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Alternance

11.10.11 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur

Tous autant que vous êtes, vous avez dû entendre d'une oreille distraite les annonces publicitaires pour que les entreprises prennent des futurs collaborateurs en alternance. Déjà, je trouve un tantinet bizarre d'appeler un salarié un collaborateur même si je n'habite pas Vichy. Je préférerais qu'il soit appelé tout bêtement un salarié. Un collaborateur est étymologiquement celui qui travaille avec quelqu'un d'autre. Dans l'acception moderne, il y trouve un intérêt au moins financier puisque l'on prend la peine de l'appeler bénévole lorqu'il n'est pas rémunéré. Un collaborateur, c'est avant tout quelqu'un de confiance qui travaille avec vous indépendamment de toute rémunération. Sa motivation est tout autre.

Or, depuis quelques années, le salarié est devenu collaborateur en même temps que son intérêt pour une entreprise disparaissait au profit de son salaire. Pire, j'ai de plus en plus l'impression que lorsque je donne un chèque de fin de mois à un salarié, je m'acquitte d'un obligatoin sociale totalement décorrélée du travail effectué. Le salaire est un dû. Comment peut-on appeler collaborateurs des personnes qui peuvent nuire à une entreprise et qui n'ont pas les mêmes motivations qu'elle ? La motivation d'un patron de PME est de survivre, et déjà ça, c'est bien. La motivation d'un salarié, c'est d'avoir son salaire à la fin du mois que cette entreprise aille bien ou non. Ce n'est pas son problème. Et s'il peut avoir son salaire en en faisant le moins possible, c'est encore mieux.

Et là-dessus, on nous vante les avantages de l'alternance. L'alternance. Personnellement, j'ai donné. J'ai eu des ingénieurs formés en alternance, de ceux qui ont fait vingt ans de cours du soir au CNAM. Ces gens étaient excellents parce qu'il fallait avoir une motivation à toute épreuve pour suivre les cours du soir jusqu'à des heures avancées de la nuit tout en gardant des parkings le jour et en passant avec succès tous les diplômes intermédiaires entre le BEPC et le diplôme d'ingénieur d'état. J'ai aussi eu d'autres personnes en alternance et c'était nettement moins glorieux.

En effet, j'ai essayé de trouver un commercial en alternance. Leurs prétentions salariales étaient indignes surtout pour des gens qui ne savaient pas écrire une phrase en français sans que je sois contraint à la caviarder tant la langue était indigente. La seule personne que j'ai trouvée était une ukrainienne, qui elle parlait et écrivait un français impeccable, et surtout travaillait au tarif normal de l'alternance. Comprenez-moi bien, je ne prétends pas que l'alternance ne doit pas être rémunérée, mais l'alternance a un coût direct pour l'entreprise (le salaire de la personne ainsi que ses charges : URSSAF, Pôle-emploi, mais aussi électricité, chauffage, bureau, téléphone…) et un coût indirect (les heures des autres salariés passées à encadrer la personne en alternance et à discuter avec les professeurs ou les recevoir) qu'il ne faut pas négliger. Dans de bonnes conditions, pour chaque personne prise en alternance, il faut ajouter un mi-temps pour l'encadrement. On peut donc remettre en perspective le millier d'euros nets versé à cette personne pour 60% d'un temps plein.

La question est donc la suivante : comment se fait-ce que je n'ai pas réussi à trouver une personne de nationalité française pour occuper ce poste ? Je demande peut-être trop en exigeant d'un commercial qu'il sache à peu près s'exprimer en français et aligner quelques mots sans fautes d'orthographe ou de grammaire. Je demande peut-être trop aussi en refusant de payer quelqu'un en formation bien au-delà de sa valeur réelle. Ou alors le problème se situe-t-il dans le système éducatif qui n'oriente vers l'alternance que ceux qui sont incapables de faire autre chose, ceux qui restent sur le bord du chemin « normal ».

La réponse à cette question, je l'ai trouvée assez facilement en engageant une secrétaire de direction en alternance. Secrétaire soi-disant trilingue. Tu parles ! Mon allemand rouillé et mon anglais appris sur le tas — je ne vous donnerai pas ici le prénom du tas — étaient meilleurs que les siens ! Si seulement elle avait su écrire sa langue maternelle correctement ! Et c'est sans compter les absences injustifiées, les retards, les bourdes diverses et variées, un avortement dont j'ai dû m'occuper — je vous arrête tout de suite, je n'y étais pour strictement rien —, et son incapacité chronique à se servir d'un téléphone pour autre chose que des appels personnels. Après plusieurs recadrages en bonnes et dues formes, je l'ai licenciée pour fautes lourdes, ce qui m'a coûté un prud'homme que j'ai gagné tant son attitude était inadmissible sur tous les plans.

