« MassacreSi ce n'était pas con, ce ne serait pas un règlement ! »

Des stats et des médecins

24.03.20 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Matheux pervers, Je hais les politiciens

Lorsque je dois me faire soigner, je vais voir un médecin. Alors que les médecins laissent en retour les statisticiens travailler. Ces deux métiers sont différents et les médecins, fussent-ils professeurs de médecine, ne savent vraiment pas faire des statistiques.

On lit depuis quelques jours que la chloroquine — à moins qu'il ne s'agisse d'hydroxychloroquine — soigne le Covid19. Des gens se ruent par centaines à l'hôpital de Marseille pour recevoir ce produit, heureusement délivré aujourd'hui sous ordonnance en raison de sa dangerosité même comme antipaludéen à titre préventif. Cela n'est pas réellement sérieux et montre que l'homme a besoin d'un messie.

Plusieurs choses me dérangent aux entournures. Le professeur de médecine en question et dont je tairai le nom prétend qu'il agit dans l'urgence et qu'il est impossible de faire des études correctes rapidement. C'est se moquer du monde puisque certaines équipes y arrivent sans problème. Certaines arrivent même à faire passer en urgence leurs papiers dans des revues à comité de lecture. Prétendre le contraire est se moquer du monde.

Loin de moi l'idée de trancher définitivement sur l'intérêt thérapeutique de la molécule, sur son bénéfice/risque ou sur son efficacité. La question n'est vraiment pas là. Le problème est d'avoir une médiatisation à outrance sur une document publié par un chercheur refusant de passer par les circuits classiques de reviewing et faisant de la communication sur Youtube. Qu'il ait raison ou tort importe peu, c'est sa démarche qui est contestable car rien n'est scientifiquement prouvé. Plus exactement, un papier relativement ancien permet de montrer qu'in vitro la chloroquine permet une amélioration dans certains cas. Rien n'a jamais été montré in vivo.

Mais arrêtons-nous simplement sur les statistiques du papier du bon docteur. Ceux qui me connaissent savent que j'ai été enseignant dans le supérieur et que, parmi les cours que j'ai pu donner, se trouvait un cours de statistiques. Oh, pas des statistiques très évoluées, des statistiques pour des ingénieurs qui allaient faire du traitement du signal, mais cela me permet de voir assez rapidement quand on me fait passer des vessies pour des lanternes et cela me permet de qualifier une étude surtout lorsque c'est une blague, une grosse blague.

Pourquoi qualifié-je cette étude de grosse blague ? Pour tout un tas de raisons. La première est que l'on fait des statistiques, pas du dénombrement. Il serait bon que les pontes de la faculté, une bonne fois pour toute, fassent la différence. On ne calcule pas une probabilité ou une statistique de la même façon lorsqu'on veut voir une amélioration ou une détérioration. Là, on nous la fait à l'envers, erreur classique des débutants. Mais c'est loin d'être le seul grief :

  1. La méthodologie est très légère. L'échantillonnage est très faible puisqu'il est de trente-six patients sur quarante-deux initiaux. Il y a en effet un critère d'exclusion à six jours sur une histoire d'absence de suivi. Je ne sais pas quoi dire, on retire 15% brutalement sous prétexte qu'on les a perdu de vue ! On n'est plus vraiment dans le trait de crayon !
  2. Vingt-six patients forment le groupe HC (hydroxychloroquine) et sont traités dans un même institut. Pourquoi pas. Mais les patients contrôle ne sont pas dans le même centre. Ils sont situés dans quatre centres autour de Marseille et ne sont pas exposés au même protocole de soin. Deux problèmes : sont-ils contaminés par exactement le même virus (pour rappel, il s'agit d'un coronavirus donc d'une saleté qui mute très vite) et comment ont-ils été sélectionnés ? Visiblement, ils ont été sélectionnés au doigt mouillé, au pif, parce qu'ils avaient six jours de suivi. Visiblement les patients contrôle sont au nombre de seize. Seize patients, pour la randomisation, c'est un tantinet rapide et expédié.
  3. Il y a des perdus de vue. Tenez-vous bien, dans le groupe HC, il y en a six. Là, il faut regarder de près. Sur les six perdus de vue, il y a trois transferts en réanimation. Ainsi, on a perdu de vue trois patients qui ne pouvaient pas s'échapper puisqu'en soins intensifs. Il y a aussi eu un mort qui à jour+2 était négatif au test PCR — ce qui prouve que soit l'hydroxychloroquine est efficace, soit que le test indique des faux négatifs, soit encore que la charge virale n'est qu'un facteur aggravant —, un patient reparti chez lui et un dernier qui avait des nausées après traitement par le produit et qui était toujours positif au test PCR. Vous avez bien lu : un négatif PCR est mort sans que personne ne cherche le problème méthodologique. Il peut s'agir d'un simple biais ou d'un problème bien plus grave de méthodologie.
  4. Il est impossible mathématiquement parlant de comparer des variables quantitatives avec le test du t de Student avec des nombres aussi faibles de patients. Dans le jargon, on dit qu'on est dans l'herbe, dans le bruit de mesure, avec une erreur importante. Visiblement, cela ne dérange pas nos éminences.
  5. Il y a, lorsqu'on creuse un peu, des différences énormes (des biais) entre la population HC et celle de contrôle. Les patients contrôle étaient plus jeunes (37 ans contre 51 dans la population HC), si bien qu'on ne peut avoir aucune idée de savoir si leur charge virale était plus importante ou non car la variable de charge virale est un mélange de variables quantitatives (le taux de virus dans les prélèvements) et de variables catégorielles (positif ou négatif au test PCR). Cela n'a aucun sens puisqu'on mélange des pommes et des poires.
  6. Le groupe HC est en fait un mélange entre des patients soumis à une prescription d'hydroxychloroquine seule et de six patients prenant en plus de l'Azythromycine. Que cherche-t-on à prouver avec cela outre le fait qu'on ne sait toujours pas faire des statistiques correctement ?
  7. À la fin de l'étude, on conclut que la charge virale baisse plus pour le groupe HC que pour le groupe contrôle. Vingt contre seize en faveur du groupe contrôle, là encore, on est dans l'herbe.

