« Selon que vous serez puissant ou misérable...Apartheid »

42

16.12.13 | par Le Grincheux | Catégories: Je hais l'informatique, Je hais les financiers, Je hais les marketeux

42, un joli nom pour une école…

Le simple fait que Xavier Niel soit derrière elle ne me laisse pas augurer du meilleur. Je connais le pedigree de ce monsieur, je connais assez bien l'une de ses entreprises, quasiment de l'intérieur, mais n'en dirais pas plus de peur d'essuyer ses foudres.

Cela me titillait depuis quelque temps. Je vais donc dire ici tout le mal que je pense de cette pédagogie d'autant plus que Xavier Niel vient encore une fois de dire devant les media que notre système empêche l'émergence de nouveaux Steve Jobs ou Bill Gates.

Heureusement que le ridicule ne tue pas.

Certes, ce constat est certainement vrai. Mais il y a une raison fondamentale à cela et cette raison ne réside pas dans notre système de formation. Toutes les personnes que tu cites — je te tutoie parce que tu m'amuses — ont fait leurs armes dans les années 1970. La microinformatique était en train de naître, un ordinateur classique se composait d'un microprocesseur huit bits, de quelques kilo-octets de mémoire lorsqu'on avait de la chance et de l'argent, de deux ou trois circuits logiques et d'un modulateur PAL ou NTSC pour afficher quelques caractères sur un écran de télévision. Lorsqu'on n'était pas le dernier des idiots, c'était parfaitement compréhensible et maîtrisable.

Par ailleurs, la microinformatique restant à inventer, c'est tout naturellement que ces bidouilleurs y ont participé.

Aujourd'hui, le monde de l'informatique a radicalement changé. Tout est devenu infiniment plus complexe et ce qui était accessible à un simple passionné d'électronique dans les années 1970 ne l'est plus du tout aujourd'hui. Il faut des spécialistes des algorithmes, des spécialistes des systèmes d'exploitation, des spécialistes des réseaux… Faire accroire à des étudiants qu'ils peuvent entrer dans ton école sans le bac et qu'ils en sortiront aptes à trouver un travail dans le domaine de l'informatique n'engage que ceux qui le croient.

Si encore cette formation était une formation classique, avec un bon morceau de théorie avant de passer au côté pratique de la chose, pourquoi pas. Mais cette formation est une formation qualifiée de peer to peer. En d'autres termes, chaque élève apprend des autres. Beau programme. Déjà qu'en TP d'école d'ingénieur en informatique, on se retrouve plus qu'à son tour avec des copier-coller du site du zéro, là, cela risque fort de virer à l'extase. D'après toi, cette pédagogie mise sur des compétences poussées en programmation et la capacité à innover, à voir et penser différemment.

À penser et à voir différemment. Tu parles !

L'algorithmie, puisque c'est de cela que l'on parle, est une science. C'est une branche des mathématiques avec toute la rigueur que cela impose parce qu'un programme se prouve. Son dieu que personnellement j'invoque régulièrement s'appelle Donald, pas Sutherland, mais Knuth, quoique s'il s'agissait de Sutherland, certains programmes pourraient être un peu plus rigolo. En aucun cas, cela ne s'improvise avec du peer to peer. La seule chose que l'on peut imaginer faire avec ce genre de pédagogie, c'est accumuler les connaissances à la façon d'un livre de recettes, rien de plus, puisqu'il manque le socle théorique. Tant que les recettes suffiront, on fera illusion.

Le pire, le pire est que tu justifies la fondation de ton école par l'édito suivant (source : http://www.42.fr/ledito-de-xavier-niel/). Je cite en corrigeant les fautes :

Je travaille dans l’Internet depuis vingt ans. Et depuis vingt ans le principal problème de mon métier est toujours le même : comment recruter des talents, comment trouver les développeurs dont nous avons besoin pour concevoir les logiciels qui vont nous permettre de créer des produits innovants ?

Des produits innovants ? Non. L'informatique a besoin d'ingénieurs, de techniciens, de théoriciens pour implanter des algorithmes de façon sérieuse. Tous ces métiers nécessitent une base théorique solide. Cela ne s'apprend pas en bricolant.