Ainsi, présenter l'alternance comme une solution, qui plus est en faire une publicité, est assez incongru. L'alternance n'est pas un mauvais système en soi, mais il faut trier les candidats et il ne s'agit pas d'orienter vers l'alternance ceux qui ne sont pas capables de suivre des études « normales » car l'alternance est un système dur qui a des avantages (le fait de connaître son métier pour l'avoir pratiqué) et des inconvénients (il faut être sérieux parce que si l'encadrant n'a pas le temps ou le courage de forcer l'étudiant à faire ce qu'il doit faire, le résultat peut être catastrophique). Et il ne faut surtout jamais oublier que ce système coûte cher aux entreprises, bien plus si l'entreprise veut former correctement quelqu'un en alternance que ce qu'elle peut récupérer en allègement de charges. L'impression, vu d'un chef d'entreprise, est de former quelqu'un en contrat à durée déterminée, en payant pour cette formation, avec la hantise que ce quelqu'un passe à la concurrence une fois sa formation effectuée. Son problème est aussi de tomber sur un candidat qui se retrouve chez lui parce qu'il y a chauffage et lumière et qu'il fait un peu froid dehors.

Il ne s'agit donc pas de faire de la publicité pour l'alternance. Il s'agit de rendre l'alternance réellement attractive pour les entreprises. Et cela passe par un contrat de professionnalisation qui devient automatiquement un CDI avec obligation de rester dans l'entreprise durant un certain nombre d'années. Cela passe aussi par un crible sévère et sérieux des candidats, donc par une réforme complète du système éducatif. Promettre des allègements de charges à des patrons de PME qui voient défiler des candidats aux formations en alternance et qui ont déjà été confrontés au problème ne sert à rien.

 

5 commentaires

Commentaire de: Bertrand
Bertrand

“un français impécable”

Ça ne s’invente pas !

Ajoutons pour la forme que “Sa motivation est toute autre” serait plus joli sinon plus correct en “Sa motivation est tout autre". Mais celle-là est une faute assez courante. Vous êtes absous, mon fils.

11.10.11 @ 14:12
Commentaire de: Le Grincheux

Merci, mon Père ! Mais qu’est-ce que je raconte, moi… Je vous ai déjà signalé que j’ai été excommunié !

11.10.11 @ 23:50
Commentaire de: Atg
Atg

Tiens, je fais des ménages pour de l’alternance depuis environ 12 ans. Des Bac+2 et des Bac+4, secteur Logistique. Pourquoi je fais ça ? C’est assez mal payé (je regroupe en journées complètes pour que ça soit rentable), j’ai une ambiance sympa autour de moi (le style qui ne pense qu’aux vacances et au ballon - comme j’ai horreur des deux, ça flatte ma recherche d’exotisme) et surtout, ça me permet d’assouvir un vice : j’adore apprendre en même temps que ceux qui sont censés tirer de moi un enseignement.

Enseigner quelque chose que je connais et sais faire m’emmerde prodigieusement. Je ne parviens même pas à faire deux fois le même cours : je m’endors moi-même. J’apprends donc en même temps que les “étudiants” (sic), grosso-modo j’ai une quinzaine de jours d’avance sur eux. Comme on ne doit pas partager la même dimension, mes quinze jours équivalent à quelques années lumières.

Je précise que l’établissement n’est pas la gargote du coin. Non, non. C’est un grand groupe, certifié ISO 9001, pignon sur rue, service pédagogique, responsable qualité, grand groupe donc qui, de fait, suggère aux gouvernements successifs les mesures de sécurité qui vont lui rapporter de l’argent à lui, grand groupe. Les ministères ont juste à faire semblant d’avoir eu l’idée en premier, faire croire que cela vient d’eux. En fait, c’est le fournisseur qui dicte sa loi au client. Le client étant l’Etat donc.

Comment donc un “prof” (terme si vague…) peut-il faire ce qu’il veut, se torcher des référentiels, être à peine plus compétent sur le papier que ses élèves en alternance ? Mais tout simplement parce que tout le monde s’en fout !

