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Le marasme pour tous

05.01.14 | par Le Grincheux | Catégories: Je hais les financiers, Je hais les politiciens

Le 31 décembre dernier, à 20h00, je n'avais rien d'autre à faire que d'écouter les vœux du président de la république. Non que j'y croie ou que j'en tire des tendances pour l'année à venir, mais c'est généralement pour moi un spectacle amusant. Et qu'avons-nous entendu ? Que la pression fiscale était trop forte — j'allais dire tu l'as dit bouffi ! —, que la courbe du chômage allait s'inverser parce qu'on commençait à sentir les premiers frémissements de l'inversion et autres balivernes. Cela relevait plus de la méthode Coué que des prévisions de Madame Soleil. C'est dire !

Pourtant, le marasme pour tous, c'est pour 2014.

En effet, tous les indicateurs économiques sont au rouge et 2014 pourrait bien voir éclater un certain nombre de bulles. Le séisme qui s'ensuivrait serait bien plus dévastateur encore que la dernière crise dont nous ne nous sommes toujours pas relevés. Forcément, nous n'en avons rien appris.

En 2013, l'indice S&P 500 de la bourse américaine a grimpé de 30%. Robert Shiller se déclarait ouvertement préoccupé par cette hausse dans un entretien au Spiegel en décembre dernier. Il faut signaler que Robert Shiller n'est pas le dernier des amuseurs publics puisqu'il est spécialiste des évaluations des actifs par les marchés boursiers et qu'il détient le prix Nobel d'économie 2013 et celui de la Deutsche Bank 2009. Selon lui, les prix des actions commencent à ne plus refléter les rendements réels. Il ne tire pas encore l'alarme mais juge que la situation actuelle pourrait très mal finir.

La position de Robert Shiller n'est pas partagée par tous. Pourtant, c'était l'un des rares à avoir prédit avec Benoît Manldelbrot la catastrophe de 2008 puisqu'il avait signé en septembre 2007 un article intitulé Bubble Trouble. Il y mettait en garde les investisseurs contre le risque d'une crise financière majeure résultat d'un effondrement du marché immobilier américain. La suite lui a donné raison.

L'un des apports de Robert Shiller à l'économie est la construction d'un indicateur mesurant le risque de crise. Cet indicateur, appelé Cape, correspond au prix de l'action divisé par la moyenne des dividendes corrigés de l'inflation servis durant les dix dernières années. Selon lui, lorsque le Cape dépasse 28, il faut tirer les sonnettes d'alarmes. Aujourd'hui, début 2014, cet indicateur vaut déjà 25. Et il monte toujours.

 

Fig. 1 : le Cape de Shiller honteusement repompé du site du Financial Times

Admirez les envolées de 1929, de 2000 ainsi que les baisses de 1932, 1973 et plus près de nous celles de l'éclatement de la bulle Internet et de la crise des subprimes.

Mais ce n'est pas tout. Des actions comme celles de Facebook (cours doublé depuis l'été dernier) ou de Twitter (cours triplé en moins de deux mois) sont totalement déconnectées des valeurs réelles de ces entreprises. D'autres jeunes sociétés lèvent des fonds à des prix aberrants et sont surévaluées. Une start up comme Box (stockage de données) est valorisée à plus de deux milliards de dollars US et une autre entreprise, à peine plus ancienne, Palantir (analyses de données automatiques pour des agences de renseignement) vaudrait neuf milliards de dollars US !

Et que dire des rachats à des montants déraisonnables d'entreprises qui n'ont encore fait aucun profit ? Souvenez-vous de Facebook qui était prêt à payer la bagatelle de trois milliards de dollars pour la start up Snapchat, un sombre service de partage de photographies et de vidéos pour adolescents… Non seulement Snapchat ne valait pas ces milliards, mais Facebook ne les avaient pas non plus en espèces sonnantes et trébuchantes. Il y a derrière ces opérations la notion de crédit et si jamais le soufflé retombe, nous aurons droit à une nouvelle crise du crédit qui ne sera pas sans nous rappeler à la fois la crise de subprimes et celle de l'implosion de la bulle internet du début des années 2000.

Mais pour 2014, il ne faudrait pas perdre de vue qu'il n'y a pas que la bulle technologique qui pourrait bien exploser. Il y a aussi une bulle immobilière. Je ne parle pas de la bulle immobilière que nous pouvons connaître en France et qui est surtout nourrie par le manque d'offre. Je parle d'une bulle immobilière dans un pays qui est l'un des principaux bailleurs de fonds internationaux si ce n'est le seul. Je parle de la Chine.

