« Quarante ans déjàLutte des classes »

Article 44.3

08.11.10 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Mauvais esprit, Haines ordinaires, Je hais les financiers

Si le gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement.

Il s'agit ici de l'alinéa 3 du quarante-quatrième article de l'actuelle constitution française. La cinquième, enfin, il paraît, parce que le quinquennat a sensiblement changé la nature et les équilibres de cette constitution. C'est grâce à ce petit article qui n'a l'air de rien que la discussion au sénat de la réforme des retraites n'a pu avoir lieu.

Pourtant, il aurait été intéressant que cette discussion pût avoir lieu, les sénateurs n'étant pas exactement sur la même ligne que nos chers députés et encore moins sur la ligne imposée par le gouvernement actuel. En particulier, l'un d'entre eux a cru bon de rapporter le pourquoi du comment de l'âge de départ à la retraite fixé à la fin de la seconde guerre mondiale par un certain général de brigade à titre provisoire. Pourtant, on ne peut pas exactement qualifier ce sénateur de gaulliste fanatique puisqu'il émarge au Parti Socialiste et qu'il s'agit de Michel Rocard.

De Gaulle avait fixé cet âge à 65 ans parce qu'il s'agissait de l'âge de décès médian à l'époque de la mise en place de ce système de retraite. En d'autres termes, un français sur deux ne bénéficiait pas de sa retraite puisqu'il état déjà mort. En soixante-cinq ans, l'espérance de vie n'a fait que croître et l'âge médian de décès n'est plus de 65 ans. Même au début des années 1980, lorsque François Miterrand a décidé pour des histoires de basse politique,de promesses inconsidérées aux communistes — voir pour cela le programme commun — et contre l'avis de tous les démographes de passer l'âge de la retraite de 65 à 60 ans, ce n'était plus le cas. Résultat des courses, trente ans après cette lumineuse réforme, nous sommes dans le mur.

Ce qui est tout de même assez exceptionnel pour le noter, c'est que les syndicats râlent contre une réforme injuste, inique, sans remarquer que même en maintenant un âge légal de retraite à 65 ans, le progrès entre 1945 et 2010 était fulgurant puisque l'âge médian de décès a considérablement progressé. Le passer à 62 ans n'est donc pas un scandale en soi.

Quant aux travaux dits pénibles qui réduiraient l'espérance de vie des travailleurs, il a été prouvé depuis longtemps — plus exactement depuis les années 1970 — que l'espérance de vie n'est pas conditionnée par le travail mais par les conditions de vie, le travail industriel ayant considérablement évolué depuis le début du XIXe siècle. Il y a encore eu un article très documenté dans la Recherche l'année dernière. Prétendre qu'un travail dit pénible raccourcit la vie est une inepsie puisque c'est l'appartenance à une catégorie sociale qui conditionne son mode de vie. Autrement dit, la consommation de bière, de charcuterie ou de légumes est corrélée à la catégorie socio-économique et non aux moyens disponibles. Seules certaines professions très marginales sont réellement et directement affectées. Il s'agit des maçons qui souffrent d'une forme de silicose, de certains employés des travaux publics, mais tous ces employés sont une minorité qui plus est minorité généralement classée dans des professions qui ne sont pas dites pénibles, la pénibilité étant décrite par des concepts abscons et surannés. Je ne vois pas en effet en quoi un conducteur de TGV aurait un métier pénible. En tout cas, sa pénibilité est largement moindre que celle que pouvait subir un chauffeur de 141R qui respirait continuellement de la poussière de charbon. La pénibilité est aujourd'hui définie par quelques points précis (porter des charges lourdes, travailler de nuit, être en contact avec des produits chimiques…) et sont déclarés pénibles les métiers qui entrent dans ces catégories ou qui ont été un jour déclarés comme pénibles (chauffeur de la SNCF, électricien à l'EDF ou gazier…) et dont la pénibilité n'a jamais été remise en cause car il s'agit d'un droit considéré comme acquis en dépit de la transformation dudit métier.

Ainsi, parler d'espérance de vie dépendant des catégories sociales est une aberration parce qu'on ne regarde que ça et qu'on n'essaie surtout pas de corréler ces observations à d'autres données. C'est avec ce genre de raisonnement qu'un institut japonais a montré que le fait de jouer du piano augmentait ses chances de mourir d'un cancer du poumon. Ce qui est vrai dans l'absolu au Japon. Mais ces spécialistes de la statistique ont juste omis de signaler qu'au Japon, les joueurs de piano se retrouvent dans des piano bars enfumés, seuls endroits qui leur permettent d'assouvir leur passion de la musique occidentale.

Cet âge légal de la retraite est donc plus un problème politique qu'un problème de société. Que les régimes généraux aillent dans le mur, c'est une certitude et cela fait juste une bonne trentaine d'années que les prévisionnistes s'alarment et que personne ne les écoute. En effet, ce problème est politique parce qu'il faut aujourd'hui satisfaire les marchés financiers à court terme pour pouvoir emprunter à des conditions avantageuses de quoi payer les retraites actuelles. Passer cet âge de 60 à 62 ans ne fait que repousser le problème de deux ou trois ans. C'est en quelque sorte reculer pour mieux sauter, ce qui est exactement le discours d'une partie des sénateurs dits de droite et ce pourquoi le gouvernement est passé en force au sénat.

La seule solution est de mettre pour tout le monde une retraite à points, ce qui est déjà le cas pour les retraites complémentaires. L'âge de départ peut ainsi disparaître, les gens partant à la retraite quand ils le veulent en fonction de leurs cotisations. Et je parle de retraite à point, ni de fonds de pension ni de privatisation des caisses de retraite parce que sont des choses différentes et indépendantes.

Les syndicats, qui n'ont pas tout compris au problème, sont tombés dans le panneau. Comme ils combattent une réforme qui ne durera pas longtemps — les sénateurs ont indiqué que cette réforme conduira à des comptes déficitaires en 2012, au plus tard 2013 — plutôt qu'accompagner une réforme réellement novatrice et nécessaire, le système ira dans le mur à brève échéance. C'est exactement la technique de Reagan dans les années 1980. On s'arrange pour que le système explose en vol et lorsqu'il a explosé, plus personne ne peut s'opposer aux réformes.

Messieurs les syndicalistes, continuez comme vous le faites actuellement. Je vous donne rendez-vous dans quelques années.

 

Aucun commentaire pour le moment


Formulaire en cours de chargement...