Un étudiant en alternance, c’est quoi très concrètement. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une forme vaguement humaine qui s’endort dès qu’elle est entrée dans une salle. Avant même qu’on ait le temps de l’endormir soi-même. On se fait surprendre à chaque fois. Dans l’endormissement, il y a même une gestuelle quasi professionnelle, provenant d’une longue habitude scolaire. Cela en est même assez mystérieux un tel professionnalisme. Personnellement, je ne peux pas m’endormir la tête sur une table. A l’extrême limite, dans un fauteuil inclinable et encore, je ne fais que somnoler au mieux.

Un sujet “en alternance” ne sait pas trouver le chemin d’une bibliothèque et encore moins un bouquin sur une étagère. Même spécialisé en logistique, cad en fait en “gestion de stocks", cela lui est impossible. Il ne sait pas lire un pdf. A l’extrême limite, il peut ouvrir un powerpoint, mais il faut que cela soit très décoratif et avec quelques films dedans, certifiés “youtube” autant que possible. Alors, le terme même de “bibliographie", hein, autant ne pas en causer.

Alors, on fait le cours pour un ou deux étudiants. Au mieux. Ou pour soi-même quelquefois. En fait, pour tenter de bien comprendre et mémoriser, j’ai besoin de reconstruire. Donc, lorsque je fais un cours, je reconstruis pour moi et je suis mon premier (et des fois unique) public. N’allez pas penser que je suis impopulaire. Bien au contraire. Les étudiants me trouvent sympa, très savant, juste un poil trop élitiste. Je rappelle que je ne connais que quelques éléments de plus qu’eux.

Mais ces étudiants ne risquent-ils pas de rater leur diplôme ? Pas du tout. On frise chaque année le 100% de réussite. Ben oui. Allez dire à une entreprise qui s’est emmerdé 2 ans avec un “alternance” qu’en plus il n’aura pas son diplôme. Faut pas déconner avec ça, un client, c’est un client. Et là, le client qui fait vivre, c’est d’abord l’entreprise. C’est aussi l’étudiant ou le futur : faut qu’ils s’inscrivent les salauds. Quoi de mieux que d’offrir un Bac + 4 ? Si ça, c’est pas un argument commercial.

Mais l’entreprise ne risque-t-elle pas d’être déçue ? Y’ a vraiment que le Grincheux pour être déçu. Ce type est un romantique, ça se voit tout de suite. L’entreprise n’en a rien à foutre de la compétence du bourrin : elle lui propose une alternance où le travail qui lui sera réellement demandé sera du niveau Bac - 4. Un esclave en gros. Qui tout de même est très bon marché et peut remplacer avantageusement quelqu’un qui aurait été un vrai salarié. C’est le principe du “stagiaire". Normalement, il est là pour apprendre. Pas remplacer. Mais ça, c’est le papier. Dans la vraie vie, le stagiaire remplace un salarié. Et quelquefois, il coûte zéro euros.

J’ai rencontré il y a peu un futur ingénieur en stage dans une boîte qui fait dans le pétrole. Il leur a tout fait sur Statistica. Le grand jeu. Pour pas un rond. La boîte lui a mis une bonne appréciation générale en lui disant qu’elle le recontacterait dans une autre vie.

Dans l’alternance, plus personne ne se fait la moindre illusion. L’entreprise a besoin de larbins et fait semblant d’être intéressée par le diplôme officiel de l’étudiant. En fait, elle s’en fout complètement. L’étudiant s’en rend compte assez vite. Surtout quand on lui promet la fameuse mission “très technique” qu’il devra mener à bien, mais “qu’en attendant", compte-tenu qu’il doit passer par tous les postes “pour bien sentir l’entreprise", s’il pouvait débarrasser le camion des palettes qui y traînent, hein, ce serait un grand pas dans l’acquisition de compétences professionnelles.

L’étudiant en alternance ne va pas pousser très loin le harcèlement non plus. Désolé, je n’ai rien contre les pauvres connaissant oh combien ce problème pour l’avoir été, mais actuellement “alternance” cela veut dire la plupart du temps “succession d’échecs scolaires” (on appelle ça “professionnalisation du projet").

