, comme moi, parce que vous, je ne vous connais pas vraiment.co

Donc, disais-je, lorsqu'on a éliminé du pavé humide les adeptes des fsectes de tout poil qui essaient de vendre à l'heure de la messe une version étrange de la bible, les tenants des partis politiques et quelques bipèdes dont on a du mal à imaginer qu'ils aient pu ressembler un jour à un homme, il reste les collecteurs des différentes organisations d'aide humanitaire.

Ce samedi, je me suis fait arrêter par un étudiant en médecine travaillant pour une ONG médicale bien connue. J'ai eu le droit à tout son discours. Je ne sais pas pourquoi, d'habitude, je coupe cours à toute discussion. Ma misanthropie devait être malade. Je l'ai donc laissé débiter son discours appris destiné à faire cracher au passant la monnaie qu'il a dans la poche en le culpabilisant.

Ce brave jeune homme n'imaginait pas qui il avait arrêté ni quel avait été mon passé. Je pense que s'il l'avait su, il se serait adressé à quelqu'un d'autre.

Je l'ai donc écouté. Je l'ai écouté jusqu'au bout, puis je lui ai demandé s'il, lui aussi, avait quelques minutes à me consacrer parce que j'avais moi aussi deux ou trois choses à lui dire, deux ou trois choses que j'avais sur le cœur depuis longtemps et qu'il fallait que je dise. Je lui ai tout de même précisé en préambule que ça risquait d'être rude.

Je dois vous dire que dans une autre vie, j'ai eu l'occasion de faire de l'aide technique en Afrique. J'étais membre d'une ONG s'occupant d'aide technique et combattant par ailleurs l'aide humanitaire trop souvent absurde. J'ai vu débarquer sur le terrain un bon nombre de ces organisations qui, sous couvert d'aide humanitaire, permettent surtout aux occidentaux de se donner bonne conscience en refilant au pays en voie de développement nos excédents. Encore, ce ne serait pas trop grave si ce n'était pas fait indépendamment des besoins réels de ces populations.

J'étais ce qu'il est convenu d'appeler un broussard qui vivait au milieu des gens qu'il essayait d'aider, pas dans les grands hôtels de la capitale. Pour être tout à fait exact, il fallait deux heures de pistes de montagne pour se rendre à la première ville et huit heures pour aller à la capitale. Sachant que le pays en question était miné par une épidémie de méningite, j'étais vacciné. J'étais vacciné contre à peu près tout ce qui est vaccinable, même la rage, parce que si jamais il m'était arrivé quelque chose, j'y serais resté. Personne n'aurait pu m'aider.

Un jour, j'ai vu débarquer devant mon humble logis un véhicule tout-terrain rutilant arborant fièrement les armes d'une ONG médicale bien connue. Personnellement, je me déplaçais à pied ou à cheval. J'avais bien essayé les véhicules, mais ce n'était pas une bonne idée. Les pistes étaient empierrées, mais non damées, et dans ce cas, le bout pointu d'une pierre est toujours orienté vers le haut. Je ne compte plus le nombre de pneus que j'ai pu crever sur ces pistes… Donc, disais-je, un véhicule flambant neuf est arrivé. Il contenait trois médecins et une infirmière qui ont appelé les enfants de l'école voisine pour une campagne de vaccination.

Je me souviendrai toute ma vie de la glacière rouge qui contenait lesdits vaccins. Ces gens venaient de la capitale avec des vaccins, qui sous peine d'être tués, devaient rester à une température inférieure à 4 °C. Après plus de huit heures de routes, la température de la glacière était supérieure à 15 °C, le thermomètre faisant foi. Autant dire qu'ils étaient morts. Mais ce n'était pas le plus grave ! La campagne de vaccination était faite contre la rougeole, la rubéole et les oreillons. Certes, ces maladies sont une cause de mortalité, mais le problème à résoudre était surtout la pandémie de méningite, pas les quelques cas de rougeoles. J'avais la désagréable impression que, soit on écoulait nos vieux stocks de vaccins pour se donner bonne conscience, soit on essayait d'éradiquer ces trois maladies du globe terrestre pour que dans le monde prétendûment développé, elles disparaissent totalement. Dans les deux cas, c'était honteux puisque des sommes démentielles étaient allouées à ces campagnes de vaccination alors qu'il n'y avait aucun crédit pour régler les problèmes urgents, à savoir la pandémie de méningite qui ne risquait pas de toucher les pays développés.

Le pire, c'est que j'ai vu au hasard de mon travail une enfant de quatre ans atteinte de méningite. J'ai réussi à convaincre ses parents d'aller à la clinique tenue par les sœurs, non pour sauver la gamine, mais au moins pour essayer de sauver son frère. La fillette était perdue, mais je n'ai rien dit aux parents. Ceux-ci, après une longue discussion, ont accepté. Je me retrouve donc avec mon chauffeur, les deux parents, un petit garçon qui devait avoir dans les sept ou huit ans et cette fillette de quatre ans sur les genoux. Au bout de deux ou trois kilomètres de cahot, elle est morte sur mes genoux dans un dernier râle.

