« Pensée du jour, Strasbourg | Naufrage (bis) » |
Certains jours, je déprime en constatant l'état de ce pays.
Directeur technique d'une entreprise, j'ai été licencié économique il y a exactement un an. L'entreprise qui m'employait est allé au tapis en raison d'un énorme problème de gestion, elle courait toujours après de nouveaux clients sans traiter correctement les clients en cours donc sans réussir à les fidéliser. J'ai accepté un CSP et j'ai cherché un autre emploi tout en ne me faisant aucune illusion. En effet, entre 1995 et 2015, 95% de l'emploi dans mon secteur a été détruit et cela ne s'est pas arrangé depuis. Il reste bien quelques acteurs à la marge qui arrivent encore à vivoter dans des domaines d'activité bien particuliers mais, ceux-ci n'ayant aucune visibilité sur l'avenir, ils ne vont pas prendre le risque d'embaucher. Ils vont encore moins prendre le risque d'engager quelqu'un avec un CV comme le mien (plus de vingt ans d'expérience, un diplôme de troisième cycle, une thèse professionnelle, une thèse de doctorat et un tas d'expériences à l'étranger). Soit je suis trop cher, soit je suis trop âgé, soit on me répond que je suis surqualifié et que je partirai au bout de six mois…
Dans ce qu'il reste de mon domaine d'activité, les employeurs recherchent typiquement des jeunes ayant entre deux et cinq ans d'expérience, pas chers (et aux compétences douteuses, ce n'est pas le problème, ils feront la culbute avec le crédit d'impôt recherche en truandant un peu les comptes d'activité). Et on voit le résultat. Pour la petite histoire, j'ai passé un entretien durant lequel j'ai pu regarder les schémas électroniques de produits. Je me suis bien gardé de les critiquer ouvertement, mais ce que j'ai vu n'était ni fait ni à faire. Effectivement, le taux de retour de certains produits était loin d'être symbolique. Un autre que je ne citerai pas cherche un chef de service radio avec cinq ans d'expérience au maximum. Comment voulez-vous, en sortant actuellement d'une école d'ingénieur, être à la tête d'un service s'occupant de radio hyperfréquence avec uniquement cinq ans d'expérience ? C'est impossible. Et c'est d'autant plus difficile qu'on y parle électronique analogique et hyperfréquences, deux matières oubliées dans les formations ou étudiées à la marge en quelques heures quand on a de la chance. Et ça l'est encore d'autant plus que je subodore qu'il y a dans ce service des vieux techniciens radio, de l'ancienne école, qui ne vont pas se laisser faire par un blanc-bec tout frais émoulu d'une école d'ingénieur.
N'ayant donc aucune illusion, j'ai joué le jeu en cherchant un emploi de salarié mais je tente aussi de lancer en parallèle une activité propre. Pour ceux que ça pourrait intéresser, c'est par ici.
En un an, j'ai répondu à des dizaines d'annonces et les seules pistes sérieuses n'ont pas été trouvées à la suite de réponse à des annonces mais à la suite du dépôt de mon CV sur le site de l'APEC. Et je ne suis même pas sûr qu'il y avait un quelconque poste derrière chacun de ces appels. En effet, j'ai plus l'impression que ces appels entrants était du fait de cabinets de recrutement qui avait ouï dire que telle ou telle entreprise pourrait rechercher un nouveau collaborateur et qui essayait, sans avoir le moindre contrat les liant à leur client final, de pousser la main de ladite entreprise. Ma zone de recherche s'étendait sur l'ensemble des bassins d'emploi français. On m'a appelé pour des postes en Belgique et en Suisse, mais ce n'était pas faisable. Malheureusement.
Notons tout de même que je suis fatigué d'avoir des entretiens téléphoniques avec des jeunes qui se présentent comme DRH, qui ont au plus 25 ans (à leur façon de parler) et qui n'ont aucune espèce de compétence dans le domaine électronique. Ces types essaient de mener un entretien téléphonique technique avec des gens pointus alors qu'ils n'en parlent même pas la langue ! Comment voulez vous que l'on s'entendent ?
Hier, donc, j'ai eu mon entretient de fin de CSP. Nous parlons de choses et d'autres. Je me suis étonné ouvertement de ne pas avoir trouvé plus d'offres correspondant à mon profil et je pensais encore naïvement que le problème était circonscrit à mon domaine d'activité. D'après le cabinet de placement qui me suivait, il n'en est rien. Sur les douze derniers mois, ils n'ont pas réussi à placer un cadre supérieur ou cadre dirigeant sur l'ensemble de la région. C'est la première fois que cette situation se produit. Jusqu'à présent, il était difficile de placer des gens sans aucune qualification, mais les demandeurs avec des qualifications de l'enseignement supérieur arrivaient encore à trouver un emploi. Depuis un an, la qualification n'est plus un gage pour retrouver un emploi. Notez bien que je parle de « retrouver un emploi ». Je n'ai pas encore parlé des salaires proposés qui sont indécents. Pour information, on m'a proposé 21k€ annuels bruts dans une métropole de province, 26k€ dans une autre, 1500€ net par mois à Paris pour des postes de directeur technique ou scientifique… Je n'ai pas eu l'heur de refuser puisqu'on m'a fait comprendre dans les trois cas que je partirai dès avoir trouvé autre chose, ce qui ma foi aurait été exact.
Je comprends mieux tout à coup pourquoi Pôle-Emploi voulait m'envoyer faire des stages de maçonnerie.
C'est pourquoi, je ne pardonnerai jamais à Emmanuel Macron son petit discours d'avant-hier. Non seulement il s'agit d'un pleutre, mais il va nous envoyer encore plus vite dans le mur.
Je veux bien croire qu’il existe beaucoup «de vieux techniciens radio, de l’ancienne école, qui ne vont pas se laisser faire par un blanc-bec tout frais émoulu d’une école d’ingénieur». Pour vous donner un peu d’espoir, il y a aussi des jeunes, qui doivent être sortis d’école depuis peu d’années, qui ont montré, dès le lycée, une sacré capacité à jouer avec des ondes et de la matière et à faire de la physique expérimentale intelligente : https://odpf.org/images/archives_docs/19eme/memoires/groupeR/memoire.pdf
Certes. Mais c’est un peu comme les poissons volants. Ils existent mais ne constituent pas la majorité du genre.