Nous y sommes. Les populistes de tous poils ont gagné et le gouvernement Barnier est censuré. Contrairement à ce qui a pu être dit et écrit ici ou là, c'est une première au visa de l'alinéa 3 de l'article 49 de la constitution de la Ve république. La censure de 1962 de Pompidou fut au visa de l'alinéa 2.
La situation est inédite puisque si la gauche noyauté par l'extrême gauche s'est alliée avec l'extrême droite noyauté par Le Pen — qui a prouvé hier sur TF1 devant Gilles Bouleau qu'elle n'a strictement rien compris à la constitution française ni à l'élaboration d'un budget, mais comme ses ouailles comprennent encore moins qu'elle, ça passe sans problème —, ce n'est qu'un assemblage de bras cassés qui n'a qu'un seul objectif, la démission d'Emmanuel Macron quitte à passer par un chaos généralisé.
L'Arsouille avait tort sur presque tout, mais dans le cas de Mélenchon, il avait parfaitement raison en traitant cet individu de petit monsieur minable et dangereux. Il ne pouvait pas trop s'épancher sur la dynastie Le Pen qu'il a tout de même contribué à installer pour diviser la droite. Et avec quel résultat.
Bref, les deux extrêmes se sont alliés, ont censuré le gouvernement qui est tombé. Michel Barnier savait qu'il était en sursis avec une assemblée pareille dans laquelle la démagogie la plus crasse, celle qui nous envoie dans le mur depuis plus de quarante ans à grands coups de budgets insincères et immanquablement en déficits chroniques. Au lieu de proposer un budget de rupture coupant dans toutes les dépenses inutiles, il a essayé de discuter avec ses deux ennemis déclarés. Avec un magnifique résultat.
Le Parti Socialiste qui a vendu son droit d'aînesse contre un plat de lentilles électorales a entonné avec La Faillite Intellectuelle, pardon La France Insoumise, que ce sera tout le programme du Nouveau Front Populaire et rien que le programme du Nouveau Front Populaire. Dans ces conditions, quelle est la marge de négociation avec la gauche ? Les cuistres caciques du Parti Socialiste ont tout de même eu l'outrecuidance de regretté l'absence de négociation avec le Nouveau Front Populaire. Mais lorsque ce front a refusé à ses membres de participer à un éventuel gouvernement, on ne peut pas réellement dire qu'il a brillé par son ouverture.
Le Rassemblement National a fait du chantage. Il y excelle. Barnier a cédé sur les retraites (alors que c'était le dernier point sur lequel il fallait leur céder). Et une fois cette chose acquise la raclure servant de fille au borgne a poussé le bouchon encore plus loin. Sa position est aussi le programme du Rassemblement National, tout le programme et rien que le programme lui aussi totalement délirant financièrement parlant.
Dans ces conditions, comment établir un budget ? D'autant qu'il devient urgent de faire des coupes budgétaires dans tout ce qui est superflu. Sans compter le problème des montants des retraites qui sont beaucoup trop lourdes pour les finances de l'état.
Barnier a donc sauté malgré son tour d'équilibriste budgétaire et un budget qui était totalement discutable tant les problèmes de fond n'étaient même pas abordés. C'était pourtant le bon gars, habitué aux situations et négociations compliquées. Mais pour négocier, encore faut-il en face des gens honnêtes et non des gens qui sont là avant tout pour servir leurs propres intérêts et non ceux du pays.
Pour LFI, soit ses représentants sont débiles — et leurs électeurs auront ce qu'ils méritent, c'est-à-dire pas grand'chose, mais nous formerons les colonnes des dégâts collatéraux de leurs décisions ineptes —, soit ils sont machiavéliques et veulent le pouvoir pour le pouvoir quitte à installer un chaos indescriptibles.
Pour le RN, il faut absolument faire oublier les ennuis judiciaires du parti et la potentielle inéligibilité de sa candidate désignée autoritairement pour 2027, quitte à forcer la démission du président de la république par tous les moyens. Il faut aussi faire oublier la médiocrité crasse de l'immense majorité de ses élus.
