« Le cas Léa SalaméDiafoirus n'est vraiment pas mort ! »

Les zélotes de Gandalf

05.04.20 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur

Si nous vivons une période résolument moderne, on ne peut pas réellement dire à l'instar de Philippe Meyer que le progrès fait rage. En effet, la crise sanitaire que nous traversons met à jour les plus bas instincts des hommes et tire un trait sur plus de cent cinquante ans de méthodologie scientifique. Accessoirement, il est intéressant de constater que, même dans des agglomérations votant bien à gauche depuis des lustres, le règne du chacun pour soi devienne une sorte de règle tacite, bien avant le bien général. Combien parmi mes connaissances parisiennes fustigent ceux qui ont pu partir avant le confinement généralisé (parce que c'est une fuite devant l'ennemi), en se considérant courageux de rester (parce qu'ils n'avaient pas le choix) tout en se sentant obligés de sortir de chez eux pour des motifs scabreux (pratique sportive…) et en étant convaincus qu'une telle petite entorse d'une heure par jour n'aura aucune conséquence ? J'espère en tout cas que ceux qui habitent dans des immeubles modernes ont bien pensé à boucher les trappes des ventilations mécaniques passant d'un appartement à l'autre, vous savez, ces trappes qui permettent à un appartement de bénéficier des odeurs de friture ou de soupe aux choux de l'appartement d'à-côté.

Outre les incohérences humaines ayant de forts relents de lutte des classes refoulée — les riches peuvent partir au vert avec leurs gens (sic) alors que nous, les pauvres, sommes contraints de rester – qui ne rendent pas optimiste, il y a un autre sujet que je trouve personnellement beaucoup plus gênant. Avec cette crise sanitaire est arrivé un sauveur. Et avec tout nouveau messie arrivent malheureusement ses zélotes.

J'arrive à comprendre que l'homme ait peur de la maladie, peur de la mort. Depuis la nuit des temps, l'homme a créé des légendes pour se faire peur et des dieux pour se rassurer. Parfois des dieux à la fois pour se faire peur et pour se rassurer. Pourtant, depuis cent cinquante ans, la méthode scientifique a fait ses preuves. Cette méthode n'a pas pour but de remplacer un dieu ou une croyance, elle n'est pas elle-même une religion, mais elle permet d'acquérir le plus efficacement possible la connaissance du monde qui nous entoure. Depuis la fin du XIXe, il nous semblait que c'était un fait établi. Pourtant, en quelques semaines, tout l'édifice a été mis à mal. Il a suffi à Gandalf, nouveau messie de Marseille de se lever, de faire de la communication pour que cet édifice patiemment construit se lézarde, aidé par des zélotes qui ne comprennent souvent rien à rien.

En aparté, je dois évoquer ici la discussion que j'ai eu avec l'un de ces zélotes qui comparait Gandalf à Einstein. Gandalf est un incompris comme Einstein parce qu'il penserait selon un nouveau paradigme. Ah bon? Peut-être, mais Einstein n'a jamais été le révolutionnaire que l'on présente aujourd'hui. Einstein était un ingénieur tout à fait moyen mais il s'agissait d'un excellent observateur. Il fonctionnait par analogies. En particulier, il a pensé, un jour après un repas copieux — ce sont ses biographes qui l'affirment —, que lorsqu'on était dans une boîte totalement fermée et opaque, on n'avait aucun moyen de savoir si on était statique soumis à un champ gravitationnel ou en accélération constante dans un référentiel galiléen. Tous les autres paramètres étant égaux par ailleurs, si on faisait entrer un faisceau lumineux par un trou sur une paroi de la boîte, la vitesse de la lumière étant finie, l'impact sur la paroi opposée ne devait pas être rigoureusement en face du trou. Une fois cette analogie posée, analogie que tout le monde avait devant le nez, il a demandé à un mathématicien de l'aider à résoudre ses équations qu'il a posées dans la mécanique newtonienne. Einstein n'a jamais pensé en dehors du système, il a pensé dans le système et a poussé la réflexion jusqu'au bout, ce qui a abouti à la relativité générale. Le génie d'Einstein est d'avoir regardé là où personne n'avait eu l'idée avant lui de regarder, pas d'avoir produit une nouvelle mécanique qui provenait d'on ne sait où, magiquement. Et c'est pour cela que sa mécanique résiste autant aux expériences, elle n'est que la généralisation de la mécanique de Newton et non une nouvelle façon de voir les choses. C'est dans ce sens là qu'il était génial, mais son génie avait aussi ses limites puisqu'il a rajouté un terme dans une équation pour satisfaire sa croyance religieuse (la constante cosmologique). Invoquer les mânes d'Einstein est donc osé. Mauvais exemple, changer d'exemple !

