« Lettre ouverte à Polydamas | Horaces contre Curiaces » |
D'après l'inénarrable Laurence Parisot, nous avons l'immense bonheur d'être en train de sortir de la crise. Ça fait du bien de le dire, parce que depuis mon horizon limité de chef d'entreprise, je n'ai pas vraiment l'impression que ce soit le cas. Bien au contraire, j'ai même la fâcheuse impression que si l'on a déjà atteint le fond, on n'a pas pour autant fini de creuser. Les conditions d'investissement se durcissent de plus en plus parce les banques sont infiniment plus tatillonnes lorsqu'il s'agit de prêter de l'argent aux entreprises que lorsqu'elles permettent aux ménages de s'endetter. La rentabilité à court terme n'est pas la même. À titre d'information, un découvert de compte courant est en moyenne à 14% l'an pour un compte particulier, alors que le taux tourne aux alentours de 2% pour une entreprise.
Et l'on continue à se gargariser des chiffres du chômage qui baissent sans baisser mais qui au moins ont arrêté d'aumgenter. Je vais dire une horreur, mais personnellement, je m'en contrefiche parce que ces chiffres ne veulent absolument rien dire. Ils ne sont qu'une conséquence de l'activité économique et de la santé du tissu de petites et moyennes entreprises qui maillent la France et il faudrait pouvoir le corriger des variations saisonnières, ce qui n'est jamais fait.
Le seul chiffre donnant la santé de l'économie est celui relatant le nombre de radiations au registre des sociétés et du commerce. Et on n'en parle quasiment jamais. En revanche, on parle des entreprises crées — donnée considérablement biaisée par le statut d'auto-entrepreneur dont l'immense majorité n'est pas viable —, de la balance entre entreprises créées et entreprises radiées, mais jamais au grand jamais de l'évolution du nombre des entreprises radiées. Il est certain que ce chiffre est mauvais et qu'on n'a de cesse de le masquer. Je n'arrive pas à comprendre que l'on mette dans le même panier des entreprises qui doivent être rentables avec des auto-entrepreneurs et qu'on retranche de cette somme le nombre des entreprises radiées en déclarant que le résultat est positif, donc que l'économie va bien. Même les jésuites n'oseraient pas faire un tel calcul ! Au contraire, le fait d'avoir beaucoup de créations d'entreprises sous le statut d'auto-entrepreneur, en sachant que le nombre de radiation d'entreprises est du même ordre que le nombre de création d'entreprises classiques, prouve que l'économie va mal.
Le statut d'auto-entrepreneur est un statut particulièrement batard qui n'a d'autre but que de retirer artificiellement des chômeurs des statistiques en gonflant les chiffres des créations d'entreprises. En ce sens, il faut convenir que c'est une réussite. Mais lorsqu'on regarde attentivement les statistiques de rentabilité de ces auto-entrepreneurs, il y a vraiment de quoi déchanter. Ce n'est absolument pas le paradis annoncé par le gouvernement. Certes, les démarches adminsitratives sont simplifiées, mais cette simplification coûte la TVA au malheureux auto-entrepreneur qui n'a pas bien lu les clauses du contrat. Et les plafonds à ne pas dépasser en terme de chiffre d'affaire sont ridicules. Tout au plus ce statut permet-il à un petit prestataire de service n'ayant pas besoin de beaucoup de matériel de survivre. Les autres, passez votre chemin !
Donc, l'économie repart. Enfin, c'est Parisot qui le dit.
L'économie repart peut-être pour les entreprises adhérentes du Médef, celles qui ont assez de poids pour faire du chantage face aux banques et qui peuvent se permettre de payer leur adhésion — jetez un œil sur le site du Médef, ce n'est pas donné et le calcul du montant de l'adhésion est assez spécial —, celles qui peuvent convoquer des politiques autour d'une table pour les mettre devant leurs responsabilités. Mais pour l'immense majorité des entreprises françaises, celles qui emploient chacunes quelques salariés et qui se font actuellement traiter comme des chiens par leurs banques, le bout du tunnel est encore très loin si jamais ce bout existe. Il faut savoir qu'aujourd'hui, les banques françaises n'honorent même plus les créances d'état que sont les remboursements de trop-perçus d'impôt sur les sociétés, ce qui pose d'énormes problèmes de trésorerie mettant en danger ces entreprises. Toutes les lignes de crédit leur sont progressivement coupées. Et il se trouve encore des banquiers capables de dire sans rire en face d'un chef d'entreprise que sa situation s'est dégradée depuis l'année dernière. À qui la faute ?
De mon point de vue, de mon horizon limité, le pire est que ces banquiers sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis. La contribution des grandes entreprises choyées par les banques et le gouvernement est minime. Ce sont toutes les PME qui apportent de la richesse. En continuant de les asphyxier, elles finiront bien un jour par mourir. La crise économique est fille de la financière. Gardons-nous de la crise sociale qui risque fort d'arriver.