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Powerpoint, ce logiciel qui rend idiot
À chaque fois que je donne un cours à l'École Centrale des Arts et Manufactures de Paris plus connue sous le nom de Centrale Paris, on me demande si je désire un videoprojecteur. À chaque fois, je réponds qu'une craie et un tableau noir me seront amplement suffisants. Cette année, j'ai eu la suprise de trouver toute une classe de troisième année qui prenaient mes cours en note sur des ordinateurs portables. C'était assez amusant de les voir se battre pour avoir une prise électrique ou d'essayer de faire des schémas d'antenne avec l'outil de dessin de l'inénarrable Word. Quant aux équations, n'en parlons pas…
Je croyais être l'un des seuls à grincher sur ces outils totalement inadaptés mais qu'il faut maîtriser sous peine d'être has been. C'était une erreur. Dans un livre qui vient de paraître aux éditions La Découverte, Franck Frommer, responsable de la communication d'un grand groupe financier, dénonce la perte de productivité, de créativité et de sens critique des utilisateurs du logiciel de présentation de Microsoft : PowerPoint.
Dans son essai « La pensée PowerPoint. Enquête sur ce logiciel qui rend stupide », Franck Frommer dénonce un logiciel qui oblige à travailler sur la forme au détriment du fond. La nécessité de synthétiser ses idées à outrance par des libellés elliptiques, des formules passe-partout, d'une grande pauvreté sémantique pour respecter le format imposé des bullet points réduirait d'après lui la richesse des échanges lors des réunions.
Et il a raison. Quiconque a déjà essayé de présenter quelque chose de complexe à l'aide de transparents se rend immédiatement compte de la supercherie de ce mode de présentation. Le seul intérêt que j'ai jamais trouvé pour le bon vieux rétroprojecteur, c'est la possibilité d'utiliser des transparents avec des schémas complexes difficiles à faire en temps réel et sans erreur sur un tableau noir. Et encore, Franck Frommer ne parle pas des petits gadgets qui font que PowerPoint est prétendûment meilleur que ses concurrents. Parce qu'il y a des gadgets ! Des animations…
L'animation sous PowerPoint est un concept nébulo-fumeux qui évite à un auditoire ayant une tendance nette à l'assoupissement après la pause déjeuner un coma trop profond. L'auditeur n'est absolument pas captivé par la présentation mais par les animations. Il faut les voir parier sur la direction d'apparition de la prochaine diapositive ou sur les points lumineux en déplacements rapides qui n'apportent strictement rien au discours mais qui sont si jolis…
Mais ce n'est pas tout. La quantité de texte utilisable sur une diapositive PowerPoint est ridicule face à la quantité de texte que l'on peut mettre sur un transparent classique. Cela impose un raisonnement linéaire et simpliste. Selon Franck Frommer, ce raisonnement linéaire imposé par le déroulé des diapositives va à l'encontre du fonctionnement de notre cerveau. Avec PowerPoint, on raisonne comme une liste de commandes (...) sans chaîne signifiante ni pensée continue. De quoi appauvrir les raisonnements lors des réunions, car notre cerveau s'appuie plutôt sur des arbres de liens où les concepts s'enchevêtrent les uns avec les autres. C'est ce désordre apparent qui nous rendrait créatifs. Or, les réunions PowerPoint projettent l'utilisateur dans le rôle d'un spectateur, qui s'installe dans son fauteuil et entre en mode passif, comme il le ferait devant sa télévision.
Et ce n'est pas tout. Combien de personnes perdent un temps infini pour peaufiner une mise en page impossible qui rendrait fou n'importe quel apprenti typographe ? Sans compter le temps perdu à trouver la bonne image pour illustrer correctement la présentation ou reproduire fidèlement le logo de l'entreprise. Plutôt que de se consacrer à leur travail réel, les cadres déjà victimes de réunionite aiguë perdent de plus en plus de temps à préparer leurs supports de présentation. Et on parle d'augmentation de la productivité…
Ce danger n'est pas que théorique. Selon des experts de la NASA, l'utilisation du logiciel de Microsoft serait même responsable de l'accident de la navette Columbia en 2003. À cause de la multilplication des présentations spectaculaires sous PowerPoint, ces experts seraient passés à côté de l'essentiel.