Curieusement, là où j’ai toujours eu les meilleurs résultats avec des étudiants intégrés dans une entreprise, c’est avec les étudiants qui, justement, n’avaient jamais mis les pieds dans une entreprise. Les purs intellectuels. Ce qui compte, c’est le moteur. Les roues, on s’en charge.

12.10.11 @ 20:50
Commentaire de: Le Grincheux

Le Grincheux n’est pas un type romantique. Demandez à sa femme !

Mais pour rester dans le sujet, si j’ose dire, le problème est différent dans les grandes entreprises où on peut cacher les mauvais éléments sous le tapis et une TPE/PME où le mauvais élément se voit tout de suite. Dans mon cas, lorsque j’investis sur un candidat, c’est dans le but d’avoir quelqu’un de formé correctement.

12.10.11 @ 21:02
Commentaire de: Atg
Atg

Le tout est de savoir ce que les entreprises entendent par “former correctement". On peut avoir des surprises. Et souvent dans les TPE/PME. Je prends des exemples concrets en logistique & transport.

Allez comprendre pourquoi, mais dans un Bac + 4 logistique, le référentiel ne comporte aucun enseignement sur ce qu’est une base de données informatique. Rien. Pas d’Oracle, Mysql ou autres logiciels barbares. Que dalle. Faut dire aussi qu’en entreprise, dans la gestion d’un entrepôt, on pourrait s’attendre à un vague programme de gestion de données. Si l’entreprise est d’importance, on aura un Oracle ou un quelconque logiciel interne avec un nom ronflant. Mais pas forcément.

Dans une PME, ça peut tourner sur du papier-crayon (je ne plaisante pas). En général, c’est du Excel. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de gérer un entrepôt ou faire du “juste-à-temps” avec un tableur, mais c’est assez sport.

N’écoutant que mon bon coeur, et prenant le seul logiciel qui existe sur le parc, à savoir Access, et étant absolument incompétent dans ce domaine (donc ça m’amuse du coup), j’apprends donc aux étudiants à utiliser ce machin et à informatiser le stock proposé par leur entreprise.

Je passe sur le fait que je ne suis jamais parvenu à faire comprendre la moindre commande SQL à qui que ce soit et que le simple fait de faire intégrer des notions de relations de tables m’a conduit souvent au bord du suicide. Au final, ça fonctionne pourtant.

Le problème récurrent, c’est que ça fonctionne trop bien. Et que les entreprises manifestent leur humeur aux étudiants zélés. En effet, comme les bourgeoises délaissées par leur mari, les stocks ont une vie occulte. Ils s’offrent à la tombée de la nuit.

En fait, tout le monde se sert. Le patron en premier. Et pour entretenir de bonnes relations avec les partenaires sociaux, il faut souvent faire des journées portes ouvertes. Même Access parvient à se rendre compte quand quelqu’un se sucre. Faut dire qu’il a été à la bonne école. Et le problème est là : il faut qu’il soit fiable. Mais pas trop quand même. Qu’est-ce donc qu’un étudiant bien formé ?

Je prends un autre exemple. Le transport de la marchandise. Est-ce que le but est que l’étudiant sache organiser une tournée cohérente avec force calcul des flux, méthode des écarts et tout le toutim ? Non. De toute façon, ce sera un échec. En revanche, avec les nouveaux chronotachygraphes, s’il sait un peu d’électronique pour bidouiller sans que les flics s’en aperçoivent (l’attaque frontale sur les fusibles étant trop basse) ou plus simplement, s’il arrive à faire comprendre aux bourrins qui conduisent les bahuts qu’ils peuvent faire un excès de vitesse style pays de l’est sans dépasser 1 min 45 (le chrono n’y voit que du feu), ça, ça a une autre gueule.

Dans le registre commercial, je me souviens d’une boîte qui faisait grand commerce de systèmes d’alarmes et d’extincteurs. La cible : le vieux. Les Bts de commerce travaillaient l’ancêtre jusqu’à pas d’heure pour qu’il achète de quoi équiper une caserne et qu’il cache sa faiblesse à ses enfants (faut tout de même pas qu’il y ait rétractation le lendemain sur un chèque tout chaud).

Donc, je ne sais pas trop ce que veulent les entreprises. Mais je peux t’assurer que quand tu demandes à un alternance français de s’exprimer à peu près correctement en français, là tu sombres dans l’originalité. Ca sent le reportage de France 3 Région un coup de cette envergure.

13.10.11 @ 21:08


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