Reprenons donc les bases. La démarche scientifique, qui a fait ses preuves, ne consiste pas à prouver qu'une action provoque un résultat, mais qu'en l'absence d'action, il est impossible d'obtenir le résultat escompté. La nuance est de taille et devrait interdire la publication dans des revues de médecins de statistiques entrant dans la catégorie des statistiques à la con. Il y a quelques années a été publié un article, le plus sérieusement du monde, avec statistiques à l'appui, indiquant doctement que la pratique du piano chez les japonais aboutissait à un risque accru de développer un cancer du poumon. J'ai utilisé cet article comme exemple de mélange entre corrélation et causalité lorsque je donnais encore des cours de statistiques. Pour ceux qui seraient intéressés, la raison véritable est que, au Japon, la pratique du piano est relativement rare et que les pianistes se retrouvent très souvent dans des piano bars remplis de fumeurs. Le piano n'est donc responsable de rien. Dans la catégorie des statistiques à la con, on trouve aussi que se coucher avec ses chaussures augmente le risque de se réveiller avec un mal de crâne. À titre personnel, j'aurais tendance à appeler ce mal de crâne un mal aux cheveux, une véritable gueule de bois.

Mais reprenons la démarche scientifique. Si la pratique du piano chez les japonais aboutissait à un risque accru de développer un cancer du poumon, il aurait fallu démontrer que sans la pratique du piano, il est impossible de développer un cancer du poumon ou, à la limite, que le risque de développer un tel cancer est statistiquement différent. Même chose avec les chaussures et le mal de crâne. On comprend alors tout de suite l'intérêt de la démarche scientifique qui est le seul moyen, en invalidant les hypothèses les unes après les autres, d'aboutir à une certitude.

Un seul problème: si cette démarche est efficace, elle est amorale, froide, mathématique, elle permet d'accéder au plus vite à la connaissance. Elle n'évite pas les effets collatéraux, au moins à court terme. Et c'est cela que les gens refusent parce que, appliquée à la médecine, elle n'évitera pas les morts. La démarche scientifique permettra de trouver au plus vite un traitement ou un vaccin, si tant est qu'ils existent, au Covid19 actuellement en circulation. Mais il y aura forcément des morts au passage, au moins dans les premiers temps. La véritable question, celle que personne ne veut se poser, est donc de savoir s'il faut utiliser des malades pour faire avancer la connaissance sur le virus en question quitte à les sacrifier pour sauver à l'avenir les personnes contaminées, ou s'il faut essayer de pomper comme des Shadoks pour tenter de sauver tout le monde sans avoir de traitement efficace.

La tactique de Gandalf et de ses zélotes est le pompage. La stratégie devrait être de faire avancer la connaissance.

Qu'un type dans un coin décide de pomper le regarde. Mais que ce même type utilise des arguments d'autorité en court-circuitant les circuits de reviewing et en faisant de la communication au travers de réseaux sociaux est beaucoup plus discutable, le pire de ses arguments étant qu'il aurait — j'utilise un conditionnel à dessein — publié plus de 2000 articles. Un simple calcul montre qu'en une carrière de cinquante ans — il aurait commencé à publier à dix-huit ans ce qui est tôt sans prendre ni week-ends ni vacances —, il aurait publié un article tous les neuf jours. Naturellement, je passe sous silence ceux qui auraient été refusés par ses pairs. Restons sérieux, aucun scientifique ne peut publier durant sa carrière 2000 articles scientifiquement intéressants. À titre d'exemple, mon ancien directeur de thèse, une tronche dans son domaine et académicien des sciences, a dû publier quelques bouquins et une centaine d'articles durant toute sa carrière.

Pire, n'importe quel scientifique se comportant comme Gandalf, c'est-à-dire en falsifiant des études — ou en publiant des études qu'il savait biaisées, ce qui revient au même — aurait passé pour un amateur. Réitérant comme il l'a fait, sans corriger les critique de son premier torchon, il aurait été mis au ban de la communauté scientifique à laquelle il prétend vouloir appartenir. Là, que s'est-il passé ? Rien.

