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Colporteurs interdits

21.07.11 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Vieux con, Haines ordinaires

Ce soir, boulevard Hausmann, je me suis fait arrêter par des quêteurs de l'association Médecins du monde. Un peu plus loin, par ceux de la Croix Rouge. Je dois avoir une tête qui leur est sympathique, car à chaque fois, parmi toutes les personnes qui m'entouraient, j'étais le seul à être importuné.

Et pourtant, je ne suis pas un bon client pour toutes ces organisations. Je ne suis pas un bon client parce que je me suis occupé durant plusieurs années d'aide technique pour une assocation qui s'appelle Ingénieurs sans frontières et qui m'a envoyé, non à Colombey voir s'il y a deux églises, mais sur les hauts plateaux malgaches. Devenu broussard, j'ai ainsi pu voir moi-même comment les fonds récoltés par les associations d'aide humanitaire de tous poils — je n'en vise aucune en particulier — était bien utilisés.

Je passerai sous silence le sac de riz de Bernard Kouchner. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de faire cuire du riz, le moins cher donc non précuit, au milieu du désert. Il faut de l'eau relativement propre, déjà, ce n'est pas gagné, mais aussi du bois, du charbon ou tout autre source d'énergie pour faire bouillir cette eau pendant une trentaine de minutes. Autant dire qu'au milieu du désert, c'est assez difficile. Et même si l'on n'était plus au milieu du désert, il faut tout de même remarquer que les mêmes associations luttent de toutes leurs forces contre la déforestation. Il faudrait rester un minimum cohérent. Je passerai sous silence ce sac de riz parce qu'il n'était qu'une campagne de communication et non une aide humanitaire, sauf si le fait de nourrir les rats africains relève de l'aide humanitaire. Vous me direz que l'africain peut chasser le rat engraissé par le riz même si le rendement de l'opération est mauvais. Vous avez donc plus mauvais esprit que moi.

En revanche, j'ai vu un certain nombre d'actions de ces organismes. Les volontaires font ce qu'on leur demande, sont pleins de bonne volonté, mais cette bonne volonté est tout sauf bien utilisée. Après un cyclone, l'une de ces association est venue avec des lits de camp et des couvertures, achetées à grands frais, pour les donner à des gens qui dorment sur des nattes à même le sol et qui produisent leurs propres couvertures de laine, mettant alors les fabricants de couvertures sur la paille. Mais il n'y a pas encore mort d'homme. Ce qui m'a fait me révolter contre ces organisations, pourtant, c'est un simple fait. Je m'en souviens comme si c'était hier.

Nous sommes en juillet 1995, à Ambolotara — qui se prononce Amboultar, le malgache, c'est facile, c'est comme la langue des shadoks ou l'anglais, ça ne se prononce pas comme ça s'écrit. Ce matin, en me levant, je m'aperçois qu'il a neigé. Pourtant, il me fallait descendre à Antsirabe (Antsirabé), deux heures de route en temps normal par la piste de Betafo (Bétaf). Pour éviter de verser dans un ravin car nous sommes tout de même dans les montagnes à pas loin de 2000 m d'altitude, mon chauffeur suggère d'attendre que la température monte un peu. Et nous voyons arriver une famille : le père, la mère et deux enfants, un garçon qui avait une huitaine d'années et une fillette bien plus jeune. En discutant avec les parents, nous apprenons qu'elle avait quatre ans et demi et qu'elle était malade. Les parents voulaient emmener la fillette à la clinique des sœurs à Antsirabe. Notre véhicule étant un peu spartiate — un antique 4x4 Toyota —, nous nous entassons tous et je prends la fillette sur mes genoux. Je ne suis pas médecin, mais j'ai rapidement compris que le problème de cette enfant était un méningocoque. Au bout de quelques kilomètres, elle est morte sur mes genoux et les parents sont rentrés chez eux sans faire examiner le frère. Je n'ai plus jamais vu cette famille et ne sais pas ce qu'il est advenu. Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé. Voir un adulte mourir, ce n'est pas simple. Mais voir une enfant de cet âge mourir sur ses genoux après avoir vu passer ces associations pour des campagnes de vaccination ubuesques, c'est juste révoltant.