L'armée américaine est du même avis. Son pire ennemi n'est plus le taliban enturbanné et muni d'une ceinture d'explosif mais le vilain petit canard de la suite bureautique Office car cet outil peut créer l'illusion de la compréhension et du contrôle d'une situation. C'est le cas en Afghanistan où la présentation de l'avenir du pays a inspiré cette phrase au le général McChrystal : « Quand nous aurons compris ce slide, nous aurons gagné la guerre ! ». Étonnant, non ?
Au-delà de l'outil, c'est son hégémonie que Frank Frommer dénonce. Il est plus que temps d'arrêter la powerpointisation des esprits puisqu'on est passé en quelques années d'une culture Word déjà mauvaise à une culture PowerPoint qui mise plus sur le visuel et le spectacle que sur une argumentation construite.
Le seul mérite de PowerPoint est de réussir à hypnotiser l'auditoire. À l'heure de la réunionite aiguë, c'est peut-être le seul moyen nous permettant de supporter des réunions interminables.
11 commentaires
Aha mais vous oubliez l’utilisation fort pratique qu’en font les universitaires en fac d’histoire, à savoir le diaporama qui sert à montrer des jolis tableaux. Et pour ma part, à écrire mon plan (et les citations qui vont avec).
Il faut dire que j’écris comme un chimpanzé sur tableau noir comme sur transparent alors les logiciels types PPT (je ne sais pas comment s’appelle celui d’OpenOffice, que j’utilise très souvent). Aussi, sur diapositive, j’arrive à faire des trucs lisibles, je ne perds pas de temps à écrire au tableau et je fais un effort pour illustrer mon cours.
Genre je suis trop une prof moderne.
Seul problème : on passe beaucoup plus de temps à faire des diaporamas qu’à préparer son cours. Je n’ai pas encore réussi à bricoler rapidement.
Sinon, c’est effectivement amusant de constater que quand j’étais en prépa, il y a (vache !) huit ans, on prenait tous nos notes sur du papier avec un bic. Aujourd’hui ça doit être 90 % des étudiants qui ont un ordinateur.
Mais ils se le font piquer à la BU. Bien fait pour eux, z’avaient qu’à pas snober les bics.
Bizarrement (et croyez-moi, ce n’est vraiment pas pour aller dans le sens du Grincheux, dont je ne partage pas toujours les haines, notamment à l’encontre des technologies modernes) si j’avais le choix entre un stock de diapositives (les vraies, les anciennes) et un vidéo-projecteur, je choisirais sans hésiter les anciennes diapo.
La qualité d’image me semble sans comparaison et que le rendu d’un portrait de Bronzino ou du bas-relief du tombeau de François Ier soit déplorable sur l’écran relève du crime contre l’art, pire du crime contre l’époque moderne…
Ou alors je ne sais pas bien régler la bestiole. Mais obtenir que les techniciens interviennent, héhé la bonne blague. Réussir à les coincer le temps d’emprunter le vidéo projecteur relève déjà de la gageure… Si au moins on pouvait disposer de salles avec vidéo-projecteurs fixes…
Raison pour laquelle j’ai dévalisé autant que j’ai pu le stock de diapos dont se débarrassait il y a quelques années le Cabinet des Médailles de la BnF… Et puis au moins, ça, ça marche. Juste une prise électrique et ça roule. Au pire on passe les diapo à la main si la commande déraille. Pas d’incompatibilité de carte graphique en plein séminaire/colloque/cours, pas d’écran bleu, d’incompatiblité de logiciels, pas de temps perdu à installer l’ordinateur, les câbles, le vidéo-projecteurs…
90% des étudiants avec un ordinateur? Ouuuh moi ça me gaverait très vite! Apprendre la prise de notes, c’est bien aussi… Et puis à l’heure où l’on parle tant d’écologie, ne pas savoir suivre un ordinateur me semble légèrement paradoxal.
