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La neutralité du net

19.12.17 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Pignoufferies de presse

La FCC propose de réduire à néant cette neutralité. Depuis, j'entends les prétendus libéraux de tous poils acclamer cette nouvelle en montrant au monde entier qu'ils ne comprennent rien à cette notion puisque sont mélangés les débits des connexions internet, le fait que dans certains pays l'infrastructure centrale est étatique et le fait que la concurrence mettra de l'ordre là-dedans.

Bien.

Certaines personnes, pour paraphraser Michel Audiard, seraient bien avisées de fermer le claque-merde qui leur sert d'orifice buccal, cela leur éviterait de passer pour des idiots, au moins devant des gens qui savent à peu près de quoi ils parlent. Personnellement, je connais assez bien le cœur du réseau internet puisque j'ai été amené à installer un certains nombre d'équipements qui y avaient trait. Je ne suis donc pas autorisé à en parler. Quand on regarde les choses de trop près, on n'a souvent pas assez de recul pour avoir une vision d'ensemble. Qu'à cela ne tienne, voici tout de même une petite analyse de la situation. Pour certains, je vais enfoncer des portes ouvertes, pour d'autres, je vais essayer d'illuminer un peu leur lanterne. Que les derniers restent dans leur médiocrité crasse et leurs certitudes.

Le réseau internet, c'est un ensemble de serveurs reliés par des liaisons de données sur lesquelles se trouvent quelques aiguillages appelés routeurs. Lorsque vous accédez au réseau par votre fournisseur d'accès internet, vous accédez directement aux serveurs situés sur le propre réseau de votre fournisseur et vous utilisez des liaisons inter-opérateurs pour joindre les serveurs situés sur les réseaux de tiers. Ces liaisons sont les liaisons de peering et ce sont elles qui vous permettent d'accéder à la totalité du réseau internet. Mais ce sont aussi celles qui provoquent des facturations inter-opérateurs donc des histoires de gros sous. Il ne faut pas croire que pour accéder à l'intégralité du réseau il suffit d'une seule liaison de peering puisque ce qui est vrai pour votre fournisseur d'accès l'est encore pour l'opérateur tiers au bout de la liaison de peering. Pour fixer les idées, lorsque je tape sur la machine www.google.fr, je traverse les réseaux de pas moins de quatre opérateurs. La liaison louée que j'ai installée il y a quelques années entre Paris (Orange) et Casablanca (Orange Maroc) passe elle aussi par plusieurs opérateurs qui sont Telia, Comcast et Vodaphone. Si Orange a bien un contrat de peering avec Telia et Orange Maroc avec Vodaphone, mon action sur Comcast en cas de problème sera inutile puisque Comcast ne contracte qu'avec Telia d'une part et Vodaphone (Espagne) de l'autre.

Dans tous ces nœuds de transit prévalait une règle simple. Tous les paquets passant sur l'infrastructure étaient traités de la même manière quelles que soient leur source et leur destination. Par ailleurs, aucun routeur sur le trajet des données n'avaient le droit de modifier le paquet en question (typiquement, les paramètres de QoS ou les étiquettes de service). C'est un peu inexact, je parle naturellement d'internet tel que nous le connaissons dans nos pays. Il existe des pays où cette neutralité n'est pas respectée, par exemple la Chine ou l'Arabie Séoudite qui sont, comme tout le monde le sait (surtout les libéraux), de grands pays de liberté.

Si la recommandation de la FCC est appliquée, tout ceci volera en éclat avec de fâcheuses conséquences. Tout d'abord, les fournisseurs pourront au mépris des accords de peering privilégier leur propre trafic ou limiter la QoS sur des services comme la VoIP pour leurs propres clients. Pourquoi ? Parce que cela leur permettra de garder le même service pour leurs abonnés au mépris des abonnés des tiers qui devront transiter par leur réseau. Les gros oéprateurs seront immédiatement privilégiés au détriment des petits qui auront moins de services hébergés donc de moyen de facturation. Utiliser autre chose que la VoIP de votre opérateur sera aussi beaucoup plus compliqué voire totalement aléatoire puisque que la QoS sera traitée en fonction des destinations. Cela vous fera une belle jambe si vous paquets sont étiquetés temps réel alors que le débit autorisé sur la cible en question est ridicule. Personne ne maîtrisera plus non plus la qualité d'un lien entre deux machines puisque cette qualité dépendra de tiers qui n'auront signé aucun contrat avec les deux fournisseurs d'accès aux deux bouts de la chaîne.

Ainsi, le réseau internet fonctionne à peu près correctement aujourd'hui parce qu'il y a cette notion de neutralité qui impose à tous les mêmes règles du jeu. Si cette notion n'existe plus que risque-t-il de se passer ? Les machines des GAFAM principalement hébergées aux USA donc avec des fournisseurs d'accès étatsuniens pourront se débrouiller pour que les services rament pour tous sauf pour les abonnés à tel ou tel fournisseur, contraignant alors les abonnés à migrer vers ces fournisseurs. Les plus anciens se souviendront avec émotion de l'affaire Free/Youtube. Ce n'était qu'une toute petite violation du principe de neutralité.

En tant que libéral, je m'insurge contre cette mise en coupe réglée du réseau internet au profit des acteurs américains (parce que c'est là le fond du problème) au détriment de nos libertés. Je n'arrive pas à comprendre qu'on puisse se prétendre libéral en étant contre la neutralité du net (d'autant plus que les USA étant tout sauf libéraux et philanthropes, cela devrait allumer un petit voyant d'alarme). J'arrive encore moins à comprendre que les mêmes qui étaient contre les boîtes noires HADOPI et autres joyeusetés ne s'érigent pas contre cette nouvelle mesure d'autant que seule l'absence de la neutralité du net permettra aux états de mettre leurs pattes grasses de velues dans le fonctionnement du réseau. Je ne suis pas naïf, les états le faisaient déjà, mais avec l'abandon du principe de neutralité, ils n'auront même plus à se cacher. D'autant qu'il faudra créer des agences supplémentaires de surveillance du réseau là où la neutralité s'en affranchissait.

Dormez bien, braves gens. Le futur n'est pas radieux. Avec cette mesure, les états vont enfin pouvoir vous dire ce que vous avez le droit de faire et de penser sur le net. C'est pour votre bien. Et pour les finances des GAFAM.

 

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