« 80 km/hIls l'ont dit »

Le suicide économique de la France a quelque chose de fascinant

15.03.18 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Monde de merde, Je hais les politiciens

Un rapport tout ce qu'il y a de plus officiel a été écrit par Nicole Notat. Nicole Notat est, pour ceux qui ne s'en souviendraient pas, une ancienne secrétaire générale de la CFDT. À ce titre, si elle connaît certaines entreprises, ce sont surtout les plus grosses et uniquement du côté des salariés qu'elle se targait de représenter en partie. Jean-Dominique Senard est l'ancien patron de Michelin. Le rapport, quant à lui, s'intitule pompeusement :

L'entreprise, object d'intérêt collectif.

Nicole Notat et Jean-Dominique Senard avec le concours de Jean-Baptiste Bartefy, inspecteur des affaires sociales.

Ce rapport était attendu. En 2014 déjà, souvenez-vous, notre actuel président de la république alors qu'il n'était que ministre de l'économie de François Hollande voulait changer l'objet social de l'entreprise. Le conseil d'état, dans sa grande sagesse, avait retoqué cette proposition, jugeant que cela revenait à multiplier les contraintes et les risques de pénalisation pesant sur les entreprises.

Nicolas Hulot, le tout à fait dispensable ministre d'état des gels douche, avait annoncé la couleur en décembre aux représentants du MEDEF :

Nous allons faire évoluer l’objet social des entreprises, qui ne peut plus être le seul profit, sans considération pour les hommes et les femmes qui travaillent, sans regard sur les désordres environnementaux.

L'idée générale de ce rapport est que l'entreprise doit considérer qu'elle est d'intérêt général. J'avoue avoir toujours eu beaucoup de mal avec la notion d'intérêt général. En effet, l'intérêt général a ceci de pervers qu'il est le principe fondateur de toutes les dictatures, ancienne Union Soviétique en tête. La conséquence même du principe d'intérêt général est la dictature puisque l'intérêt général doit écraser tous les intérêts particuliers quels qu'ils soient et surtout s'ils contreviennent à l'intérêt général. L'intérêt général n'étant que rarement la somme des intérêts particuliers, les défenseurs de l'intérêt général deviennent assez rapidement les juges zélés de ce qui est bien ou mal.

En écrivant cela, j'enfonce des portes ouvertes et je ne prétends surtout pas que l'intérêt particulier est supérieur à l'intérêt général. J'affirme en revanche que l'intérêt général n'est soutenable qu'à partir du moment où l'intérêt particulier est garanti. Pour reprendre l'exemple précédent de l'Union Soviétique, l'intérêt particulier était tellement combattu que plus personne n'avait intérêt à travailler. Contrairement à l'image qu'on peut se faire du pays et pour y avoir passé avant sa chute, ce qui m'a le plus frappé n'était pas les magasins vides mais le fait que pas un soviétique ne pouvait acheter ce qui s'y trouvait. L'Union Soviétique était donc un pays surdéveloppé technologiquement puisqu'on y produisait par an une bombe thermonucléaire — l'intérêt général — et une chaussure de taille 42 — l'intérêt particulier — par habitant.

Ces remarques liminaires sont importantes pour la suite. En effet, dès les toutes premières pages du rapport, l'aspect ubuesque du texte saute aux yeux.

La première recommandation consiste à changer le code civil en ajoutant un second alinéa à son l'article 1833 :

La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.

Or une entreprise n'a pas à considérer autre chose que son intérêt propre. Si elle considère autre chose, ce n'est plus une entreprise privée mais un objet juridique mal identifié d'intérêt général qui ressemblerait assez à une association selon les acceptions de 1901 ou 1908. Nous passerons sous silence les associations de la loi de 1898 qui a été abrogée.

Jusqu'ici, l'article 1833 du code civil est le suivant :

Toute société doit avoir un oblet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés.

Même datant de 1804, le libellé est simple. il exclut tout association frauduleuse et reconnaît la liberté d'association des personnes ainsi que leur droit de propriété sur l'objet de l'association. J'ajouterais que cet article se suffit à l'ui-même puisque l'intérêt commun des associés est avant tout que la société fonctionne, ce qui suppose implicitement que l'affaire en question agisse en bonne intelligence avec les tiers que sont les salariés, les clients, les fournisseurs, l'opinion publique et tous les acteurs que j'oublie.