Conclusion : trois patients en réanimation, un mort, une intolérance, un parti à domicile en étant positif au test PCR contre aucun mort, pas de réanimation et une bonne tolérance dans le groupe témoin.

Par ailleurs, l'absence d'étude en double aveugle ne permet pas de retirer de l'équation l'effet placebo dont tous les praticiens s'accordent à dire qu'il est responsable de 30% de l'efficacité d'un traitement. Mazette !

Oui, vous avez bien lu. C'est donc une blague, une vaste blague. La valeur de cette étude est nulle. Dans aucune revue sérieuse avec des reviewers faisant leur travail, elle ne pourrait passer. Je sais à peu près de quoi je parle puisque j'ai été reviewer de longues années pour certaines revues IEEE. Sa médiatisation est absolument incompréhensible sur le plan scientifique et, lorsque l'équipe qui a fait cette étude commence à mettre les patients sous hydroxychloroquine pour des raisons éthiques et de serment d'Hippocrate (sic), cela donne plus une indication sur leur quête de gloire que de vérité scientifique.

Les membres de cette équipe font un pari avec une molécule dont les effets secondaires sont loin d'être anodins, peut-être sur une intuition. Cette pseudo-étude est reprise partout, dans beaucoup de pays. Elle repose pourtant sur du vent scientifiquement parlant.

Hier soir, au journal télévisé de TF1, un urgentiste a dit ouvertement ce qu'il pensait de ces expérimentations, je ne suis pas sûr que le message soit bien passé puisque ce matin, la communication du ministre de la santé indique que, avec l'accord unanime des médecins, ce traitement pourra être donné aux patients.

Sans commentaire.

Objet du délit :   1-s2.0-s0924857920300996-main.pdf

Autre article traitant du sujet. Encore un dernier pour la route.

 

2 commentaires

Commentaire de: Le Grincheux

Ça sent mauvais pour le mandarin :

http://www.zjujournals.com/med/EN/10.3785/j.issn.1008-9292.2020.03.03

Cette étude montre qu’il n’y a aucune différence avec les groupes contrôles (pas traités) : “The median duration from hospitalization to virus nucleic acid negative conservation was 4 (1-9) days in HCQ group, which is comparable to that in the control group[2 (1-4) days, (U=83.5, P>0.05)]. The median time for body temperature normalization in HCQ group was 1 (0-2) after hospitalization, which was also comparable to that in the control group 1 (0-3). Radiological progression was shown on CT images in 5 cases (33.3%) of the HCQ group and 7 cases (46.7%) of the control group, and all patients showed improvement in follow-up examination".

Cette étude prend un petit groupe de patients comme Raoult, mais utilise un bien meilleur protocole (avec un groupe placebo). Et elle trouve qu’il n’y a aucun effet significatif de la chloroquine.

25.03.20 @ 17:43
Commentaire de: Le Grincheux

Autre chose, très pédagogique.

https://www.youtube.com/watch?v=h18tSEYukqE

25.03.20 @ 17:44


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