C'est révoltant parce ces enfants ont tous été vaccinés contre la rougeole, la rubéole et les oreillons (en primo-vaccination, parce que je ne suis pas réellement sûr que les rappels aient été faits) et que ces maladies, si elles sont parfois mortelles, sont relativement bien connues et soignées même au fond de la brousse. Ce n'est pas le cas de la méningite. C'este révoltant, parce que ces vaccins étaient au moins à l'époque des vaccins vivants qu'il fallait conserver à moins de 4°C (après huit heures de brousse, ça me fait sourire) à moins de les tuer et que chaque dose coûtait 180 FF. À titre de comparaison, un vaccin contre les méningites A et C revient à 0,01 FF la dose (prix de la dose de vaccin fournie par Mérieux lors d'une campagne à la fin des années 1980 au Brésil. Voir pour cela un ancien numéro du Rotarien dont j'ai oublié les références.). Accessoirement, ce vaccin est un vaccin mort et peut se conserver à température ambiante.

Donc les quêteurs de toutes obédiences humanitaires, passez votre chemin. Et surtout, ne jouez pas avec les sentiments et la mauvaise conscience des gens !

 

3 commentaires

Commentaire de: Atg
Atg

Juste quelques questions sur ce billet bien sympa.

Comment expliques-tu ces carences dans le dispositif ? Ils ont pourtant des médecins, des logisticiens… comment peuvent-ils faire de telles erreurs ?

Autre question : qu’est-ce que ça t’a appris ces balades dans ces contrées désolées, en matière de choix technologique ? Tu évoques que tu roules en DS si j’ai bonne mémoire. Est-ce que la fréquentation du manque t’a influencé dans tes choix actuels ?

24.07.11 @ 09:40
Commentaire de: Le Grincheux

Les carences dans le dispositif proviennent de la structure même de ces organisations dans lesquelles il est parfaitement possible de faire carrière en étant très bien payé. Or pour vraiment aider, je ne dis pas qu’il faut être totalement désintéressé, mais il ne faut pas que cette activité devienne une activité principale. Je m’explique. Les médecins qui donnent tous les ans un mois de leur temps à aider des populations sont prêts à faire de plus grandes choses en habitant dans la brousse que les pontes de ces organisations qui descendent au Hilton de la capitale du coin (chose vécue).

Ensuite, il existe deux façons de voir les choses : attendre qu’une population initie quelque chose et soit demandeuse (cas général de l’aide technique, sinon, ça ne fonctionne pas) ou imposer à une population nos visions principalement occidentales (cas général de l’aide humanitaire). Je te donne un exemple bête : j’ai vu de mes propres yeux des pompes à panneaux solaires détruites à coups de pierres. Pour nous, c’est un bien, parce que ça évite aux femmes de prendre quatre heures par jour pour chercher de l’eau putride. Pour eux, ces quatre heures sont nécessaires à la cohésion de la communauté car elles permettent aux femmes de régler les conflits en l’absence des hommes. Et lorsque cette communauté est en état de perpétuelle survie, elle ne peut pas se permettre d’ouvrir des conflits latents.

Concernant maintenant la dernière partie de ta question, ces balades m’ont appris un certain nombre de choses, en particulier qu’il faut toujours adapter sa technologie aux utilisateurs et au lieu et jamais l’inverse. C’est certainement pour cela que je ne peux plus voir les marketteux en peinture et que je pars toujours du principe que la technologie ancienne n’est pas forcément la plus mauvaise a priori. C’est en partie grâce à ces balades que j’ai réussi à remporter un cahier des charges assez strict d’une compagnie pétrolière qui voulait des faisceaux hertziens pour transmission de voix en zone équatoriale (8 Mbps, soit 128 circuits-voix), ce qui a terminé avec des discriminateurs à diodes au germanium et des amplificateurs à penthodes en classe B1, le tout en électronique analogique. Tous les concurrents avaient sorti l’artillerie lourde avec de l’électronique numérique dans tous les sens, ce qui donnait sur le papier quelque chose de bien meilleur (on pouvait faire passer des données sur ces faisceaux), mais qui étaient non maintenables car trop compliqués dans la forêt vierge.

Quant au fait que je roule en DS, ça n’a rien à voir, c’est seulement un véhicule qui ne m’a jamais abandonné contrairement à une Peugeot 607 qui a passé, en un an, plus de quinze jours par mois chez le garagiste.

24.07.11 @ 10:33
Commentaire de: Artémise
Artémise

Le truc que je retiendrai, c’est que “GA BU ZO MEU", ça ne se prononce pas comme ça parce que c’est comme le malgache.

Plus sérieusement, le constat est assez déprimant. On a presque l’impression que tout ça ne sert à rien. J’ose quand même croire qu’il y a du bon dans l’aide humanitaire…

27.07.11 @ 10:22


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