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La pelle du 18 juin

01.07.15 | par Le Grincheux | Catégories: Déclaration de guerre

Ce jour est un grand jour. La guerre n'est pas terminée, mais nous avons remporté une petite victoire. En effet, en ce beau jour du 18 juin 2015, la cour de cassation a confirmé que les caisses de sécurité sociale française sont des entreprises soumises à concurrence et qu'elles n'ont aucun moyen de contrainte pour recouvrer des cotisations en l'absence de contrat.

Arrêt n° 986 du 18 juin 2015 (14-18.049) - Cour de cassation - Deuxième chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2015:C200986

Union européenne ; Sécurité sociale

Rejet

 

Demandeur(s) : M. X... ; et autres
Défendeur(s) : caisse de mutualité sociale agricole (CMSA)


 

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 25 mars 2014), que la caisse de mutualité sociale agricole de Sèvres-Vienne (la CMSA), ayant, pour obtenir le paiement des cotisations sociales afférentes aux années 2004 à 2007, pratiqué des oppositions à tiers détenteur sur leurs comptes bancaires, M. et Mme X..., exploitants agricoles, ont saisi un juge de l’exécution aux fins d’annulation ;

Sur la demande de saisine préjudicielle de la Cour de justice de l’Union européenne, qui est préalable :

Attendu que M. et Mme X... demandent que soit posée à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante : Les dispositions L. 723-1, L. 723-2, L. 725-3 et L. 725-12 du code rural et de la pêche maritime en tant qu’elles confèrent aux organismes de mutualité sociale agricole des attributions exorbitantes du droit commun pour le recouvrement des créances de cotisations et de majorations et pénalités de retard se rapportant à une adhésion obligatoire au régime de sécurité sociale agricole sont-elles compatibles avec le principe de la liberté de prestations de service active résultant des directives 92/49/CEE du 18 juin 1992, 92/96/CEE du 10 novembre 1992 et 2005/29/CE du 11 mai 2005, ensemble les articles 56 et 57 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi qu’avec le principe de liberté d’association et le droit d’accéder à un régime de sécurité sociale garantis par l’article 12 et 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ? ;

Mais attendu que si l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne rend obligatoire le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne lorsque la question est soulevée devant une juridiction dont la décision n’est pas susceptible d’un recours juridictionnel en droit interne, cette obligation disparaît quand la question soulevée est matériellement identique à une question ayant déjà fait l’objet d’une décision à titre préjudiciel dans une espèce analogue ;

Et attendu que la Cour de justice des communautés européennes saisie d’une question identique l’a tranchée par arrêt du 26 mars 1996 (affaire C.238/94) ;

D’où il suit qu’il n’y a pas lieu à saisine préjudicielle ;

Sur le premier moyen pris en ses quatrième et cinquième branches :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

1°/ qu’il résulte de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 3 octobre 2013 (C-59/12) que les organismes en charge de la gestion d’un régime de sécurité sociale sont des entreprises entrant dans le champ d’application de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur ; qu’il en résulte corrélativement que les affiliés à un régime de sécurité sociale sont des consommateurs, au sens de cette directive, qui, en tant que tels, bénéficient d’une liberté de prestation services active et ne peuvent être contraints de s’affilier à un régime de sécurité sociale déterminé ; qu’en jugeant le contraire, pour débouter les époux X... de leur demande de mainlevée des oppositions à tiers détenteur, la cour d’appel a violé les articles 56 et 57 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ensemble les directives 92/49/CEE du 18 juin 1992, 92/96/CEE du 10 novembre 1992 et 2005/29/CE du 11 mai 2005 ;

2°/ que la soumission des prestations délivrées par les organismes en charge de la gestion d’un régime de sécurité sociale aux dispositions de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 emporte mise en oeuvre des dispositions du droit de l’Union, et application corrélative des articles 12 et 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantissant la liberté d’association et le droit d’accéder à un régime de sécurité sociale, lorsqu’un organisme de mutualité sociale agricole procède à une affiliation et recouvre les créances qui s’y rapportent ; qu’en se limitant à se référer à une décision de la Cour de justice excluant les régimes de sécurité sociale du champ d’application des directives 92/49/CEE du 18 juin 1992 et 92/96/CEE du 10 novembre 1992 quand les dispositions des articles L. 722-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime imposant une affiliation au régime de sécurité sociale agricole et conférant aux organismes de mutualité sociale agricole des attributions exorbitantes du droit commun en matière de recouvrement des cotisations et contributions concourant au financement de ce régime donnent lieu à la mise en oeuvre du droit de l’Union et sont contraires, en tant qu’elles rendent cette affiliation obligatoire et confèrent ces attributions, à la liberté d’association et au droit d’accéder à un régime de sécurité sociale garantis par les textes précités, la cour d’appel a violé les articles 12, 34 et 51 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

Mais attendu, selon l’article 2, d) de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil, qu’on entend, aux fins de la directive, par « pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs » toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs » ; que le recouvrement selon les règles fixées par les règles d’ordre public du code rural et de la pêche maritime des cotisations et contributions dues par une personne assujettie à titre obligatoire au régime de protection sociale des travailleurs non salariés agricoles ne revêt pas le caractère d’une pratique commerciale au sens des dispositions sus-rappelées et n’entre pas, dès lors, dans le champ d’application de la directive ;

Et attendu que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reconnaît, respecte, en son article 34, § 1, le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales et énonce en son article 51, § 2, repris dans l’article 6 du Protocole n° 30 sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne annexé au Traité sur l’Union européenne, que la Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union européenne au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités ;

D’où il suit qu’inopérant en sa première branche, le moyen n’est pas fondé pour le surplus ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres griefs du pourvoi annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

Dit n’y avoir lieu à saisine à titre préjudiciel de la Cour de justice de l’Union européenne ;

REJETTE le pourvoi ;

 


Président : Mme Flise
Rapporteur : Mme Depommier, conseiller
Avocat général : Mme Lapasset, avocat général référendaire
Avocat(s) : SCP Roger, Sevaux et Mathonnet ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix

Étonnant, non ?