Mais revenons à l'alinéa que ce rapport propose d'insérer. Il ajoute plusieurs risques puisque l'entreprise pourra être poursuivie pour non respect de l'un ou l'autre de ces deux nouveaux critères alors même qu'ils sont particulièrement flous et pourraient donner lieu à toutes sortes d'interprétations amusantes. L'introduction de cet aliéna est même contraire à la notion de responsabilité limitée qui a eu pour effet de considérablement développer l'esprit d'entreprise en occident. L'accroissement des risques et des contraintes pourrait décourager l'entreprise et aboutir à terme à une régression.

Par ailleurs, si la sauvegarde de l'environnement est une nécessité, l'écologie actuelle n'est qu'une dictature destinée à imposer une fiscalité de plus en plus lourde sur des gens qui polluent certainement le moins. Et cette écologie veut même imposer la définition de ce qu'est une entreprise.

La deuxième recommandation est du même bois :

Confier aux conseils d'administration la formulation d'une raison d'être visant à éclairer l'intérêt propre de la société et de l'entreprise ainsi que la prise en considération de ses enjeux sociaux et environnementaux.

La raison d'être d'une entreprise. Rien que cela. La raison d'être d'une entreprise est le plus bel outil marketing existant. Il permet de raconter de belles histoires, dire que les entreprises vous aiment et vous vendent justement tel ou tel produit parce qu'elles vous aiment et œuvrent sans cesse pour vous. En légalisant la raison d'être, on avalise une escroquerie intellectuelle puisque l'entreprise n'est là que pour avoir une trésorerie positive, donc pour payer ses employés. Accessoirement dégager des bénéfices pour ceux qui ont investi. Naturellement, cette raison d'être serait optionnelle, mais dès lors qu'elle serait définie, l'entreprise deviendrait une entreprise à mission qui aurait dans ce cas l'obligation de se doter d'un comité d'impact destiné à vérifier que cette mission est bien remplie. Un comité de plus.

Utiliser la vieille garde syndicale pour produire en tel rapport pourrait faire penser que les entreprises en sortiraient affaiblies. Rien n'est moins sûr tant les concepts du rapport sont flous. Mais il pourrait sortir de ce rapport totalement inutile quelques nouveautés particulièrement dangereuses comme cette raison d'être qui est bien plus perverse que ce qu'elle paraît au premier abord.

Il faudrait surtout que notre classe politique comprenne une fois pour toute qu'une entreprise ne peut poursuivre son intérêt propre que jusqu'au moment où cet intérêt propre devient contraire à l'intérêt général. En d'autres termes, une entreprise qui bafoue continuellement l'intérêt général ne peut perdurer que dans un système monopolistique. Nous avons d'ailleurs de très beaux exemples en France avec certaines entreprises monopolistiques comme la SNCF, les caisses de sécurité sociale et j'en passe. Aucune de ces entreprises ne pourraient survivre dans une économie concurrentielle.

Ce faisant, notre classe politique oublie que la seule création de richesse réalisée sur cette terre l'est du fait des activités marchandes. Le chiffre d'affaire de ces activités sont à l'origine de tous les salaires, de tous les revenus et de tous les impôts. Par conséquence, les activités marchandes sont aussi à l'origine du traitement des fonctionnaires et de la protection sociale.

L'entreprise a donc un rôle social et ce rôle social s'appelle profit. Étant entendu que ce profit est ce qui reste une fois que les employés ont été payés, les charges, les cotisations, les impôts divers et variés et autres vexations fiscales, les investissements comme les programmes de recherche. Le profit est ce qui reste une fois que tous les frais destinés à garantir la pérennité de l'entreprise ont été réglés. Le profit n'est pas de l'égoïsme de la part des entrepreneurs, ce n'est qu'une récompense de leurs efforts qui sert indirectement à tous puisque l'entrepreneur est déjà le dernier à pouvoir se servir. Pire, les entreprises qui ne font pas de profit sont vouées à disparaître ou tout au moins changer de modèle économique. Cette absence de profit n'est pas le signe d'une générosité particulière mais d'un échec.

C'est là que réside l'énorme, l'indispensable valeur sociale de l'entreprise. Pas dans un rapport qui n'est qu'une effraction étatique, rien de moins qu'une atteinte au droit de propriété.

  entreprise_objet_interet_collectif.pdf

 

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