Clap de fin »

L'idéal de la sécu

02.10.25 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Pignoufferies de presse

Je n'en peux plus, on n'entend plus depuis quelques jours que parler des quatre-vingts ans de la sécurité sociale française et de son prétendu idéal.

Je vais être franc, il n'y a pas et il n'y a jamais eu d'idéal de la sécu sauf, peut-être, pour les partenaires sociaux. Ceux qui n'en sont pas convaincus n'ont qu'à aller aux Archives Nationales de France regarder ce qu'on trouve — de mémoire — à la cote X04 ou lire les Journaux Officiels de la République Française entre octobre 1945 et juillet 1946 pour se faire un petite idée d'un mythe qui a la vie dure et qui sert exclusivement des intérêts politiques et syndicaux.

Dans un premier temps, il faut savoir, et je suis sûr que beaucoup l'ignorent, qu'il existait un système obligatoire pour les salariés avant 1940. Ce système, les assurances sociales, couvrait a minima les risques de maladie, de prévoyance et de retraite. Les caisses étaient des caisses patronales. À ce propos, la retraite qui était alors par capitalisation, pouvait être prise à l'âge de soixante ans. Nous y reviendrons.

En 1939 éclate la seconde guerre mondiale. Outre la ligne de Dédé Maginot, l'armée française était récipiendaire d'un secret militaire bien gardé : tout le monde en France savait que le généralissime Gamelin était un con sauf les militaires. En 1940, la déroute amène au pouvoir un certain Pétain dans des conditions troubles qu'un certain Hans Kelsen a étudiée pour mettre au point une vision synthétique du droit que j'ai déjà évoqué dans ces pages, trouvant anormal qu'une constitution ait été abrogée par un simple décret. Et comme à son habitude, le sauveur de la France s'est couché. Il n'a pas fait autre chose que de la communication pour obtenir le pouvoir, il avait déjà fait cela à Verdun avec un certain succès. Oui, parce que Pétain n'a jamais été non plus le vainqueur de Verdun, ça aussi, c'est une réécriture de l'histoire. La bataille de Verdun fut gagnée huit mois après son départ du commandement par Nivelle, Mangin et des militaires d'exception comme le commandant Raynal.

En 1941, selon les conditions de l'armistice, il fallait payer des indemnités d'occupation. Il fallait donc trouver de l'argent et les caisses étaient vides parce que l'activité économique s'était drastiquement réduite. Un certain René Belin a proposé de remplacer le système de retraite par capitalisation par un système par répartition, ce qui permettait de spolier les caisses des assurances sociales de toutes leurs réserves pour donner le magot à l'occupant. Cela permettait aussi d'assurer un revenu aux travailleurs d'avant-guerre (commerçants, artisans…) qui n'avaient pas l'obligation de cotiser à une caisse de retraite et qui se sont retrouvés sans activité. On parle d'un million de personnes.

René Belin était le numéro 2 de la CGT, ce qui ne l'a pas empêché non plus de (co)signer la loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs et le décret du 9 novembre 1940 dissolvant les confédérations patronales et syndicales. Ce sale type (je pèse mes mots, regardez sa biographie) a institué le 11 octobre 1940 un fonds national de chômage, le 14 mars 1941 la retraite des vieux travailleurs, le salaire unique, le renforcement de l'inspection du travail et j'en passe. Il aide aussi par la propagande à l'instauration du Service du Travail Obligatoire (STO). Chose surprenante, Belin qui après s'être caché à Paris de 1945 à 1947, fit de même en Suisse jusqu'en 1949. Traduit en justice, il bénéficie d'un non-lieu le 29 janvier 1949 sans avoir à comparaître eu égard, je cite, à « son attitude d'opposition aux demandes des Allemands » et son souci d'assurer la défense des intérêts français. Vous m'en direz tant.

Donc Belin crée un système par répartition en retirant des caisses d'avant-guerre leurs fonds pour payer les indemnités d'occupation. En 1945, si la situation militaire s'est améliorée, on ne peut pas réellement dire qu'il en fut de même pour la situation économique. Les caisses étaient toujours vides et il était impossible de repasser à un système par capitalisation. Incidemment, beaucoup d'archives qui étaient à l'époque papier ont été détruites, ce qui fait que nombre de salariés ayant cotisé aux assurances sociales se sont retrouvés au minimum vieillesse ne pouvant prouver leurs cotisations. Si j'avais mauvais esprit, je dirais que cela arrangeait bien les caisses de retraites.

