« Chiffres et facièsLettres classiques »

Bernard-Henri et Sakineh

23.09.10 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Haines ordinaires

Bernard-Henri a encore frappé. À l'instar des reportages photographiques de guerres qu'il faisait, caché derrière un bloc de béton pour éviter des balles qui ne sifflaient plus depuis longtemps, le voilà qui s'attaque à un problème sans vraiment avoir pris ses renseignements. Je ne résiste pas à l'envie de vous faire profiter de sa prose d'un style incomparable.

« Pourquoi la lapidation  ? N’y a-t-il pas, en Iran, d’autres manières de donner la mort  ? Parce que c’est la plus abominable de toutes. Parce que cet attentat contre le visage, ce pilonnage de pierres sur un visage innocent et nu, ce raffinement de cruauté qui va jusqu’à codifier la taille des cailloux pour s’assurer que la victime souffre longtemps, sont un concentré rare d’inhumanité et de barbarie. Et parce qu’il y a, dans cette façon de détruire un visage, de faire exploser sa chair et de la réduire en un magma sanglant, parce qu’il y a dans ce geste de bombarder une face jusqu’à ce que bouillie s’ensuive, quelque chose de plus qu’une mise à mort. La lapidation n’est pas une peine de mort. La lapidation est plus qu’une peine de mort. La lapidation, c’est la liquidation d’une chair à qui l’on fait procès, en quelque sorte rétroactif, d’avoir été cette chair, juste cette chair  : la chair d’une jeune et belle femme, peut-être aimante, peut-être aimée, et ayant peut-être joui de ce bonheur d’être aimée et d’aimer. »

Déjà ne figure dans cet extrait aucune condamnation de la peine de mort, ce qui est bizarre pour une grand humaniste comme lui. Enfin, c'est lui qui le prétend… Je veux bien que la méthode joue, mais le résultat est le même.

Il y a plusieurs choses à dire à cet apprenti Albert Londres qui ne s'est pas contenté de cet écrit. En effet, invité à la conférence annuelle des ambassadeurs de France et, pour paraphraser Nicolas Sarkozy qui appellait toutes les femmes battues du monde entier à rejoindre la France, il a trouvé le moyen de dire au cours de son allocution qu'il plaçait la condamnée « sous la responsabilité de la France ». Rien que ça. Heureusement que sa parole n'engage que lui.

Présentés de cette manière, les faits ne peuvent que scandaliser l'opinion qui juge, qu'elle en soit consciente ou non, ces faits à l'aune de sa culture judéo-chrétienne.

Avant d'écrire ce genre de choses, il faut pour rester sérieux se renseigner un minimum sur ce qui est reproché à la femme en question, sur sa condamnation et surtout sur les procédures juridiques de la république islamique d'Iran. En effet, le droit applicable en république ismalique d'Iran peut être qualifié de tout sauf d'arbitraire, au moins lorsqu'on parle d'autre chose que de crime contre l'état. Il ne s'agit pas ici de prendre position pour ou contre le régime politique de ce pays, mais de relater des faits. Tous les spécialistes du droit constitutionnel et des procédures pénales vous diront la même chose, pour peu qu'ils ne soient pas aveuglés par la propagande.

La révolution islamique s'est avant tout préoccupée de mettre fin à l'arbitraire — c'est entre autre chose pour cela qu'elle a réussi — et l'un des moyens pour arriver à cette fin était d'instaurer un état de droit le plus rigoureux possible. Les procédures judiciaires sont complexes et les recours nombreux. Ainsi, ce système prévoit de longue date pour les crimes passibles des assises une possibilité d'appel. En tout état de cause et même s'il n'y a pas d'appel, la cour de cassation est automatiquement saisie pour vérifier la légalité de la procédure. En d'autres termes, ce système offre des garanties bien supérieures à celles que peut donner les juridictions françaises et nous n'avons aucune légitimité pour intervenir dans le débat. Il n'y a pas si longtemps que cela, il était impossible dans notre beau pays de faire appel d'un jugement d'assises.