Aujourd’hui, le système français ne marche pas. Il est coincé entre d’une part l’université, qui propose une formation pas toujours adaptée aux besoins des entreprises mais qui est gratuite et accessible au plus grand nombre, et d’autre part les écoles privées, chères, dont la formation est assez qualitative mais laisse sur le côté de la route le plus grand nombre de talents, voire de génies, que nous pourrions trouver en France.

Et les grandes écoles ? Mon cher Xavier, si tu avais fait tes classes préparatoires jusqu'au bout au lieu de vaquer à d'autres occupations, tu aurais constaté qu'une grande école ne coûte pas plus cher qu'une université. Par ailleurs, les classes préparatoires aux grandes écoles étant ouvertes à tous, ton argument tombe à plat. Les grandes écoles sont accessibles à tous ceux qui ont du talent.

Sur la base de ce constat, nous nous sommes rencontrés avec un garçon que je connais depuis longtemps, qui s’appelle Nicolas Sadirac et qui a créé les plus grandes écoles informatiques privées de notre pays. Nous partagions entièrement avec Nicolas ce constat. Il fallait changer les choses, envisager un mode de formation différent et abandonner la structure classique de l’enseignement tel qu’il est fait en France, inadapté à la formation des talents dont nous avons besoin.

Nicolas Sadirac n'a jamais fondé que l'Épitech en 1999, école qui n'est toujours pas à l'heure où j'écris ces lignes reconnue par la comission des titres d'ingénieur (http://extranet.cti-commission.fr/recherche/rechercheEcole). Pour l'une des plus grandes écoles informatique privée de notre pays, enfin c'est toi qui le prétends et personnellement j'hésiterais à la qualifier de la sorte, cela fait un peu désordre.

Modifier le système, c’est d’abord apporter une formation différente qui ne repose plus sur les choses classiques que l’on voit depuis toujours, c’est-à-dire un professeur et des élèves, qui s’ennuient, qui en ont marre. Le système éducatif ne marche pas. On peut être en échec scolaire et pourtant correspondre à ce qui est un génie en informatique. On peut ne pas avoir le bac et pourtant devenir le développeur le plus brillant de sa génération.

Non. On ne peut pas ne pas avoir le bac et devenir le développeur le plus brillant de sa génération. Ou alors on a tout fait pour ne pas avoir le bac. Par ailleurs, si on s'ennuie en cours d'algorithmie et que l'on veut en faire son métier, il est urgent, je dis bien urgent, de changer d'orientation toutes affaires cessantes ! La programmation n'est pas un jeu et n'a pas à ne pas être ennuyante.

Pour être un programmeur brillant, il faut de la pratique et une bonne connaissance théorique de ce qu'on fait et de pourquoi on le fait. Personnellement, j'ai de longues années de développement derrière moi et il m'arrive toujours, malgré de solides connaissances théoriques, à douter de telle ou telle routine (effets de bord, comportements aux limites et j'en passe). Sans avoir les connaissances théoriques de base, ce développeur le plus brillant de sa génération ne sera capable que de coder des choses qui marchent 99% du temps et qui se vautreront le 1% du temps restant. Sachant que des spécialistes se tirent souvent des balles dans les pieds avec des fonctions comme pthread_kill(), j'aimerais assez voir ce qu'arrivera à faire ton développeur aussi brillant soit-il.

Notre deuxième volonté est de supprimer la barrière financière et d’accepter à la fois tout le monde, avec ou sans diplôme, et de faire une école entièrement gratuite. Cette école est basée à Paris aujourd’hui. Elle accueillera un grand nombre de jeunes.

Foutaises. Le problème pour un étudiant de grande école n'est pas le prix de l'écolage mais le logement.

On commence maintenant. Nous avons donc envie de vous dire quelque chose de très simple : à ceux qui veulent un beau métier, à ceux qui veulent nous aider à créer la France de demain et à créer les entreprises innovantes de demain, rejoignez-nous. Venez chez 42. On vous attend.

C'est cela. Allez-y ! Avec une telle formation, la seule chose que vous aurez au bout, et dans le meilleur des cas, c'est un poste de pisseur de code. Quand on voit actuellement ce que les SSII, principales utilisatrices de développeurs informatiques, demandent comme compétences à des ingénieurs diplômés, j'imagine à peine ce qu'elles feront d'un CV qui proviendra d'une telle école.