En effet, la Chine, pour obvier au ralentissement de son économie, a créé de la monnaie ex nihilo. Sa masse monétaire M2 correspondant à la somme des engagements monétaires de sa banque centrale (pièces et billets en circulation, avoirs en monnaie scripturale comptabilisée par cette banque centrale), des dépôts à vue, des dépôts à termes inférieurs ou égaux à deux ans et des dépôts assortis d'un préavis de remboursement inférieur ou égal à trois mois a crû de 175% depuis 2007.

Le problème est que cette nouvelle masse monétaire ne va pas vers la consommation ou l'investissement productif mais vers l'investissement immobilier qui est le seul moyen dans ce pays de se prémunir contre l'inflation. Ainsi, cette dette privée des chinois a augmenté deux fois plus vite entre 2008 et 2012 que celle des américains entre 2002 et 2008, juste avant l'explosion des subprimes. John Williams, président de la FED de San Francisco, a même signalé lors d'une conférence :

De nombreux observateurs craignent que des prêts et emprunts excessifs ne créent (en Chine) une bulle, de la même nature que celle qui a éclaté aux États-Unis.

En Europe, nous sommes partisans d'une monnaie forte et de taux d'intérêts faibles. En d'autres termes, nous sommes partisans de la rigueur budgétaire et je dois dire qu'il était temps. Pourvu que l'on garde cette orthodoxie budgétaire parce qu'elle est le seul rempart contre un éclatement de la bulle technologique américaine et du crédit chinois qui pointent. Sans cela, l'année 2014 pourrait bien être sportive.

Pourtant, les adversaires de l'austérité feront tout pour laisser filer la monnaie et contraindre la banque centrale européenne à faire tourner la planche à billets. S'ils gagnent, non seulement nous aurons une dépréciation de l'euro (sous forme d'inflation ou de taux d'intérêt plus grands), mais nous serons d'autant plus vulnérables à l'explosion de ces bulles.

Alors en 2014, au moins aux européennes, votez en regardant un peu plus loin que le bout de votre nez. Votez pour l'intérêt général et non pas pour votre intérêt particulier.

 

2 commentaires

Commentaire de: patrick
patrick

Je suis totalement d’accord avec votre exposé. J’ajouterai que nous sommes nos principaux instigateurs de notre mal, nous ne sommes jamais content de nos hommes et femmes politiques, mais au moment de voter, c’est-à-dire de les sanctionner, nous revotons pour les mêmes partis. Ils polluent notre sens de la réflexion par des sois disant pactes républicains afin que nous continuons à voter pour leurs partis politiques. Regardez-les tous à la télé comme ils sont pitoyables. Ils n’y a qu’eux pour aimer cette Europe qui nous étouffe et qui nous ruine individuellement.

07.01.14 @ 14:13
Commentaire de: Le Grincheux

Ce n’est pas l’Europe qui nous étouffe ou qui nous ruine individuellement, mais nos gouvernements nationaux. L’Europe n’est pas responsable du déficit chronique de notre budget national. L’Europe n’est pas responsable de nos choix nationaux. La seule chose qu’elle nous empêche de faire, c’est une dévaluation compétitive et elle a parfaitement raison. Une dévaluation reviendrait à reculer pour mieux sauter car c’est une austérité qui ne dit pas son nom et qui sur le long terme est beaucoup plus dure puisque le loyer de l’argent augmenterait considérablement et de façon durable.

L’Europe, que l’on soit pour ou contre sa forme actuelle, et une monnaie forte sont nos seules chances vis à vis des catastrophes financières qui arrivent. Il faudrait bien que tous ceux qui veulent revenir au franc le comprennent une fois pour toute. J’ajouterais qu’une monnaie forte pourrait bien être le franc français mais tous les partis qui veulent y revenir ne le veulent que pour jouer sur sa valeur et la faire flotter. Ils veulent non seulement la sortie de l’Euro, mais aussi bannir tout mécanisme de type “serpent monétaire". Ils veulent utiliser la monnaie comme instrument politique or une monnaie n’est pas un instrument politique, c’est un instrument économique dont la valeur correspond à une vigueur économique dès qu’elle n’est plus adossée à du métal.

On peut prétendre que l’Europe n’est pas assez démocratique. C’est peut-être le cas, mais dans ce cas, pourquoi autant d’abstention pour les européennes ? On peut dire que ses structures sont complexes, alambiquées. C’est possible. Mais ce n’est pas pour cela qu’il faut aller voter pour des populismes qui n’en veulent pas parce que cela sert leurs intérêts propres et non l’intérêt collectif.

L’intérêt collectif est aujourd’hui une Europe forte, fédérale et intégrée. Pas un éclatement que les euro-sceptiques appellent de leurs voeux.

Et demain, on ne rasera plus gratis.

07.01.14 @ 23:36


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