« Avis du CERTD'après France Info »

Responsabilités de l'éditorialiste

25.03.13 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur

Daniel Schneidermann a cru bon de se fendre d'une chronique dans le journal Libération au sujet d'une intervention de Patrick Cohen dans l'émission télévisée C'est à vous. Ce n'est pas une chronique, c'est une charge. Et c'est une charge totalement déplacée qui oublie un peu vite ce qu'est le métier de journaliste.

Journaliste, et surtout journaliste d'un media comme la radio qui est sensiblement plus difficile que la télévision car on a réussi à supprimer l'image, c'est avant tout avoir la responsabilité de trier, de classer et de juger des informations que l'on va donner. Il faut le faire avec le plus d'objectivité, mais aussi avec le maximum de déontologie, ce qui peut s'avérer un exercice d'équilibriste.

Je cite ici in extenso la prose de Daniel Schneidermann. Je passe sous silence le titre lamentable dans le plus pur style de Libé qui était la liste de Cohen.

Eh bien, c’est dit. Il existe une liste noire d’invités sur France Inter. C’est l’animateur de la Matinale, Patrick Cohen, qui a benoîtement mangé le morceau. Cela se passe au micro de l’émission C’est à vous (France 5). Chroniqueur de cette émission, Patrick Cohen reçoit son collègue Frédéric Taddéï, animateur de Ce soir ou jamais, qui vient d’être transférée de France 3 à France 2. Et Cohen ne va pas le rater, Taddéï. A présent qu’il est passé sur France 2, chaîne amiral, Taddéï continuera-t-il d’inviter les maudits, comme il le faisait à l’abri de la (relative) confidentialité de France 3 ? « Vous invitez des gens que l’on n’entend pas ailleurs, mais aussi des gens que les autres médias n’ont pas forcément envie d’entendre, que vous êtes le seul à inviter. » Et Cohen cite quatre noms : Tariq Ramadan, Dieudonné, Alain Soral et Marc-Edouard Nabe. Un théologien, un humoriste, un publiciste inclassable, un écrivain : voici la liste des proscrits, des interdits, des bannis, dressée pour la première fois, tranquillement, sur un plateau de télé convivial et sympathique. Instant de vérité. Deux quinquas se font face, deux animateurs professionnels, au sommet de leur carrière, que tout pourrait réunir, et dont on réalise en une seconde tout ce qui les sépare. Cohen : « Moi, j’ai pas envie d’inviter Tariq Ramadan. » Taddéï : « Libre à vous. Pour moi, y a pas de liste noire, des gens que je refuse a priori d’inviter parce que je ne les aime pas. Le service public, c’est pas à moi. 

Exposition rapide, efficace. Rien à dire.

« On a une responsabilité. Par exemple de ne pas propager les thèses complotistes, de ne pas donner la parole à des cerveaux malades. S’il y a des gens qui pensent que les chambres à gaz n’ont pas existé. » « Qui ? » « Kassovitz sur le 11 septembre. » « Si je dis "j’ai des doutes sur le fait que Lee Harvey Oswald ait été le seul tireur de l’assassinat de Kennedy à Dallas", vous m’arrêtez ? » « Evidemment pas. » « Quelle différence ? Tout ce qui n’est pas défendu est autorisé. Je m’interdis de censurer qui que ce soit, à partir du moment où il respecte la loi. »

Mon cher Daniel, ta prose est vraiment confuse. On ne sait plus qui dit quoi. C'est certainement voulu pour asseoir ton propos.

Même si la liste Cohen mélange tout (quoi de commun entre les quatre ? Et pourquoi Kassovitz ne figurait-il pas dans la liste initiale ?) chacun en entend bien le point commun : les quatre proscrits, sous une forme ou une autre, ont dit des choses désagréables sur les juifs, Israël, ou le sionisme.

Là, c'est un peu fort. À ta place, j'irais jusqu'au bout du raisonnement si tu en as le courage. Pourquoi ne pas écrire tout de go que France Inter est une station sioniste à la solde du grand Israël ? Entre les Getta, Cohen et autres Abitboul (qui pourtant travaille les samedi et dimanche), il y a l'équivalent d'une cinquième colonne particulièrement dangereuse. Je ne vais pas prendre la défense de Patrick Cohen qui est assez grand pour se défendre tout seul, mais depuis que j'écoute ce journaliste qui  — entre nous — est largement supérieur à ton rédacteur en chef actuel qu'il a remplacé, je ne l'ai jamais entendu manquer d'objectivité sur les problèmes du proche Orient. Là encore, tout le monde ne peut pas en dire autant.

Mais soudain, Taddéï renvoie la balle. « Vous voulez que je vous fasse la liste des ministres condamnés, y compris pour racisme, que vous avez reçus dans votre émission de radio ? » « Y en a pas beaucoup. » Taddéï ne prononce pas le nom de Hortefeux, mais là aussi tout le monde a entendu pointer son nez l’éternelle concurrence victimaire : il est légitime d’être désagréable aux arabes, mais pas aux juifs.