Je n'ai jamais été aussi mal à l'aise. D'un côté, je ne me voyais pas dire tout de go aux parents que leur fillette était morte puisqu'ils auraient immédiatement fait demi-tour. Je ne me voyais pas non plus le leur cacher. Je pensais gagner du temps pour qu'ils acceptent tout de même de se rendre à la clinique mais ils s'en sont rendus compte. S'ensuivit une discussion animée entre le chauffeur qui leur expliquait dans leur langue qu'il fallait qu'ils se rendent en ville pour sauver leur dernier enfant et eux qui voulaient rentrer pour organiser les funérailles. J'étais totalement vidé, presque extérieur à la scène qui se jouait, pensant à la fois à cette fillette, à la campagne de vaccination contre la rougeole et surtout à un article paru dans le Rotarien qui parlait d'une pandémie de méningite qui avait été jugulée au Brésil grâce à des vaccins qui coûtaient un centime de nos francs et qui avaient le bon goût d'être morts donc aisément transportables.

Je n'ai jamais revu cette famille, je ne sais pas ce qu'est devenu le frère de cette petite fille et je ne me fais aucune illusion sur son sort. Je me souviendrai en revanche toute ma vie des deux parents s'éloignant sur le bord de la piste tenant le garçon par la main et le corps de la fillette dans les bras.

Cette déplorable anecdote n'est qu'un fait parmi tous les griefs que je peux avoir contre toutes les ONG d'aides dites humanitaires. Je passe sur les couvertures et les lits de camp envoyés à des gens qui n'en ont rien à faire parce que personne ne se pose la question de savoir de quoi ces gens ont réellement besoin. Je jette un voile pudique sur les sacs de riz et le lait en poudre envoyés dans des pays où il n'y a pas d'eau à la potabilité suffisante — lorsqu'il y a de l'eau — pour ne pas causer de gros problèmes de santé publique. Je ne veux même pas entendre parler des pompes solaires installées à grands renforts de publicité dans des coins où les gens doivent marcher toute la journée pour trouver quelques litres d'une eau souillée et qui sont mises hors service par les bénéficiaires eux-mêmes (il y a des raisons à ça, j'y reviendrai peut-être), ni des cheminées posées sur les huttes des indiens d'Amazonie pour éviter qu'ils ne s'enfument (l'indien est bête, il préfère vivre dans la fumée). Toute ces actions ne servent qu'à nous donner bonne conscience, à calquer leur mode de vie sur le nôtre, pas à aider ces populations. Si on daignait vraiment les aider, il faudrait investir beaucoup moins d'argent qu'il suffirait d'utiliser correctement. Mais pour cela, il faut vivre avec ces populations et ne pas les regarder avec notre prisme culturel déformant, et d'autant plus déformant qu'on les regarde depuis plus de 10000 km de distance.

Plus de quinze ans après qu'elle a eu lieu, cette scène reste dans ma mémoire comme si je l'avais vécue hier. Depuis, je ne peux plus donner un centime à ces ONG qui quêtent un peu partout. Lorsque je le peux, j'essaie de donner aux associations qui aident les gens qui sont chez nous, à notre porte, ou pour des actions très peu médiatiques qui servent réellement les populations déshéritées. Jamais à ces mastodontes qui utilisent une grande partie des dons pour leur fonctionnement interne et qui font des actions à court terme, contre-productives et surtout totalement inutiles.

 

Faut-il fermer la bourse ?

20.09.10 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Haines ordinaires

J'écoute de temps en temps l'émission de Daniel Mermet intitulée Là-bas si j'y suis. Je n'apprécie pas forcément ses opinions politiques, mais j'aime assez la façon dont ce journaliste fait son métier. Un bon journaliste est tellement rare de nos jours. Il y a longtemps qu'il ne faut plus chercher de tels professionnels dans les rangs de ceux du Monde ou du Figaro.

Vendredi dernier repassait une émission enregistrée au premier semestre 2010. Daniel Mermet s'entretenait avec Frédéric Lordon, un économiste aux idées radicales tout en restant parfaitement cohérentes et intelligentes. Ce monsieur rêve de fermer la bourse. Mais il rêve de la fermer non par idéologie marxiste ou en partant du principe bête qu'elle doit être fermée parce que… parce qu'elle doit l'être, mais après un raisonnement parfaitement logique et argumenté.

Vous pouvez réécouter l'émission du vendredi 17 septembre 2010 directement sur le site officieux de l'émission. Pour ceux qui ont la chance d'utiliser un navigateur internet digne de ce nom, c'est-à-dire conforme au HTML5 donc tout navigateur pas trop ancien sauf l'inénarrable Internet Explorer qui, même dans sa version actuelle, n'est pas fichu de respecter les recommandations, vous pouvez simplement cliquer sur le lien suivant :

Là-bas si j'y suis, 17 septembre 2010

Les thèses ne sont même pas osées. Frédéric Lordon part de simples constatations et en tire des conclusions qui s'imposent d'elles-mêmes. En substance, nous sommes tous responsables de la situation actuelle et du marasme de l'économie. Je n'en dirais pas plus, je vous laisse méditer sur ce reportage.

 

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