« Les deux onclesLe pays où le noir est couleur »

Gaymardages

31.05.13 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Je hais les politiciens

Nos hommes politiques sont vraiment impayables. Après les tentatives de faire payer l'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles pour permettre une meilleure mixité sociale (sic) et non pour casser la dernière chose qui fonctionne encore à peu près dans l'éducation nationale, après le mariage pour tous qui était la seule chose nécessaire au redressement de l'économie de notre beau pays, après la refondation de l'école qui n'augure rien de bon, voici que l'opposition rajoute son grain de sable dans la gueule du débat qui n'en avait nullement besoin.

Vous souvenez-vous d'Hervé Gaymard ? Non ? Comme c'est dommage. Lui, en tout cas, se souvient de vous. Hervé Gaymard est un gentil membre de l'UMP, ancien ministre, qui est aussi l'auteur d'un rapport attendu et très documenté sur le prix du livre en général et des livres numériques en particulier. Non seulement il a écrit ou fait écrire ce rapport, mais il a aussi soumis une proposition de loi sur l'exploitation numérique des livres anciens — et donc assez rapidement introuvables au moins à des prix décents — qu'il a agrémentée d'une joli lettre au ministre de la culture Aurélie Filippetti si d'aventure elle n'avait pas tout compris à la première lecture de sa proposition de loi. Il est vrai qu'avec les ministres de la culture, on ne sait jamais. On a tout de même eu Jack Lang et Frédéric Mitterrand. Ça laisse des traces.

Je cite sa prose avec des guillemets que j'ouvre avec des pincettes :

Alors que le développement du marché du livre numérique mobilise l'ensemble des acteurs, soucieux à juste titre d'une répartition équitable des profits, se développe depuis plusieurs années un nouveau marché de l'occasion qui enrichit tous les acteurs à l'exception notable des auteurs et des éditeurs, pourtant les premiers concernés.

Hier marginal et cantonné aux vide-greniers et aux bouquinistes, le marché de l'occasion représente aujourd'hui plus de 42 % des ventes de livres, et ses acteurs, Amazon, Priceminister, la FNAC ou Ebay touchent des commissions sur chaque vente et sont soumis pour partie à la TVA.

Au contraire, ceux qui ont créé et édité les livres vendus ne perçoivent aucun bénéfice de cette exploitation et voient même leur chiffre d'affaires amputé de recettes non négligeables.

À l'heure actuelle, pour les achats de livre sur les sites de la FNAC ou d'Amazon par exemple, l'occasion est systématiquement proposée à côté du produit neuf. Dans le secteur des jeux vidéo, plus de la moitié des jeux sont achetés d'occasion. Or selon qu'un ouvrage est vendu ou revendu, les acteurs de la transaction diffèrent fortement. Ainsi, dans le cas de la vente d'occasion, seuls le libraire, le site, le vendeur et l'État, dans une moindre mesure, touchent un pourcentage. Face au développement de cette vente d'occasion, les créateurs, les auteurs et les éditeurs sont donc fortement pénalisés.

Les premiers sont en effet privés d'une part non négligeable de leurs droits d'auteur et les seconds voient baisser significativement leurs ventes moyennes, rendant leurs coûts de création de plus en plus difficiles à amortir. Si cette pratique n'est pas réglementée en faveur des propriétaires des œuvres, c'est tout le secteur de l'édition qui, à l'instar de l'industrie du disque face au téléchargement illégal, est menacée.

Face à cette situation, l'instauration d'une contribution sur les ventes et les achats d'occasion, à l'image de ce qui se fait déjà pour les prêts en bibliothèque ou pour les œuvres photocopiées, pourrait constituer une solution simple et équitable permettant de sauver la création. Cette contribution, imputable également aux ventes d'occasion de jeu vidéo, permettrait de donner aux éditeurs les moyens de pérenniser l'emploi en France et, ainsi renforcés, de participer à la compétition internationale et au rayonnement de la culture française à l'étranger. Il souhaiterait donc que lui soient précisées les mesures envisagées sur ce sujet par le Gouvernement.

Je vous propose donc une traduction libre pour bien fixer les idées de ceux qui ne comprendraient pas encore la langue fleurie de nos chers politiques dans le texte.

Chère Aurélie,

Tu  sais sans doute que j'ai écrit plusieurs livres qui, s'ils n'ont pas réellement été des échecs cuisants, n'ont pas vraiment été des succès, sans doute parce qu'ils se revendent d'occasoin sous le manteau, me privant ainsi de potentiels revenus confortables. Je ne vois pas d'autres explications tant ils ont été salués par mes copains de parti. Comme je n'ai quasiment rien touché en droits d'auteur, je te demande d'instaurer de toute urgence une contribution obligatoire sur les transactions des livres d'occasion. Sur mes livres, accessoirement sur ceux des autres, cela se verra moins.

Ainsi, chaque auteur disposerait d'une rémunération à chaque fois que l'ouvrage serait vendu. Tu me diras qu'il est impossible de taxer plusieurs fois le même bien pour la même chose, mais après tout, il suffirait d'imaginer que l'achat d'un livre se transforme en genre de location de longue durée.

Par ailleurs, en cassant le marché du livre d'occasion, puis le marché de l'occasion en général — pourquoi en effet ne pas instaurer une taxe sur les objets vendus dans les vide-greniers ? —, j'espère que tu contribueras dans la joie et la bonne humeur à l'appauvrissement culturel des français qui, en ces temps de crise, n'ont pas d'autre choix que de passer par le marché de l'occasion, appauvrissement culturel que tu sais nécessaire et indispensable à ma réélection future.

Gros bisous baveux.

Quelle sera avec de tels raisonnements la prochaine étape ? J'ai trouvé il y a quinze jours dans un marché aux puces une authentique chignole de Peugeot Frères. Pas l'espèce de batteur à œufs fabriqué en Chine à pas cher, non, la vraie, capoté à deux vitesses, avec des pignons en acier dur et certainement fabriquée dans les années cinquante. Dix-neuf cent cinquante, entendons-nous bien. Je l'ai trouvée à 8 €. Si je la revends dans un avenir pas si lointain que cela, devrais-je payer quelques euros à Peugeot Frères ou à ses ayant-droits ? Les futures propriétaires devraient-ils faire de même jusqu'à ce que cette chignole se retrouve au paradis des chignoles ? Si je revends mon appartement, faudrait-il rétribuer l'entreprise qui l'a construit, celle qui l'a rénové ? L'immeuble ayant été construit entre le XVIe et le XIXe siècle, comment calculer les parts qui iront à chacun ? Et surtout quels étaient ces artisans qui ont construit cet immeuble ?

Et si je vends mon cerveau pour me payer les œuvres complètes d'Hervé Gaymard — je parle de vendre mon cerveau car il s'agit de l'organe le moins sollicité par la lecture de ses œuvres —, le transplanté, lorsqu'il voudra s'offrir une bagnole en revendant mon cerveau, devra-t-il me verser une quelconque rétribution ?

Hervé Gaymard est, rappelons-le, élu de la 2e circonscription de Savoie. Je ne sais pas si la raréfaction de l'oxygène en altitude est responsable des divagations contenues dans cette proposition de loi et les rendrait excusables, mais force est de constater qu'il plane avec défense d'atterrir.

 

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