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Les bienveillantes

28.11.10 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur

J'ai horreur d'abandonner un livre en chemin, même mauvais. Récemment, j'ai pu lire « les Bienveillantes » de Jonathan Littell. Je me disais naïvement que cet ouvrage devait être intéressant puisqu'il a obtenu le 26 octobre 2006 le Grand Prix du roman de l’Académie française, suivi du prix Goncourt le 6 novembre 2006. En décembre 2006, il a même été élu Meilleur livre de l'année 2006 par le magazine Lire, ce qui prouve que n'importe quel livre peut obtenir un prix littéraire.

Je n'ai aucune idée des autres livres en concurrence, mais vu la qualité « des Bienveillantes », ils ne devaient franchement pas être fameux. À moins qu'il ne s'agisse du thème abordé.

Faisons simple. Personnellement, je n'avais aucune idée de la biographie de l'auteur et j'ai directement attaqué ce pavé de neuf cents pages dans l'édition de la collection NRF. Le sujet principal est, à moins que je n'aie strictement rien compris à cet ouvrage, le fait que tout homme peut devenir un monstre et que sa monstruosité peut naître des événements. Jusque-là, pourquoi pas. Mais pourquoi vouloir à tout prix illustrer ce propos par l'histoire d'un allemand au cours de la seconde guerre mondiale ? Au bout des neuf cents pages d'une écriture inégale — j'ai compté une phrase qui faisait deux pages dans mon édition Gallimard NRF, ce qui fait tout de même beaucoup ! — ponctuées de scènes dont on se demande ce qu'elles viennent faire dans le récit, de digressions et d'invraisemblances, je n'arrive pas à savoir s'il s'agit d'une mystification, d'une authentique œuvre d'art ou d'un roman à ranger directement dans les oubliettes de l'histoire et juste bon à caler un meuble bancal.

J'ai quelques connaissances d'Allemand, de sérieuses connaissances même puisqu'à une certaine époque je lisais Kafka dans le texte, et je m'intéresse depuis assez longtemps à l'histoire de l'Europe entre 1919 et 1945. Même avec ce bagage, la lecture est ardue puisqu'il faut sans cesse se référer au lexique fourni en annexe pour les grades des différentes armes — à tel point que même l'auteur se prend par moment lui-même les pieds dans le tapis ce qui n'est que justice — et surtout aux organigrammes du régime nazi et de la machine militaro-politique qui lui n'est pas fourni.

Le narrateur principal, le docteur Maximilien Aue, a vécu toutes les grandes étapes de la seconde guerre mondiale en partant de simple militaire du Sicherheitsdienst dépendant du Schutzstaffel plus prosaïquement appelé SS. Il est assez amusant de constater que ce narrateur a pu grimper tous les niveaux de la hiérarchie jusqu'à avoir accès à Sperr ou au Reichsführer Heinrich Himmler, d'autant que le Sicherheitsdienst a toujours été en conflit plus ou moins ouvert avec l'Abwehr, service de renseignement de l'armée qui voyait le Schutzstaffel en général et le Sicherheitsdienst plutôt d'un mauvais œil. Jonathan Littell a même cru bon d'ajouter une scène dans laquelle le narrateur tordait le nez au chancelier Adolf Hitler dans son bunker alors qu'il recevait la Croix de guerre en or de ses mains à la suite de ses bons et loyaux services. On croit rêver !

Lorsque je dis qu'il a tout vécu, il a vraiment participé à tout. Depuis l'opération Barbarossa jusqu'au Kassel de Stalingrad où il a reçu une balle en pleine tête qui ne lui laissera aucune séquelle, une rééducation sur la Baltique, un envoi dans un Paris occupé puis un retour dans les hautes sphère de Berlin où il s'occupait entre autre de la question juive, il a tout vu, tout entendu, tout fait. Mais Littell ne s'est pas arrêté à ça. Il fallait que son personnage soit le plus abject possible puisqu'il est incestueux, pédéraste ce qui est un sérieux handicap pour monter dans l'échelle sociale du Schutzstaffel, pleutre, matricide (même si ce n'est pas dit clairement), cultivé et parfaitement bilingue français-allemand, puisqu'il avait été élevé par son beau-père en France après la disparition de son père biologique et le remariage de sa mère. En lisant entre les lignes, on comprend même qu'il a eu des jumeaux avec sa sœur jumelle. Sa biographie est donc particulièrement chargée et tout à fait réaliste, vous en conviendrez. Je passe sous silence que né en Alsace puis élevé en France, son ascension au sein du régime est tout à fait inenvisageable.

Il existait certainement des officiers cultivés, mais ce n'est pas dans les Schutzstaffel qu'ils se trouvaient, plutôt dans l'armée régulière. À trop forcer le trait, le récit perd son réalisme. L'auteur montre aussi qu'il n'a aucune connaissance de ce qu'était un Sonderkommando ou un Einsatzkommando. Ces commandos du Schutzstaffel étaient pour la plupart des commandos disciplinaires et gérés comme tels au moins sur le front de l'est au début de l'offensive. Ce n'étaient pas de simples supplétifs aux troupes régulières comme ce que l'on pourrait croire en lisant ce livre. Pourtant, on sent derrière l'écrivain, l'élève besogneux qui accroche plus ou moins visiblement page après page ses fiches de lecture les unes aux autres. Je ne vais pas entrer dans une analyse historique exhaustive tant il y aurait à dire sur les erreurs manifestes de l'auteur. Un certain nombres d'historiens et non des moindres se sont penchés sur le sujet.

Quant aux images, il y en a de belles. À un moment, le narrateur est prix d'une vision dans laquelle il voit Adolf Hitler habillé en rabin… Cette scène est une insulte à toutes les victimes de cette guerre, qu'elles soient juives ou non, et je me demande à la réflexion comment aurait été accueilli ce livre si son auteur n'était pas d'ascendance juive. J'ai comme l'affreuse impression que toute l'élite bien pensante aurait crié au scandale. Et c'est sans compter sur les passages figurant dans le texte en Allemand. La plupart des termes utilisés sont fautifs ou pour le moins tordus, ce qui est confirmé par les critiques de Peter Schöttler, historien allemand directeur de recherche au CNRS et professeur associé à l’Université libre de Berlin.

J'avoue aussi être réellement mal à l'aise parce qu'au bout des neuf cents pages de cet indigeste pavé, j'en suis à me demander si l'auteur n'éprouve pas une fascination maladive, morbide et malsaine pour la perversité sous toutes ses formes. Cette fascination ne provient pas du thème choisi, mais des mots utilisés et de la narration elle-même. Le critique Jürgen Ritte résume d'ailleurs son impression par les termes d’« arrière-goût mauvais, de parfum d’obscénité ».

À la réflexion, je crois que j'ai enfin compris qu'il s'agissait d'un romain exécrable. Ne perdez pas votre temps, ne le lisez pas, il n'en vaut pas la peine.

 

1 commentaire

Commentaire de: Artémise
Artémise

On m’a plusieurs fois dit qu’il FALLAIT le lire. À chaque fois que je l’ai ouvert dans une librairie, je suis tombée sur (au choix) une scène sado-maso bien dégueulasse, un passage trash sur les camps de concentration, une phrase à laquelle je n’ai rien compris, ou un truc tellement pontifiant que je l’ai refermé de suite.
Vous me confortez dans ma résolution de ne point l’acheter : ce bouquin ne vaut pas le barouf qu’on en a fait.

(du reste : le Goncourt vaut-il, la plupart du temps, le barouf qu’on en fait ? Rien qu’à voir qui l’a eu cette année…)

29.11.10 @ 18:15


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