Il y a juste une différence de taille qui t'a échappé. Pour quelqu'un qui réalisait Arrêt sur image, il est assez cocasse de le constater. Hortefeux, que tu le veuilles ou non, était un ministre de la république. Cela change un peu la donne. Aucun des autres que tu cites dans ton papier n'a eu de responsabilités de ce niveau.

Qu’on s’entende bien : c’est parfaitement le droit de Cohen, de ne pas inviter Ramadan, Soral, Nabe ou Dieudonné. Aucun cahier des charges du service public ne l’oblige à le faire. On a le droit d’estimer que Dieudonné n’est pas drôle, ou que Nabe n’est pas un grand écrivain. Cohen serait parfaitement fondé à dire « j’estime qu’il existe des théologiens plus pertinents, des humoristes plus drôles ».

Heureusement. Journaliste, c'est avant-tout un travail de classification des informations. Et lorsqu'on tient une matinale à la radio, media exigeant que l'on traite en direct, on ne peut pas tout se permettre.

Manchettes, sujets, invités : être journaliste, c’est choisir, trier, hiérarchiser. Mais aucune raison d’en faire une question de principe, et de proclamer que même la baïonnette dans les reins, on n’invitera pas Bidule. En reprochant à Taddéï d’inviter les proscrits, Cohen dit en fait « ce n’est pas parce que je ne les juge pas intéressants, que je leur barre l’accès au micro de France Inter. C’est parce qu’ils ont contrevenu à un dogme ».

J'admets que mot dogme est déplacé. En revanche, sauf à ce que Bidule ait quelque chose de réellement intéressant à dire, je ne vois pas pourquoi il faudrait offrir une tribune à ce Bidule à une heure de grande écoute.

Se priver d’invités intéressants parce qu’on n’est pas d’accord avec eux est, pour un journaliste payé par le contribuable, une faute professionnelle.

Reste à savoir si Bidule est intéressant, ce qui est tout de même du ressort du journaliste.

Et non seulement c’est indéfendable, mais c’est contre-productif. Aujourd’hui, les dissidents n’ont plus besoin de Cohen et de ses homologues, pour trouver un écho sur Internet. Avant, il était possible de décider qui étaient les « cerveaux malades », et de les condamner pour crime de pensée, comme dans 1984. Mais aujourd’hui, pour un animateur en vue, déclarer qu’il n’invitera pas Bidule, c’est hisser Bidule sur le piédestal de victime de la censure. Le pré carré audiovisuel, s’il veut rester un lieu crédible de débat d’idées, n’a donc plus d’autre choix que de s’ouvrir aux paroles jadis bannies, quitte à leur opposer une contradiction vigoureuse et argumentée, ou à les prendre à leur propre piège de la dialectique. Et de s’en donner les moyens.

Il y a juste une petite différence. Les tribunes que peuvent s'offrir ces « penseurs » sur internet n'ont pas la même audience que celles qu'ils pourraient avoir en participant à une matinale à la radio. Par ailleurs, ces fameuses tribunes ne sont pas passées au crible du filtre journalistique. Laisser à ces « penseurs » ne serait-ce que quelques minutes d'interview sur une station comme Inter revient à leur donner une importance qu'ils n'ont pas.

Taddéi a réussi a se faire Cohen. Très bien. Il a fait le buzz. L'opinion publique était avec lui, mais dès qu'on prend la peine de réfléchir et de regarder un peu plus loin que le bout de son nez, à l'aulne de sa responsabilité éditoriale, sa position est tout aussi injustifiable que ne l'est la tienne. Elle permet juste de se faire un journaliste à peu de frais en s'érigeant donneur de leçon.

De toute façon, si tu juges que certains points de vue sont censurés, pourquoi ne demendrais-tu pas à ton rédacteur en chef de faire des numéros spéciaux ou thématiques entièrement dédiés à ces grands penseurs honteusement censurés, voire de les laisser officier en tant que rédacteurs en chef pour un numéro ?

 

1 commentaire

Commentaire de: Rico
Rico

Mouais… Pour ma part je pense que les médias donnent actuellement beaucoup trop d’importance à des gens ou des courants de pensée qui ne méritent pas tant d’attention !

L’affaire Dieudonné est symptomatique de cela ou comment les médias, sous prétexte d’information, se livrent régulièrement au Dieudonné-bashing, opération mutuellement profitable aux deux parties puisque les permets font de l’audience et vendent du papier pendant que le second fait parler de lui et affiche complet à ses spectacles… Si Dieudonné ne faisait pas tout ce cirque, il aurait disparu depuis bien longtemps AMHA…

22.07.14 @ 06:59


Formulaire en cours de chargement...