Mais nous sommes sauvés. La France est sauvée, Xavier Niel s'occupe de son problème de formation !

 

4 commentaires

Commentaire de:
atg

Il m’arrive d’être maître de conférence ou “rattaché de cours” dans diverses fac ou écoles.

Depuis bien des années, je constate que :

- Plus les étudiants ont un niveau élevé, plus ils vous font confiance.

Il y a souvent une grande marge de liberté dans les contenus d’un cours. Ces étudiants ne remettent pas en cause votre choix. Ils supposent, à raison, que l’on a quelque expérience, et que si on s’obstine à enseigner des choses complexes, ce n’est pas par sadisme.

- Plus leur niveau est faible, plus ils ont tendance à nous faire de l “ISO” : ils sont des “clients". Des clients qui ont la vue très courte…

Il ne faut pas trop compter dans ce cas-là sur la hiérarchie : elle pense “clients". Le choix est donc entre l’intégrité et la démagogie.

La démagogie bien entendu rend populaire et la fac a bonne presse. Sauf que ses étudiants vont se vautrer quelques mois ou années plus tard. Ce n’est pas son problème !

C’est, de mon expérience, un phénomène qui s’aggrave d’années en années.

Niel ne fait que pousser jusqu’au bout cette logique.

18.12.13 @ 07:27
Commentaire de: Le Grincheux

Seriez-vous en train de sous-entendre que Niel ne serait qu’opportuniste ?

18.12.13 @ 08:25
Commentaire de:
atg

C’est un commerçant.

Finalement, ce n’est pas le plus dangereux, car son dispositif est transparent. Aucun étudiant digne de ce nom ne peut y adhérer.

Ce qui me crée du chagrin, c’est le cas des “institutions", des écoles autrefois bien cotées qui, de manière très dissimulée, ont rejoint Niel dans leur pratique.

Je me souviens avoir participé à une sélection d’étudiants (à l’époque niveau maîtrise) dans une très vénérable institution. La sélection y est dure. A tel point qu’on trouve des tonnes d’ouvrages pour se préparer à cet examen d’entrée.

Le problème était que plus personne n’était intéressé par la dite école. Inscriptions au “concours” : à peine de quoi remplir une classe. Autant dire que j’ai sélectionné des gens qui avaient un vague Bac+4 d’à peu près n’importe quoi et que je ne me suis pas usé les yeux à lire les copies !

Les consignes étaient strictes : “Il nous faut du monde !".

J’ai enseigné à Sup de…(mon langage châtié m’oblige à terre le sobriquet de cette “école"). Je n’ai jamais pu planter un étudiant paresseux. On ne plaisante pas avec le chèque des parents !

Les collègues ne sont pas une aide. J’étais assez étonné, lorsque que j’examinais les polycopiés distribués dans une école de “logisticiens” (niveau B+4) par mes pairs, de voir qu’ils utilisaient encore une machine à écrire à boule, avec de jolies chasses fixes.

Ils avaient compris très tôt que le but était de remplir. Ensuite de divertir. Et surtout de ne pas traumatiser les chers petits. Quelques vieux cours des années 80 faisaient donc largement l’affaire.

J’ai encore une pensée émue pour les traces de “blanco” qui venaient effacer le nom du premier rédacteur, certainement décédé depuis longtemps, pour laisser un peu d’espace au titulaire actuel.

Donc, Niel n’est qu’un commerçant. Mais ça se voit sur sa gueule. Les autres, c’est plus vicieux finalement.

18.12.13 @ 15:48
Commentaire de: Henri

“J’ai encore une pensée émue pour les traces de “blanco” qui venaient effacer le nom du premier rédacteur, certainement décédé depuis longtemps, pour laisser un peu d’espace au titulaire actuel.”
Ah ah. Mais cela existait encore en 2009. J’ai vu. Et les étudiants de l’année précédente pouvait même comparer ! mais là encore il fallait être les meilleurs. On pouvait même avoir plus de 100% de réussite (si on considérait que des étudiants ne venaient plus depuis Noël).
Niel est effectivement moins hypocrite.

07.01.14 @ 16:08


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