Je vous livre maintenant la critique de l'ami JNB qui rejoint totalement la mienne :

Certes l'arrêt du 18 juin est encore une fois alambiqué, contradictoire, et pour tout dire scandaleux en ce qu'il déboute un couple d'agriculteurs sans même examiner le fond de l'affaire, à savoir d'une part l'existence même et la qualité à agir de la MSA (2ème moyen de cassation) et d'autre part les nombreux vices de forme de la procédure de recouvrement (3ème moyen de cassation).

Certes la Cour de cassation refuse encore une fois l'accès à la CJUE en se retranchant derrière l'arrêt Garcia dont on sait qu'il était entaché d'une grave erreur de fait (puisqu'il se basait à tort sur une prétendue nature publique et non privée des caisses françaises).

Certes la Cour de cassation procède à un "saucissonnage" de la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales, prétendant ôter à cette directive tout effet en matière de recouvrement en contradiction manifeste avec celle-ci, et en particulier ses articles 2 d («pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs» : toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d'un professionnel, en relation directe avec la promotion, la VENTE ou la fourniture d'un produit aux consommateurs) et 3-1 (La présente directive s'applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, telles que définies à l'article 5, avant, pendant et APRES une transaction commerciale portant sur un produit).

Malgré tout cela, cet arrêt constitue une formidable avancée pour notre combat, en ce qu'il valide l'application aux caisses françaises (à l'exception du recouvrement) de la jurisprudence de la CJUE (arrêt BKK du 3 octobre 2013) sur les pratiques commerciales déloyales, réduisant à néant l'argumentation des caisses françaises qui prétendaient que cette jurisprudence ne lui était pas applicable (voir en particulier le communiqué de presse mensonger de la direction de la sécurité sociale en date du 29 octobre 2013, repris en choeur par tous les thuriféraires du monopole).

Donc oui les caisses françaises sont bien des entreprises auxquelles s'applique la directive interdisant les pratiques commerciales déloyales, trompeuses et agressives.

Une pratique commerciale est agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou de l'usage d'une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l'entourent :

  1. Elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d'un consommateur ;
  2. Elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d'un consommateur ;
  3. Elle entrave l'exercice des droits contractuels d'un consommateur.

Une pratique commerciale agressive se traduit par des sollicitations répétées et insistantes ou l’usage d’une contrainte que celle-ci soit physique ou morale. Elle est caractérisée par la pression exercée sur le consommateur afin de le faire céder ou d’orienter ses choix.

La pression exercée sur le consommateur doit avoir pour conséquence d’altérer sa liberté de choix, en amont de la conclusion du contrat, ou de vicier son consentement au moment de la conclusion du contrat, ou d’entraver l’exercice de ses droits contractuels après que le contrat ait été conclu.

Le paragraphe II liste les éléments à prendre en considération pour déterminer les notions de harcèlement, de contrainte et d’influence injustifiée, parmi lesquels: "Tout obstacle non contractuel important ou disproportionné imposé par le professionnel au consommateur souhaitant faire valoir ses droits contractuels, et notamment celui de mettre fin au contrat ou de changer de produit ou de fournisseur."

Dans la liste des pratiques commerciales agressives en toutes circonstances figure: exiger le paiement immédiat ou différé de produits fournis par le professionnel sans que le consommateur les ait demandés".

L'arrêt du 18 juin (ou plutôt l'appel du 18 juin) est donc un appel à porter plainte devant les juridictions pénales contre ces pratiques commerciales agressives qui sont passibles des sanctions pénales et peines complémentaires prévues aux articles L.122-11 à L.122-15 du code de la consommation, à savoir :

  • Emprisonnement de deux ans au plus et amende de 150.000 euros au plus (article L.122- 12).
  • Pour les personnes physiques, interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une activité commerciale. (article L.122-13).
  • Pour les personnes morales, amende au quintuple de celle prévue pour la personne physique conformément à l’article 131-38 du code pénal et peines complémentaires mentionnées à l’article 131-39 du code pénal (article L.122-14).

Par ailleurs, un contrat conclu au terme d’une pratique agressive, est NUL ET DE NUL EFFET (article L.122-15).

Et l'avis de l'ami JLL :

Avant de rappeler que cet Arrêt est tout sauf une victoire, force nous est de constater une fois de plus le déni de justice dont se rend coupable la Cour de cassation.

À titre d'exemple : Selon cet Arrêt les caisses semblent devoir rentrer dans le champ d'application de la Directive européenne 2005/29/CEE mais le recouvrement de ces mêmes caisses n'y entrerait pas alors que le recouvrement n'est jamais qu'une conséquence des activités de ces caisses.

Une telle affirmation ne peut être que sans fondement.

C'est une fois encore une parodie de justice.

Cependant, à la lecture de cet Arrêt, il nous est permis de considérer que la Cour s'est mise dans une position qui lui sera bientôt nettement défavorable. Ne vous en déplaise, il vous est loisible d'en prendre acte Messieurs les Juges.

 

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