« Le client est roiLe concret ? C'est du vent ! »

Nul n'est prophète en son pays

17.10.10 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Haines ordinaires

Je vous préviens, je suis encore plus d'humeur exécrable que les autres jours. Je suis de mauvaise humeur parce que Benoît Mandelbrot nous a quitté jeudi dernier, le 14 octobre 2010. Je ne l'accuse de rien. Vu son âge et sa maladie, il fallait bien s'y attendre à un moment ou à un autre. Ce qui me met d'une humeur massacrante, c'est que cette information n'a pas vraiment été relayée par les media français. Cet homme n'avait certainement pas le charisme d'un chanteur à succès ou d'un acteur célèbre, ce n'était qu'un ingénieur qui s'occupait de mathématiques appliquées et qui jouait les Cassandre.

Benoît Mandelbrot n'était pas un mathématicien au sens premier du terme. C'était un ingénieur qui essayait d'étudier les phénomènes naturels et qui a pris conscience que certains ensembles de figures fractales peuvent modéliser finement les systèmes naturels.

Mieux que cela, il a travaillé sur les modélisations des systèmes financiers dès 1961. Sa théorie, reconnue pourtant rapidement comme pertinente, fut mise de côté car jugée trop complexe. Il revit sa copie en 1997 et propose un modèle plus précis qui n'a pas vraiment été utilisé. Essayant d'alerter les acteurs des marchés, il publia en 2004 une approche fractale des marchés dans laquelle il dénoncait les outils mathématiques utilisés par la finance parce qu'il les juge inadaptés. Cette même année, il avait demandé sans aucun succès que les banques et les grandes institutions financières de Wall-street consacrent une partie de leur budget à la recherche fondamentale plutôt que de s'en remettre à la théorie du doigt mouillé.

En particulier, Benoît Mandelbrot était très critique sur la théorie de Merton, Black et Scholes utilisée par les banques parce que, selon lui, cette théorie est biaisée ne tenant pas compte de certains paramètres importants.

Permettez-moi de revenir sur son dernier livre, publié chez Odile Jacob quatre ans avant la crise actuelle. Il était prémonitoire mais ne fut pas écouté. Il est mort sans être certain qu'il le soit davantage aujourd'hui. Dans ce livre, il attaque les financiers qui utilisent une théorie inapplicable — celle de Merton, Black et Scholes, issue des travaux de Bachelier qui datent de 1900 — et qui n'avait selon lui aucun sens, ce qu'il affirmait dès le début des années 1960, car cette théorie ne prend pas en compte les changements de prix instantanés qui sont pourtant la règle en économie. En d'autres termes, elle dissocie l'économie de la finance et met ouvertement des informations essentielles sous le tapis, faussant sensiblement les moyennes. Cette théorie affirme pourtant qu'elle ne fait prendre que des risques infimes et marginaux, ce qui est faux. Il était donc inévitable que des choses très graves se produisent. Les catastrophes financières sont très souvent dues à des phénomènes très visibles mais que les experts n'ont pas voulu voir. À force de mettre l'explosif sous le tapis, la question n'est pas de savoir si ça allait sauter, mais quand. Les faits lui ont pourtant donné raison, et François Baroin a beau jeu de dire que personne n'avait annoncé la crise actuelle.

Benoît Mandelbrot disait aussi être en contact avec des dirigeants de grandes banques qui étaient parfaitement contents de leurs modèles mathématiques — même après le début de la crise — et qui ne veulent surtout pas reconnaître qu'ils ont pu se tromper. Il n'a pas dit si là-dedans se trouvaient les dirigeants de Lehman Brothers. Il faut dire que les financiers sont très attachés à cette théorie complètement fausse mais d'une merveilleuse simplicité.

Il y a quelques mois, de passage en France, il disait encore que beaucoup de ses élèves ont changé d'avis après leur thèse, faisant de belles carrières en reniant ce qu'ils avaient affirmé auparavant, jugeant ses positions d'autant plus dangereuses qu'il n'était pas reconnu par l'establishment. Il ne semblait pas leur en tenir rigueur.

Un grand analyste nous a quitté. Saluons une dernière fois l'homme et son œuvre qui ne se limite pas à la seule étude des fractales.

 

3 commentaires

Evaluations des utilisateurs
5 étoile:
 
(2)
4 étoile:
 
(0)
3 étoile:
 
(0)
2 étoile:
 
(0)
1 étoile:
 
(0)
2 notes
Evaluation moyenne des utilisateurs:
*****(5.0)
Naïf
*****

Je ne connaissais pas cet aspect du travail de Mandelbrot, merci de l’évoquer.

Finalement avec Allais, cela fait beaucoup en une semaine. A croire que les mauvaises consciences de la finance partent avant la chute!

17.10.10 @ 19:06
Commentaire de: Le Grincheux

C’est vrai, Maurice Allais nous a quitté le 9 octobre dernier. Ça commence à faire beaucoup…

17.10.10 @ 19:27
Toxico Nimbus
*****

J’apprends en lisant ton article le décès de M. Mandelbrot ; avec beaucoup d’émotion.

17.10.10 @ 21:52


Formulaire en cours de chargement...