Mais le problème n’est pas tant la technologie que l’usage de la technologie. Savoir l’utiliser sans en être dépendant me semble la seule chose sensée…
L’écriture lisible au tableau, cela vient avec le temps. Au début c’est vrai… ça laisse à désirer. Mais ça s’arrange.
Ouh lala moi les diapos, c’est le fond de l’horreur ! la dernière fois que j’en ai utilisé, y’en avait pas une dans le bon sens.
J’ai eu l’air bien courge.
Ce qui est rigolo avec les diaporamas genre .ppt, c’est qu’on peut bricoler pour mettre en valeur des détails, faire sa petite sauce. Et pouvoir afficher les citations et les dates sans avoir à les répéter 46 fois. Quand on vous donne “histoire de l’Europe, tous aspects confondus, à faire en 15h", pas le choix, faut tracer. Economiser la moindre minute.
En fait, j’adore aller à la pêche au document sur internet - tableaux, photos de livres, trucs divers (ah, les jeux de carte avec les héros de l’indépendance grecque, c’est pas un bonheur ça madame, mis en face d’une reproduction de la constitution grecque et de La Grève à Missolonghi ? :)).
(chacun son délire. En ce moment, moi, c’est le Printemps des Peuples)
Je suis tout à fait d’accord, difficile d’avoir une aussi bonne qualité que les diapos. Et je ne dis rien des profs qui mettent 20 minutes à faire démarrer le .ppt, se plantent systématiquement dans les commandes, font planter l’ordi (y’a des spécialistes - enfin, des très très malchanceux)…
Il fallait lire “ne pas savoir survivre sans un ordinateur” et non “ne pas savoir suivre un ordinateur"… Mais que fait la modération, j’vous jure…
Le vrai moyen pour faire des présentations, de toutes les façon, c’est beamer qui a remplacé feu Slitex.
Et vous oubliez les gains de productivité réalisés par les entreprises de nettoyage avec la suppression des tableaux noirs. Ppt et Veleda, ce sont les deux mamelles d’une nouvelle économie, celle où on paie des intellectuels un max pour rendre moins dur le travail des techniciens de surface et gens de maison.
Je vois assez mal Artémise utiliser Beamer, mais peut-être me trompé-je. De toute façon, pour utiliser un tel outil, il faut être un familier de Dieu, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
Avec quelques prières à Google!
http://regardnaif.wordpress.com/2010/11/02/un-peu-de-technique/
Je parle TeX dans le texte depuis des années. Je suis même tellement pervers que j’ai eu l’occasion de faire de la PAO en format A0 avec TeX, le pur, le dur, celui qui ne comprend ni plain ni LaTeX. C’est vous dire si je suis irrécupérable.
Et lorsque je parle de Dieu, je parle naturellement de Donald, l’organiste fou…
Un Dieu qui s’appelle Donald… Les barbus sont vraiment des êtres bizarres…
(—-> je suis déjà sortie)
C’est un nom qui en vaut un autre. Et avec lui, on peut s’amuser du nom de Dieu sans risquer la colère ou la foudre ! Et au moins, je peux dire que Dieu existe, je l’ai rencontré…
Dieu a même sa page web : http://www-cs-faculty.stanford.edu/~uno/
Deux films pour nous venger. Apollo 13 (R Howard) : Ed Harris balance le rétroprojecteur lorsqu’il se rend compte qu’un tableau noir et une craie suffisent; Space Cowboy avec la mine accablée d’Eastwood devant une présentation creuse sur ppt. Le client et la hiérarchie ayant toujours raison, je me coltine ordi et vidéoprojecteur, sans jamais les utiliser d’ailleurs, mais ils doivent être présents, sinon c’est le peloton. Ce n’est pas négociable. J’attends toujours le redoutable virus qui s’attaquera à cette bimbloterie de manière définitive. Néanmoins, amha, les ppt sont en fin de vie : avec les jeunes et geeks, tout doit passer par smartphone. “Regardez ce schéma que je viens de vous envoyer sur votre iPhone". C’est plus rigolo techniquement et surtout, c’est moins encombrant.