Le GPRF n'a fait qu'acter cette impossibilité de retour immédiat à la capitalisation pour créer un système par répartition temporaire. L'idée était de repasser progressivement à la capitalisation sur une génération. C'est dans ce sens et ce sens seulement que De Gaulle a produit deux ordonnances. La première, celle du 4 octobre 1945, porte la création de la sécurité sociale et entre en vigueur le 1er juillet 1946. Elle n'est d'ailleurs pas signée De Gaulle, preuve qu'elle devait être publiée rapidement. Et pour cause, une seconde ordonnance datée du 19 octobre 1945, signée elle par De Gaulle, instaure les sociétés mutualistes en abrogeant par extinction les sociétés de secours mutuels.

Je récapitule :

  • 4 octobre 1945 : instauration du principe de la sécurité sociale, entrée en vigueur le 1er juillet 1946. Cette ordonnance stipule que les caisses fonctionnent selon la loi de 1898 portant le statut des sociétés de secours mutuels ;
  • 19 octobre 1945 : abrogation de la loi de 1898 sur les sociétés de secours mutuels. Les sociétés de secours mutuels existantes ont deux ans pour se conformer à cette ordonnance, soit jusqu'au 21 octobre 1947. Il n'est plus possible de créer une société de secours mutuels.

Vous pouvez prendre le truc dans tous les sens, il est impossible de créer à partir du 20 octobre 1945 une société de secours mutuels, il est tout aussi impossible de créer une caisse de sécurité sociale avant le 1er juillet 1946. Et vous pouvez tout aussi lire entre les lignes, s'il existe bien un monopole de régime (ce que vous payez, ce que vous recevez en échange), il n'existe aucun monopole de caisse. Et ce monopole n'existe pas plus aujourd'hui.

Tant que De Gaulle était au pouvoir, ces deux ordonnances ont été respectées. Mais il a démissionné le 20 janvier 1946. À partir de cette date, les Journaux Officiels de la République Française contiennent des pages et des pages de caisses de sécurité sociale créées ex nihilo par absorption de sociétés de secours mutuels. En fusionnant deux sociétés de secours mutuels, on peut imaginer obtenir une autre société de secours mutuels, mais en absorbant, il faudrait déjà que l'entité finale préexiste. Là, rien. On crée par décret des caisses de droit public (les caisses mère gérant les régimes) et des caisses de droit privé (les caisses de prestation) qui sont laissées dans la main des syndicats de l'époque.

Premier écueil : des entités de droit privé ont été créées par la loi, ce qui devrait normalement faire sourire n'importe quel étudiant de droit de première année.

Deuxième écueil : ces caisses ont été créées comme des sociétés de secours mutuels invoquant l'ordonnance du 4 octobre 1945 avant l'entrée en vigueur de celle-ci et après le 20 octobre 1945. Caramba !

Troisième écueil : ces caisses se sont mises à fonctionner avant le 1er juillet 1946. À cette date, tous les salariés étaient assurés contre leur gré aux caisses des syndicats et plus personne n'est entré dans la danse. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle des assureurs font en France de l'assurance santé ou assurance retraite (régime obligatoire et complémentaire) mais que ces services ne sont accessibles qu'aux français résidant à l'étranger s'ils ne veulent pas cotiser à la Caisse des Français de l'Étranger (CFE). Pour ceux qui résident et travaillent en France, la confusion entre les caisses de collecte (URSSAF) et les caisses de prestation (CPAM, CAF et autres) rend ce choix impossible.

Bref, nous avons un empilement de caisses en majorité de droit privé créées dans l'illégalité la plus crasse et qui perdure parce qu'elles ont le bénéfice d'une juridiction d'exception que sont les pôles sociaux des tribunaux judiciaires. Rares sont les caisses qui peuvent justifier de leurs créations conformément aux textes en vigueur qui sont toujours ceux de 1945 malgré deux codifications du code de la sécurité sociale parce que le décret de codification dispose que cette codification est faite à droit constant.