Les enseignements sont donc les suivants. Les hommes ont besoin en ces temps difficiles d'un espoir et cet espoir est incarné dans un homme, Gandalf. La rationalité n'a plus court puisque, même en prouvant que son produit miracle n'a pas l'effet escompté, ils veulent son traitement. Et nous voyons aussi que la médecine n'est vraiment pas une science puisqu'il suffit d'affirmer que quelque chose fonctionne pour que tout le monde le croit. En effet, contrairement à toutes les autres pratiques scientifiques, la charge de la preuve est inversée. Il ne s'agit plus pour un médecin de prouver que telle ou telle prescription fonctionne, mais à ses pairs de prouver qu'elle ne fonctionne pas comme attendu, ce qui explique a contrario les succès des médecines alternatives. La prochaine étape sera sans doute la guérison des tumeurs au cerveau avec une injection en intraveineuse d'urine de cheval, la tisane de mamie Jeanine et un demi verre de rhum agricole à faire tomber les dents et du 180 km/h avec sa Mobylette !

Non seulement c'est aux détracteurs de Gandalf de prouver qu'il se trompe, mais il faut encore qu'il puisse y avoir un débat scientifique, ce qui est refusé par ses zélotes, même si ceux-ci en sont réduits à quia. Le débat est impossible, dès qu'une tentative est faite, le sacro-saint serment d'Hippocrate est mis dans la balance pour couper court à toute discussion, oubliant que dans ce serment se trouve aussi le principe en premier lieu, ne pas nuire. Les scientifiques qui prennent position contre les arguments de Gandalf ont donc perdu dès qu'ils acceptent le débat, raison pour laquelle tous les pays du monde se jettent sur le remède miracle au détriment des études sérieuses. Allez en effet trouver des patients pour accepter de prendre autre chose que son traitement. Gandalf, sans jamais avoir prouvé que son traitement a un début d'effet, sera responsable de nombreux morts du fait du retard pris par les études rigoureuses.

La médecine n'en sort pas grandie. J'ai cru durant très longtemps qu'il s'agissait d'une science, même appliquée et imparfaite. Or il ne s'agit pas de cela, il s'agit d'un art au sens le plus brutal du terme, de foi en des remèdes miracles que certains médecins prescrivent pour justifier de leur existence. Et cela devrait faire peur à quiconque ayant besoin d'un médecin.

 

4 commentaires

Commentaire de:
clweb

Ce 21e siècle est caractérisé par le retour des superstitions et des experts auto-proclamés. Il suffit de voir l’influence des anti relais téléphoniques, anti Linky et autres. Et ce sont souvent les mêmes qui vont encenser les médecines “alternatives” et l’homéopathie. Des prises de position dictées par des intuitions et propagées par des personne charismatiques en mal de notoriété. On se croirait revenu au XIXe siècles où des “spécialistes” mettaient en garde sur les effets nocifs du chemin de fer sur la santé.

05.04.20 @ 15:28
Commentaire de: Le Grincheux

Dans le cas qui nous intéresse, la lenteur des réactions de ses pairs est navrante. Les académies de médecine et de pharmacie ont bien pris position. Mais trop légèrement, trop tard. Le mal était fait.

05.04.20 @ 16:27
Commentaire de: Le Grincheux

D’après l’une de mes navrantes connaissances, le Covid19 serait un châtiment divin pour que disparaisse la pornographie de la surface de la Terre.

Comme quoi les traditionalistes catholiques bien de chez nous sont aussi attaqués pour ne pas dire tarés que les islamistes les plus tordus.

07.04.20 @ 09:10
Commentaire de: Jean-Pierre
Jean-Pierre

Bin leur dieu y commence à devenir sérieusement sénile et à yoyotter de la touffe ! J’avais déjà entendu ça à propos du sida. Bon, là, au moins, y’avait une certaine logique : tu baises, tu meurs, “tu périras par où tu as péché". Mais ici… Bon : “je les contamine tous et les adeptes du porno en mourront” ? Ça me rappelle quelque chose… Ah, oui : “tuez-les tous, dieu reconnaîtra les siens".

07.04.20 @ 21:36


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