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Un français sur deux

01.12.21 | par Le Grincheux | Catégories: Pignoufferies de presse

Loin de moi l'idée d'emprunter un titre de roman érotique à Valéry Giscard d'Estaing (presque, pour les incultes et les électeurs de gauche, il s'agissait de Deux français sur trois), ce un français sur deux provient d'un débat entendu ce matin sur France Inter.

Il paraît que dans le secteur privé français, un emploi sur deux est actuellement occupé par quelqu'un qui n'a pas les compétences pour le poste. En d'autres termes, cette personne a dépassé sa limite d'incompétence au sens de Peter. C'est assez vrai et je pense pour ma part que c'est encore le cas dans la fonction publique en général. Pour être tout à fait honnête, je pense même que dans la fonction publique hors hospitalière où l'illusion est plus dure, cette statistique est dépassée, une partie des carrières s'effectuant maintenant à l'avancement automatique indépendamment de tout résultat.

Le sous-entendu de l'économiste en question était que si les salariés occupaient de tels postes, c'est parce que les employeurs ne payaient pas au juste prix des gens compétents pour ces postes. C'est peut-être vrai, mais ce n'est pas le seul problème. C'est faire assez vite fi d'une concurrence interne et d'un tas d'emplois ineptes que l'on rencontre dans les grandes structures qui peuvent se payer le luxe d'héberger des parasites.

En effet, il convient de distinguer les petites entreprises des grands groupes.

Dans une petite entreprise, il est impossible de faire illusion. Soit vous êtes à votre place et cela se passe raisonnablement bien, soit vous avez franchi votre seuil d'incompétence et vous partez. Vous partez de gré parce que l'employeur vous change de poste ou vous montre la porte, ou de force parce que l'entreprise va au tapis. Dans les deux cas, vous êtes dehors ou remis à un poste vous correspondant.

Dans un grand groupe, en revanche, la situation est un peu différente. La dilution des talents est forte et tout cela se moyenne finalement assez bien pour maintenir en dessous de leurs limites de compétence et assez loin de cette dernière assez d'employés pour que l'entreprise fonctionne encore à peu près correctement. Les autres sont utilisés à ce qu'on appelait naguère des bullshit jobs pompeusement qualifiés de chef de projet, de référence machin chose ou de tout autre titre ronflant et vide de sens consistant à produire une ou deux fois par mois un document que personne ne lira sauf peut-être la grignoteuse. La conséquence immédiate est que la partie des employés effectivement productive est frustrée. Elle l'est d'autant plus qu'elle est généralement encadrée par des supérieurs hiérarchiques qui ne savent plus en quoi consiste l'activité de leurs subalternes. Dans mes vingt-cinq ans de carrière, j'ai très, trop souvent vu cela. Et à chaque fois que je l'ai constaté, le résultat fut à la hauteur d'une catastrophe industrielle d'ampleur biblique parce que les exécutants finissaient par faire n'importe quoi sciemment ou non, le responsable ne sachant pas à quel moment le projet lui échappait ni comment le remettre sur les rails s'il s'en rendait finalement compte. Si l'entreprise est assez grande, certains projets passent à la trappe, s'il elle ne l'est pas assez, cela peut aller assez rapidement au dépôt de bilan.

Mais il existe aussi un autre facteur qu'il ne faut pas sous-estimer sous peine de ne pas comprendre ce qu'il se passe dans les grandes entreprises. En France, on bourre le crâne des étudiants dans les grandes écoles techniques en leur disant qu'à quarante ans ils devront faire autre chose que ce pour quoi ils ont été formés sinon ce seront des ratés. On met donc à des postes de responsabilités techniques, peut-être par effet de corps, des gens qui n'en ont pas la carrure, les débutants pissant la copie de chefs de projets alors qu'ils n'en ont pas les capacités. Un chef de projet, un responsable technique quelconque ne peut encadrer une équipe que s'il sait de quoi retourne exactement le travail qu'il distribue en terme de compétences et de quantité. Un débutant n'a pas cette expérience, aussi bon soit-il. À quarante ans, on prend les responsables techniques pour leur donner une sucette qui est un poste de chef de département ou de section alors qu'ils ne savent toujours pas de quoi on parle réellement, ils ne se sont jamais vraiment frottés aux problèmes. C'est comme cela que je me retrouve à intervenir dans des réunions soit disant techniques où plus personne ne sait de quoi il retourne.

Le problème suivant est que ces personnes doivent recruter puisqu'il sont aussi chargés de la gestion de leurs équipes. Ils doivent recruter des jeunes, c'est difficile. Il y a vingt-cinq ans, les meilleurs allaient dans des filières techniques rudes et austères. Aujourd'hui, ça tombe bien, ils grenouillent dans des sections de chargés de projet ou autres libellés du même genre. On ne sait pas réellement ce qu'ils valent, mais au moins, en tapant dans une grande école du groupe A, il ne pourra pas leur être reproché d'avoir recruté n'importe qui. De toute façon, si la production du recruté est mauvaise, ça ne se verra pas trop dans la masse des chargés de projets de l'entreprise. Ils doivent aussi de temps en temps recruter des gens un peu plus capés pour sauver des projets. Là, ils se retrouvent dans la situation de devoir embaucher des gens généralement plus compétents qu'eux, ce qui leur pose un problème sérieux. Il ne faudrait surtout pas que leur hiérarchie s'aperçoivent qu'elle pourrait utiliser des gens plus compétents que ceux qui sont actuellement en place. Les candidats trop compétents sont donc refusés d'emblée parce que ces recruteurs ont la peur panique que quelqu'un pourrait leur voler leur poste promis. Ils ne font donc entrer les loups dans la bergerie que lorsqu'ils en sont contraints.

Le problème de cette inadéquation des postes avec la compétences des occupants n'est donc pas un problème purement économique, mais un problème de gestion des ressources humaines à tous les niveaux de hiérarchie des entreprises. C'est aussi un problème de la formation initiale puisqu'il n'y a aucune raison qu'on mette dans le crâne des futurs cadres techniques qu'ils devront quitter les domaines techniques à quarante ans. Et cela perdure depuis des années parce que les entreprises y ont intérêt pour acheter la paix sociale interne même en y payant le prix fort.

 

2 commentaires

Commentaire de: Rico
Rico

Cela me fait penser au célèbre “syndrome de l’imposteur” qui, j’en suis sûr, tu a dû toi-même ressentir à un moment où a un autre de ta carrière ;) (en tour cas, moi oui !) Ce syndrome est, paraît-il, très répandu, en particulier dans nos métiers techniques où la veille technologique et l’autoformation représentent pas loin de 50% de notre travail… Si tu lèves le pied ne serait-ce qu’un peu, c’est game over et, à 45 ans passé, je commence à sentir que ça devient de plus en plus dur de surnager dans un univers professionnel où on vit un bouleversement technologique tous les 2 ans…

03.12.21 @ 07:38
Commentaire de: Le Grincheux

En électronique pure, c’est un peu moins vrai. Il n’y a pas de vraie rupture comme en informatique par exemple. Les problèmes électroniques ennuyeux (le “ça fonctionne presque") proviennent toujours d’un oubli par les gens qui utilisent des composants complexes des règles de base (impédances, propagations, j’en passe) qui ne sont plus que très marginalement enseignées dans les écoles à telle enseigne que pour une simple prestation, on m’a demandé sur un schéma de circuit de type RLC de dessiner l’allure de la tension en un certain point…

03.12.21 @ 08:30


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