Vous me direz que le juge français est laïc et que le juge iranien est guidé par sa foi toujours renouvelée en Dieu et dans le retour attendu du 12e imam, et qu'il vaut mieux être jugé par un magistrat laïc que par un fou de Dieu. Pas si sûr. Si en Iran, il n'existe pas le principe de grâce présidentielle mais, en vertu de la miséricorde islamique, le pardon des victimes ou de la famille suffit à annuler l'exécution des peines capitales.

Dans la pratique, les exécutions capitables concernent surtout les terroristes, les assassins d'enfants et les trafiquants de drogue. Il se glisse parfois dans cette liste des déviants à la morale islamique que sont des invertis notoires, des voleurs multirécidivistes, des opposants ou des espions et quelques femmes infidèles ou battues ayant trucidé leurs maris. La technique de mise à mort est la pendaison en public, généralement filmée par la télévision d'état, spectacle hautement pédagogique, et très rarement la lapidation qui éprouve trop les nerfs des exécutants. Officiellement, l'Iran a interdit toute condamnation à la peine de mort par lapidation depuis 2002, car la lapidation est un précepte sunnite — basé sur les récits des hadiths —, alors que l'Iran est chiite. Depuis cette date, toutes les lapidations — deux en 2006, six condamnés en attente depuis — ont été ordonnées par des juges locaux. Ces juges ont été tous poursuivis pour non respect des décisions du code pénal iranien.

Rapellons maintenant ce qui est reproché à Sakineh. Contrairement à ce qui a été dit, cette femme n'a pas été jugée pour adultère mais pour meurtre avec préméditation. C'est un peu différent. Ce n'est donc pas tant une victime qu'un bourreau. De toute façon, en Iran, il n'y a que très peu de condamnation pour adultère car la loi demande pour que soit établi le constat d'adultère des conditions qui sont très difficiles à rassembler. En particulier, il faut quatre témoins simultanés et, dans un pays aux mœurs aussi peu corrompues, gageons que ces témoins doivent être soit participants à une partie fine, soit simples témoins d'icelle, ce qui fait mauvais genre.

Cette femme, Sakineh Mohammadi-Ashtiani a été condamné pour assassinat parce qu'elle a drogué son mari et l'a fait tuer durant son sommeil par Issa Tahéri, son amant. Les deux complices ont été condamnés en première et seconde instance à mort.

Bernard-Henri a donc beau jeu de fustiger le régime politique et la justice iranienne en la traitant d'obscurantiste, d'arbitraire ou de scandaleuse. Non seulement il ment éhontément sur les procédures de justice et sur l'application des peines, mais il soutient une complice d'assassinat. Cela commence à faire beaucoup. Quelles sont ses motivations profondes ? Faut-il absolument qu'il utilise un fait divers tragique pour condamner publiquement le régime iranien parce que celui-ci est en train de construire une bombe qui pourra être à terme dangereuse pour Israël ? Si c'est vraiment cela, c'est d'autant plus pathétique que ce n'est pas BHL ni l'oppinion publique manipulée qui arrêtera Mahmoud Ahmadinejad.

 

1 commentaire

Commentaire de: claude weber
claude weber

Que BH fasse sa propagande sioniste, c’est son droit et c’est de “bonne guerre", mais que quasiment aucun média ne rectifie ou ne pondère est un peu triste. Où sont donc les journalistes “d’investigation” et ceux qui parlent à longueur d’année de la liberté de la presse ?
Mais comme dans 1984, il faut toujours un ennemi pour tenir le peuple. Pour ce faire on crée de nouveaux barbares.
L’histoire ayant tendance à se répéter, j’espère que l’Occident ne se prend pas pour le nouvel empire romain.

24.09.10 @ 11:26


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