En 1948, le gouvernement pousse les droits à la retraite par une série de lois. Sont créées les caisses pour les travailleurs non salariés et le principe d'un régime unique pour tout le monde. Sauf que non, ça ne passe pas. Les assurances sociales d'avant-guerre permettaient de partir à la retraite à soixante ans. En 1948, ce sera soixante-cinq avec des pensions réduites par rapport à 1940. Les syndicats qui sont devenus à la même époque des partenaires sociaux ont refusé cela pour leurs ouailles et leurs bastions syndicaux. Mais c'était bon pour tous les autres qui n'étaient pas ou étaient mal syndiqués. Le régime universel avait dès lors du plomb dans l'aile puisqu'il y avait un régime pour les salariés communs et des régimes spéciaux dans les bastions syndicaux (EDF, RATP, SNCF, GDF, Air France et j'en passe), régimes qui n'étaient que les anciens régimes des assurances sociales bien plus avantageux.

Dès 1948, la cour des comptes alerte sur les comptes de la sécurité sociale. Elle le fera régulièrement jusqu'à nos jours.

En mai 1958, De Gaulle revient au pouvoir comme président du conseil. Il se penche entre autres sur la sécurité sociale qui n'arrive pas à faire rentrer des cotisations correctement. Dans tout ce joyeux foutoir, sa première réaction est d'écrire un courrier au ministre de la santé — courrier qui se trouve aux Archives Nationales — dans lequel il indique qu'il faut abroger la sécurité sociale en tant que son principe a été dévoyé (sic). Rien que ça, mais c'est toujours vrai parce que les caisses actuelles servent avant tout au financement des syndicats. Pour cela, lire attentivement les bilans des caisses disponibles publiquement sur le cite internet de l'ACOSS (un EPA qui chapeaute les URSSAF qui sont de droit privé), surtout le passage d'une année à la suivante. Et mettre cela en regard du code de la sécurité sociale et du code de la mutualité, en particulier le L110, qui imposent outs deux que ces caisses sont des sociétés mutualistes

Sauf qu'il n'a pu constater que le fait que la sécurité sociale pesait déjà plus lourd que l'état. Il s'est alors contenté de faire rentrer efficacement l'argent dans les caisses en créant un service de recouvrement départemental par fusion des services de recouvrement des CPAM et CAF qu'il a appelé URSSAF en 1960 ainsi que l'EN3S (École Nationale Supérieure de Sécurité Sociale, si, si, il y a une école spécialisée, vous ne pouvez pas comprendre le truc en passant par ailleurs). Certaines caisses ont essayé de faire tellement n'importe quoi que leurs statuts ont été abrogés par le gouvernement, ce qui ne leur a pas empêcher de fonctionner sans statut durant cinquante ans (Corrèze : abrogation des statuts en 1962, fusion en 2012, documents aux Archives Nationales, Pierrefite-sur-Seine. Même remarque pour le Haut-Rhin qui s'est permis le luxe de demander un permis de construire à la ville de Mulhouse en 1959 alors que ses premières traces légales en tant qu'entité juridique constituée date de septembre 1974.).

Venons-en à la cerise sur le gâteau. Contrairement à une idée répandue, toutes ces caisses sont excédentaires. Elles dégagent des bénéfices et paient de l'impôt sur les sociétés à taux réduit au titre des sociétés mutualistes, ce qu'elles affirment pourtant pas être. Oui, parce qu'elles ont une activité, elles gèrent pour le compte de l'état un flux d'argent et se rémunèrent sur ce flux au travers des remises de gestion. Si les régimes sont déficitaires, les caisses, elles, ont une belle rentabilité. Et là, il faut vous poser une question : où va cet argent puisque ces caisses n'ont pas besoin d'investir ? Elles n'ont pas de bâtiments, ceux-ci étant fournis par les départements, pas de matériel délirant à financer, normalement pas d'actionnaires. Les comptes étant séparés, elles n'ont pas besoin de faire des réserves.

Les caisses de sécurité sociale sont en fait un moyen de financement des partenaires sociaux sur le dos des heureux cotisants. Raison pour laquelle les syndicats qui ne sont pas sur la liste des partenaires sociaux font des yeux doux aux différents gouvernements pour en être et avoir une part du gâteau.

Ça fait quatre-vingts ans que c'est comme ça, que rien ne change parce ceux qui pourraient le faire changer n'ont pas le courage de le faire (coucou les magistrats qui violent le CPC à chaque audience des TJPS et qui ne sont même pas fichus de s'accorder sur les formes juridiques des mêmes caisses donc sur les textes de loi qui leur sont applicables !) et que cela plombe l'activité économique de la France avec des cotisations délirantes pour de moins ne moins de prise en charge et l'absence de fonds de pension qui pourraient investir l'argent dans l'économie réelle plutôt que de le répartir immédiatement.

 

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