« Massacre | Si ce n'était pas con, ce ne serait pas un règlement ! » |
Lorsque je dois me faire soigner, je vais voir un médecin. Alors que les médecins laissent en retour les statisticiens travailler. Ces deux métiers sont différents et les médecins, fussent-ils professeurs de médecine, ne savent vraiment pas faire des statistiques.
On lit depuis quelques jours que la chloroquine — à moins qu'il ne s'agisse d'hydroxychloroquine — soigne le Covid19. Des gens se ruent par centaines à l'hôpital de Marseille pour recevoir ce produit, heureusement délivré aujourd'hui sous ordonnance en raison de sa dangerosité même comme antipaludéen à titre préventif. Cela n'est pas réellement sérieux et montre que l'homme a besoin d'un messie.
Plusieurs choses me dérangent aux entournures. Le professeur de médecine en question et dont je tairai le nom prétend qu'il agit dans l'urgence et qu'il est impossible de faire des études correctes rapidement. C'est se moquer du monde puisque certaines équipes y arrivent sans problème. Certaines arrivent même à faire passer en urgence leurs papiers dans des revues à comité de lecture. Prétendre le contraire est se moquer du monde.
Loin de moi l'idée de trancher définitivement sur l'intérêt thérapeutique de la molécule, sur son bénéfice/risque ou sur son efficacité. La question n'est vraiment pas là. Le problème est d'avoir une médiatisation à outrance sur une document publié par un chercheur refusant de passer par les circuits classiques de reviewing et faisant de la communication sur Youtube. Qu'il ait raison ou tort importe peu, c'est sa démarche qui est contestable car rien n'est scientifiquement prouvé. Plus exactement, un papier relativement ancien permet de montrer qu'in vitro la chloroquine permet une amélioration dans certains cas. Rien n'a jamais été montré in vivo.
Mais arrêtons-nous simplement sur les statistiques du papier du bon docteur. Ceux qui me connaissent savent que j'ai été enseignant dans le supérieur et que, parmi les cours que j'ai pu donner, se trouvait un cours de statistiques. Oh, pas des statistiques très évoluées, des statistiques pour des ingénieurs qui allaient faire du traitement du signal, mais cela me permet de voir assez rapidement quand on me fait passer des vessies pour des lanternes et cela me permet de qualifier une étude surtout lorsque c'est une blague, une grosse blague.
Pourquoi qualifié-je cette étude de grosse blague ? Pour tout un tas de raisons. La première est que l'on fait des statistiques, pas du dénombrement. Il serait bon que les pontes de la faculté, une bonne fois pour toute, fassent la différence. On ne calcule pas une probabilité ou une statistique de la même façon lorsqu'on veut voir une amélioration ou une détérioration. Là, on nous la fait à l'envers, erreur classique des débutants. Mais c'est loin d'être le seul grief :
Conclusion : trois patients en réanimation, un mort, une intolérance, un parti à domicile en étant positif au test PCR contre aucun mort, pas de réanimation et une bonne tolérance dans le groupe témoin.
Par ailleurs, l'absence d'étude en double aveugle ne permet pas de retirer de l'équation l'effet placebo dont tous les praticiens s'accordent à dire qu'il est responsable de 30% de l'efficacité d'un traitement. Mazette !
Oui, vous avez bien lu. C'est donc une blague, une vaste blague. La valeur de cette étude est nulle. Dans aucune revue sérieuse avec des reviewers faisant leur travail, elle ne pourrait passer. Je sais à peu près de quoi je parle puisque j'ai été reviewer de longues années pour certaines revues IEEE. Sa médiatisation est absolument incompréhensible sur le plan scientifique et, lorsque l'équipe qui a fait cette étude commence à mettre les patients sous hydroxychloroquine pour des raisons éthiques et de serment d'Hippocrate (sic), cela donne plus une indication sur leur quête de gloire que de vérité scientifique.
Les membres de cette équipe font un pari avec une molécule dont les effets secondaires sont loin d'être anodins, peut-être sur une intuition. Cette pseudo-étude est reprise partout, dans beaucoup de pays. Elle repose pourtant sur du vent scientifiquement parlant.
Hier soir, au journal télévisé de TF1, un urgentiste a dit ouvertement ce qu'il pensait de ces expérimentations, je ne suis pas sûr que le message soit bien passé puisque ce matin, la communication du ministre de la santé indique que, avec l'accord unanime des médecins, ce traitement pourra être donné aux patients.
Sans commentaire.
Objet du délit : 1-s2.0-s0924857920300996-main.pdf
Autre article traitant du sujet. Encore un dernier pour la route.
Ça sent mauvais pour le mandarin :
http://www.zjujournals.com/med/EN/10.3785/j.issn.1008-9292.2020.03.03
Cette étude montre qu’il n’y a aucune différence avec les groupes contrôles (pas traités) : “The median duration from hospitalization to virus nucleic acid negative conservation was 4 (1-9) days in HCQ group, which is comparable to that in the control group[2 (1-4) days, (U=83.5, P>0.05)]. The median time for body temperature normalization in HCQ group was 1 (0-2) after hospitalization, which was also comparable to that in the control group 1 (0-3). Radiological progression was shown on CT images in 5 cases (33.3%) of the HCQ group and 7 cases (46.7%) of the control group, and all patients showed improvement in follow-up examination".
Cette étude prend un petit groupe de patients comme Raoult, mais utilise un bien meilleur protocole (avec un groupe placebo). Et elle trouve qu’il n’y a aucun effet significatif de la chloroquine.
Autre chose, très pédagogique.
https://www.youtube.com/watch?v=h18tSEYukqE