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Les tribulations d'un baveux en cour

12.07.17 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur

Je fréquente trop les avocats et les tribunaux pour avoir une quelconque attente de la justice de notre beau pays. Comprenez-moi bien, je ne parle pas ici de problème de financement de la justice, mais de la capacité de ses bras armés à ne pas passer 90% de leur temps à essayer de rattraper ce qu'ils ont raté les dix premiers pourcents de leur temps. Non seulement la justice est bien trop aléatoire pour mériter son nom, mais lorsqu'elle sort de certaines décisions, on ne la reconnaît plus qu'à ses godasses.

Jusqu'à hier matin, pourtant, je considérais encore la profession d'avocat comme étant au-dessus du commun des tribunaux. En effet, je pensais que si un avocat était mauvais, par le simple fait qu'il est un prestataire de justice, il devait se retrouver rapidement sans client. C'est une erreur, certains arrivent à se faire payer l'ensemble d'une procédure en avance et le client est coincé.

Hier matin, donc, je tuais mon temps dans une salle des pas perdus d'un tribunal de commerce quelconque. Je tuais mon temps en attendant d'être appelé pour une audience à huis clos concernant la mise en redressement judiciaire de mon employeur actuel.

Je ne connaissais pas cet avocat. En revanche, je connaissais assez bien le montant de ses factures. Vues ses performances dans les actions passées, j'avoue humblement avoir eu comme un dout quante à ses réelles compétences. J'en avait déjà fait part à mon employeur. Une chose est sûre, l'animal sait parler et se vendre, personnellement, je ne suis pas né de la dernière pluie. J'ai tout de même tiqué lorsqu'il m'a dit qu'il ne fallait pas que l'on s'étonne s'il se mettait à bafouiller, ruse disait-il pour nous donner la parole devant la cour. Le tribunal, selon lui, apprécie souvent. J'ai tiqué un peu plus lorsqu'il s'est mis à me raconter par le menu sa nuit passée en garde à vue, appelé en commis d'office, le droit des affaires n'ayant rien à voir avec le droit pénal.

Durant l'heure et demi à attendre dans cette salle, j'ai pu voir le beau monde de la justice consulaire et commerciale. J'ai même rencontré une vieille connaissance, administrateur judiciaire de son état, démarchant le chaland et les avocats présents comme d'autres font la pute. Rien de plus normal, si ce n'est que les tarifs ne sont pas les mêmes et que les robes de l'un sont plus sobres que les tenues des autres.

Et nous voici appelés. Devant nous, de gauche à droite, un greffier, modèle à talons aiguilles, un juge-commissaire, modèle chenu, un président à talons hauts et ratelier couleur tabac, un autre juge commissaire et, en bout de table, un procureur sur le point de s'endormir.

L'avocat démarre sans même que le tribunal nous ait permis de nous asseoir ou que le président ait pu dire un mot. Effectivement, l'animal bafouille et se fait couper la parole par le président qui lui signale que le dossier est incomplet et qu'il n'y avait par d'urgence à le plaider. Or ce dossier est un dossier papier qui se monte largement avant la première audience et, pour qu'il n'y ait aucune erreur, il est donné avec son mode d'emploi que tout avocat en droit des affaires devrait connaître sur le bout des ongles. Le baveux essaie alors de se raccrocher aux branches en essayant de justifier sa précipitation par le fait qu'il n'y aurait plus d'audiences avant septembre prochain. Il se fait alors couper par le greffier qui lui indique aimablement mais fermement qu'il y a des audiences en vacations extraordinaires toute l'année et que, en tant qu'avocat, il devrait être au courant.

Sur le mur, à gauche, était accrochée relativement haut une horloge. Je la regarde inconsciemment tant le temps me semble long. Elle n'était pas à l'heure, indiquant un peu plus de 9h00 alors qu'il était déjà 10h30 passées. J'ai une certaine habitude des tribunaux, je suis gêné, je ne sais plus où me mettre. Nous ne sommes pas en train de demander une faveur à un tribunal, nous essayons de défendre un dossier quasiment indéfendable. S'y prendre comme cela est une forme de suicide.

Le tribunal était tout de même particulièrement conciliant. Il aurait pu surseoir, se fendre d'une note en délibéré, renvoyer l'affaire. Il a décidé de rendre sa décision sur le siège malgré des pièces manquantes, des trajectoires de trésorerie montrées au tribunal sur un smartphone car ni l'avocat ni le mandataire social de l'entreprise n'avaient une copie du dossier avec eux. Personnellement, je ne me suis jamais rendu dans un prétoire sans avoir au moins une copie de toutes les écritures et des pièces pour remettre le cas échéant au président. Il y aurait eu un trou de souris, je pense que je m'y serais coulé.

Cet avocat a de la chance. Je ne suis pas son client, je ne suis là que pour m'assurer des droits des salariés. Il aurait été mon client, non seulement je le récusais sur place, mais j'en avertissais le bâtonnier. Et faire payer cela plusieurs dizaines de milliers d'euros, c'est juste du vol.

 

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