« Schizophrénie frénétique | Aucune augmentation d'après les organisateurs » |
S'il doit rembourser à la Société Générale les pertes occasionnées, il faudra à Jérôme Kerviel qui gagne 2300 euros mensuels quelques 177537 ans. Et encore, c'est compter sans les intérêts d'emprunt et en considérant qu'il consacre toute sa rémunération à ce remboursement. Loin de moi l'idée de prendre position pour cet employé ou son employeur, mais il faudrait tout de même voir à ne pas prendre les clients des banques de ce pays pour des imbéciles.
Pour avoir eu l'occasion de faire des installations de réseaux dans des salles de marchés, j'ai pu voir ce qui s'y passait réellement. Je pense même que si je n'avais pas vu ça de mes yeux, jamais je n'aurais pu y croire. La dernière prestation faite pour un agent de change est certainement celle qui m'a le plus marqué. Imaginez un jeune type d'à peine trente ans à la tête d'une fortune indécente qui achète un immeuble sur cour, dans le XVIIe arrondissement parisien — du bon côté du XVIIe, pas vers Guy Moquet —, et qui décide pour ne pas perdre la main de s'installer à domicile une salle de marché. On s'occupe comme on peut !
Le but du jeu était d'installer entre sa salle de marché personnelle — une cinquantaine d'ordinateurs avec quatre écrans par ordinateur — et son opérateur anglais une liaison sécurisé, redondante et à temps réel. Pas une simple liaison SDSL avec garantie de temps de rétablissement, non, une liaison dédiée pour les agents de change. Il y a même un opérateur de télécommunications, spécialisé dans ce genre de choses, et qui garantit qu'un ordre passé sera traité en moins d'une seconde à l'autre bout du monde.
Et le type en question m'explique son métier. Il m'explique sur quel type de produit il spécule. Personnellement, je suis un parfait néophyte dans tous les domaines d'investissement en bourse parce que cela ne m'intéresse pas. Plus exactement, cela ne m'intéresse pas non pas parce que je ne suis pas curieux, mais parce que j'ai réfléchi longuement au fonctionnement de la bourse et au problème des intermédiaires bancaires permettant à la majorité des petits porteurs de jouer en bourse.
Cet agent de change ne spéculait que sur un seul produit, les assurances-vie. Je ne savais même pas qu'on pouvait spéculer sur les assurances-vie ! Et il avait investi des fortunes dans des logiciels lui permettant de spéculer à un horizon de deux secondes. Ses cinquante ordinateurs surveillaient automatiquement le cours de tous les titres d'assurances-vie dans le monde entier, achetaient et vendaient automatiquement ces titres sur des critères variés. La seule certitude était que ces titres ne restaient sa propriété que durant deux secondes. Il m'expliquait aussi qu'il gagnait sur tous les tableaux, que les titres montent ou baissent, car ses outils étaient assez puissants pour se permettre d'acheter à découvert dans certaines circonstances.
En d'autres termes, cet agent de change gagne pour l'instant des fortunes sans ne rien faire d'autre que de surveiller une salle de serveurs informatiques. La seule compétence est dans les programmes informatiques qu'il a pu acheter et que personne, même pas lui, ne peut contrôler. En admettant même qu'il s'arrête devant un seul serveur, il ne peut pas suivre toutes les informations qui défilent sur les quatre écrans surtout lorsque l'horizon est de deux secondes.
Vous allez me dire que je digresse. Pas tant que ça puisque le tribunal correctionnel a comdamné Jérôme Kerviel à 5 ans de prison dont 3 fermes et 4,9 milliards d'euros. Ce tribunal reconnaît donc la responsabilité de cet agent de change, dédouanant par là même la banque de ses propres responsabilité. Ce tribunal a par un simple trait de plume affirmé que la banque n'était pour rien dans les agissements de son agent de change. En effet, on ne peut pas tenir pour responsable toute une banque des errements d'un employé. On peut pourtant se poser des questions quant à la responsabilité de sa hiérarchie directe qui ne pouvait pas ne pas savoir et qui a certainement fermé les yeux tant que l'agent de change en question leur rapportait des sommes rondelettes. Les outils informatiques utilisés étaient aussi ceux de la banque et s'il avait introduit des données biaisées, il faudrait déjà se poser la question de la sécurité desdits outils. La responsabilité n'est donc pas simple à déterminer et Jérôme Kerviel a parfaitement raison d'interjeter appel.
Pire, à l'énoncé de la condamnation, Jérôme Kerviel semble être le bouc émissaire dédouanant tous les autres agents de change de cette banque qui n'ont certainement pas fait mieux mais ne se sont pas fait prendre. Nous avons donc une banque qui fait porter à l'un de ses anciens employés l'intégralité de ses manquements et qui essaie de se faire une bonne image à peu de frais en déclarant qu'elle avait fait le ménage parmi ses traders et que leurs activités financières vont d'autant mieux que la pomme pourrie n'est plus dans le panier.
Et pendant ce temps, l'économie réelle continue sa plongée. Toutes les liquidités des banques sont placées en bourse, parce qu'il est plus tentant de prêter lorsqu'on a des rendements annuels à deux chiffres, ou chez des particuliers surendettés, parce que lorsqu'ils ne peuvent plus payer on les saisit, et non dans l'économie réelle qui passe par le financement des entreprises.
Mis à part ça, tout va bien. Les responsables sont condamnés, mais sans écrou, ce qui est surprenant pour quelqu'un de condamné à de la prison ferme. On discute allègrement des retraites et on ne parle pas des vrais problèmes qui ne tarderont pas à remonter à la surface. Le problème des retraites ne pourra être réglé que par un système comme celui de la CIPAV (professions libérales) qui est une retraite à points, ce qui évite l'épineux problème de l'âge. Et de toute façon, quelle que soit la réforme, si l'économie continue sa descente, poussée par les activités bancaires, la question de l'âge ne se posera plus.