Quelle que soit la suite, ça va tanguer. Grâce à un bidouillage constitutionnel dont nous avons une certaine habitude, il est impossible de dissoudre l'assemblée avant l'été 2025. Et même s'il était possible de dissoudre aujourd'hui, rien ne nous dit qu'il n'y aurait pas une assemblée dans les mêmes dispositions et trois blocs refusant toute négociations entre gens intelligents. Du reste, rien ne nous dit que le résultat soit différent dans sept mois.
La situation est bloquée et, paradoxalement, les gens qui vont s'en prendre le plus dans la figure sont les électeurs des députés qui ont voté la censure hier soir. C'est, à vrai dire, un vrai et juste retour de bâton.
Cette situation n'est que le fruit de ce fichu front républicain. Le front républicain ne peut se limiter à voter contre le Rassemblement National. Il faut que les élus de ce front républicain, une fois en place, luttent contre ce qui fait monter ce Rassemblement National. Or rien n'est jamais proposé, une fois élus, ils se comportent comme les pires des partisans possibles. Et c'est pour cela qu'on se retrouve dans la situation actuelle. Le responsable de la situation actuelle n'est pas le président de la république, mais les députés qui font depuis des années de la bouillie partisane au lieu de traiter les problèmes entre gens dotés d'un minimum d'intelligence. C'est pour cela qu'on se retrouve avec deux blocs formés par La France Insoumise et le Rassemblement National qui proposent des « nouveautés » ou un renouveau politique alors que ce sont le même genre de personnages ne sachant qu'aller à la gamelle (et qui, souvent, ne seraient pas capables de la trouver seuls, il suffit de les écouter pour s'en convaincre). Leurs propositions sont assez simples pour ne pas dire simplistes : des discours ronflants, capables de caresser l'électeur moyen dans le sens du poil, mais qui sont incapables de travailler ensemble pour le bien commun.
Ce pays est foutu. On n'en sortira que mal et par le bas, par une banqueroute et l'arrivée de l'Union Européenne dans la gestion franco-française ou celle du Fonds Monétaire International qui imposeront des coupes franches partout. Et cette austérité ne sera pas la faute de ces entités extérieures, elle ne sera la conséquence que du vote des français durant plus de quarante ans. L'addition sera salée, parce que comme toute addition, elle finit toujours par se payer.
Il est intéressant de regarder les statistiques qui sont en train de tomber sur la sociologie du vote MAGA.
Ce graphique indique l'évolution des votes pour les démocrates et les républicains entre 1996 et 2024. On constate qu'en 28 ans, l'électeur médian est passé pour les républicains de quelqu'un à hauts revenus et haute éducation à quelqu'un à bas revenus et aucune éducation (au sens de diplôme universitaire). Les démocrates ont fait le chemin en sens inverse.
L'électeur américain a donc voté pour amener au gouvernement un milliardaire (peut-être plusieurs) qui se contrefiche royalement de ses besoins. Gageons qu'il va se rendre compte assez rapidement qu'il sera cocu.
Un autre graphique est intéressant et a été présenté hier dans les médias américains. Il s'agit du clivage entre les deux partis principaux et de son évolution dans le temps.
La ligne de partage varie énormément au cours du temps et bascule jusqu'à ce que le parti républicain contienne la quasi intégralité des populistes.
Je ne sais pas si vous avez bien remarqué, mais la campagne de l'agent orange a été faite en grande partie au nom de la sacro-sainte liberté.
Liberté d'expression selon le cuistre Elon Musk qui n'est là que pour continuer à obtenir des subventions de l'état fédéral grâce auxquelles il a fait sa fortune — tout en officiellement les combattant en soutenant Trump, quel sale type ! —, mais aussi liberté de censure (des livres qui ne plaisent pas aux MAGA, on dénombre à ce titre aujourd'hui dix milles livres censurés dans les écoles, dont la série Harry Potter, le Meilleur des mondes et j'en passe), liberté de raconter n'importe quoi aux esprits faibles (QAnon, RFK junior ouvertement complotiste antivax assumé), liberté de contraindre le corps des femmes (refus de la protection de l'avortement)…
La liberté, lorsqu'elle sort d'un cerveau MAGA, on ne la reconnaît plus qu'à ses godasses. Il ne s'agit plus de la Liberté avec un grand « l », de ce principe fondateur des États-Unis d'Amérique, mais de la liberté avec un petit « l », toute relative et permettant à la majorité toute relative élue d'imposer son point de vue sur le reste des habitants du pays.
Il s'agit de la liberté pour n'importe quel bas de plafond de faire n'importe quoi quitte à empiéter sur la liberté de son prochain. Ce n'est pas la liberté, c'est à la limite le libertarianisme, l'anarcho-capitalisme ou l'anarchie. En aucun cas, il ne s'agit de liberté garantie à tous.
Et ce n'est que le début, un avant-goût. Il faudra s'y faire parce que Trump est la première avancée de pion du Project 2025. The Economist a analysé le plan en question du point de vue politique. Selon lui, ce plan contient des questions de guerre culturelle, ainsi que d'autres qui ont une portée plus large et rompent avec l'orthodoxie républicaine passée, augmentant les déficits et la dette nationale. Anna North de Vox le décrit comme un plan visant à consolider le pouvoir et à faire passer des politiques impopulaires.
Notez bien la dernière phrase et le principe de négation de la liberté qu'elle contient.
Faisons un petit inventaire pour fixer quelques idées.
Institutions fédérales
Le Projet 2025 envisage des changements généralisés au sein du gouvernement, en particulier en ce qui concerne les politiques économiques et sociales et le rôle du gouvernement fédéral et de ses agences. Le plan propose de prendre le contrôle partisan du département de la Justice (DOJ), du Federal Bureau of Investigation (FBI), du département du Commerce, de la Commission fédérale des communications et de la Federal Trade Commission (FTC), ainsi que de démanteler le département de la Sécurité intérieure en le subdivisant en plusieurs ministères. Il prévoit aussi de réduire fortement les réglementations environnementales et climatiques pour favoriser la production de combustibles fossiles. Le projet cherche à instaurer des réductions d'impôts, même si ses auteurs ne sont pas en accord sur le degré de protectionnisme à adopter. Il recommande de supprimer le ministère de l'Éducation, dont les prérogatives seraient transférées à d'autres agences ou supprimées. Ce projet conduirait les États-Unis à réduire leur financement des recherches sur le climat, tandis que les National Institutes of Health (NIH) seraient réformés selon des principes conservateurs.
Pornographie et contenus pour adulte
Le Projet 2025 propose de criminaliser la pornographie.
Santé des femmes en matière de reproduction
De manière générale, le projet enjoint le gouvernement à s'opposer au droit à l'avortement, et à éliminer la couverture de la contraception d'urgence en application de l'Obamacare.
Les partisans du Projet 2025 soutiennent que la vie commence dès la fécondation. Le Mandate stipule que le Département de la Santé et des Services Sociaux (Department of Health and Human Services ou HHS) doit « redevenir connu sous le nom de Département de la Vie », comme l'a surnommé le secrétaire du HHS de Trump, Alex Azar, en , exprimant sa fierté de « faire partie de l'administration la plus pro-vie de l'histoire de ce pays ». Le projet 2025 affirme qu'il repositionnerait les politiques du ministère « en rejetant explicitement la notion selon laquelle l'avortement est un soin de santé et en rétablissant son énoncé de mission dans le plan stratégique [du HHS de Trump] et ailleurs pour inclure la promotion de la santé et du bien-être de tous les Américains « de la fécondation à la mort naturelle » ».
En 2022, la Cour suprême statue, dans cas Dobbs v. Jackson Women's Health Organization, que la Constitution ne confère pas de droit à l'avortement, laissant ainsi aux États le soin de créer leur propre législation en la matière, mais le Projet 2025 encourage le prochain président à « promulguer les protections les plus solides pour les enfants à naître que le Congrès pourra soutenir ». Le Projet déclare également que « la décision dans l'affaire Dobbs n'est qu'un début. Les conservateurs devraient pousser aussi fort que possible pour protéger les enfants à naître dans toutes les juridictions américaines. »
Roger Severino, vice-président de la politique intérieure de la Heritage Foundation, a déclare lors d'une conférence de Students for Life (en) que le Projet 2025 « travaillait sur ce type de décrets présidentiels et de réglementations » pour revenir sur les politiques d'avortement de Biden et « institutionnaliser l'environnement post-Dobbs ». Par exemple, la Reproductive Healthcare Access Task Force (Groupe de travail sur l'Accès aux Soins de santé en matière de Reproduction) créée par le président Biden serait remplacée par une agence « pro-vie » dédiée qui « utiliserait son autorité pour promouvoir la vie et la santé des femmes et de leurs enfants à naître ».
Diversité
Le projet propose de supprimer les protections contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre et de mettre fin aux programmes de diversité, équité et inclusion (DEI) ainsi que de discrimination positive.
Immigration
Le projet recommande l'arrestation, la détention et la déportation des migrants sans papiers vivant aux États-Unis.
Justice
Le Projet 2025 promeut la peine de mort et salue le « caractère définitif » et la rapidité de cette peine.
Certains aspects ont déjà été déclarés contraires à la constitution, mais qu'en sera-t-il avec une majorité MAGA dans les deux chambres et potentiellement à la cour suprême ?
Le sénateur Claude Malhuret a succédé à Georges Marchais comme plus grand humoriste français. Ses discours sont souvent des perles. Là, nous sommes dans la tragédie grecque à la mode Jean Anouilh.
La lucidité en à peine plus de cinq minutes. Et je vous file mon billet que personne ne l'écoutera.
Pour mémoire, ce discours date du 7 novembre 2024 et devrait rendre honteux non seulement tous nos dirigeants, mais aussi tous les peuples occidentaux qui regardent tous ailleurs.
Je n'avais pas prévu d'écrire quelque chose aujourd'hui, mais ce matin, j'ai trouvé ma boîte aux lettres pleines de centaines de messages à la suite de mes deux derniers articles.
Je n'y répondrai pas. Il s'agit au mieux de trolls au pire de robots, certains en Anglais, d'autres dans un Français que les Suisses qualifieraient de « fédéral », je ne sais pas si vous voyez bien de ce que veux dire.
J'enfonce donc le clou. Les électeurs qui ont pris la peine de voter n'ont pas donné plus de voix à Trump que ce qui lui avait permis de dégager en 2020. Plus qu'une large victoire de Trump, c'est une large défaite de Harris qui accuse un déficit de 14 millions de voix par rapport au score de Biden en 2020 qui lui avait permis de l'emporter.
Comme vous ne me croirez pas, voici les résultats de 2020.
On constate que Trump a rassemblé 74216154 voix contre 81268924 pour Biden. Et voici les résultats de l'élection de 2024.
On constate que Trump a fait moins bien puisqu'il a rassemblé sur son nom 72543738 voix. En revanche, on constate aussi que Harris n'a eu que 67861851 suffrages. Trump n'a donc même pas réussi à mobiliser son propre camp. Il n'y a pas eu non plus de report de voix démocrate sur le candidat MAGA, il n'y a eu qu'une démobilisation spectaculaire du camp démocrate et un taux d'abstention monstrueux. Trump a donc gagné par défaut parce que les démocrates ne sont pas allés voter pour leur candidat, ces mêmes démocrates ou indépendants qui vont filer une dérouillée lors des prochaines élections aux MAGA qui ont aujourd'hui tous les pouvoirs (présidence, cour suprême, sénat et vraisemblablement chambre des représentants).
Et cette abstention est le vrai vainqueur. Les États-Unis d'Amérique comptent 350 millions d'habitants et 245 millions d'électeurs. Selon ces données, il y a un peu plus de 100 millions d'électeurs qui n'ont pas pris la peine de voter. Le score de Trump représente 30% des électeurs inscrits et 20% de la population.
Mais les MAGA vont vous en faire baver. Et je vous parie que tous ces électeurs abstentionnistes soit parce qu'ils n'en avaient rien à faire (ils ont la mémoire courte) ou qu'ils avaient mieux à faire vont revenir aux urnes au moins en partie aux prochaines élections. Comme une partie des minorités qui ont voté pour eux.
Sauf que ce sera trop tard, le mal sera fait.