« Tout ça pour ça | Mémoire virtuelle » |
Le patron de LVMH vient de prendre une participation à hauteur de 18% du le capital de l'entreprise Hermès, soit disant entreprise familiale. Nous avons entendu des plaintes de la famille en question demandant même à LVMH de revendre ses titres.
Je rappelle à toutes fins utiles que la société Hermès est une société en commandite par action plus prosaïquement appelée société anonyme. Je signale aussi que cette société est cotée en bourse, ce qui signifie qu'elle est sur le marché financier et que tout le monde, vous et moi compris, peut acheter des actions de ladite société de façon totalement anonyme. Une fois que quelqu'un détient un titre, il n'existe aucune loi ou aucun règlement forçant le détenteur à revendre ses titres.
Hurler au scandale lorsqu'on s'aperçoit qu'un concurrent a acheté 18% du capital d'une société est pour le moins bizarre puisque si on ne voulait pas qu'un concurrent l'achète, il suffisait de ne pas la vendre. On ne peut pas utiliser le système de la bourse pour trouver des financements — encore que ce n'est pas l'industrie du luxe qui est aujourd'hui en difficulté et qui n'ait plus aucun autre ressort que la bourse pour trouver des liquidités — ou rémunérer les dirigeants à grands coups de stock options sans en accepter les conséquences, l'une de ces conséquences directes étant la prise de participation par un concurrent voire dans les cas extrêmes la perte de controle ou la fusion avec une autre entité.
La bourse est une arène où tous les coups sont permis. Bernard Arnault n'est pas un ange et ses déclarations sur l'avenir d'Hermès n'engagent que ceux qui veulent bien y croire. Il sait parfaitement qu'une fois qu'il est dans la place, personne ne pourra l'y déloger. La question n'est ainsi pas de savoir si l'avenir d'Hermès est assuré ou non avec ou sans Bernard Arnault, la question est de savoir ce que l'on fait lorsqu'on introduit un titre en bourse. Il est parfaitement illusoire de réguler ces marchés car il existe tout un tas de montages financiers qui permettent de passer au travers des mailles du filet et de ne pas se faire remarquer durant très longtemps.
Souvenez-vous simplement du fameux trou du Crédit Lyonnais et de l'incendie fortuit qui s'ensuivit. Un lampiste, Bernard Tapie qui avait la gueule de l'emploi, a payé. Mais les initiés savent parfaitement qu'il n'était responsable indirect — après tout le Crédit Lyonnais n'était pas obligé de prendre des participations dans ses sociétés — que d'une infime partie du trou. La justice avait trouvé un coupable idéal et ce coupable allait payer. Mais ce trou était le fait de montages financiers hasardeux — et illégaux puisqu'il s'agit de cavalerie — qui ont permis à des hommes d'affaires que je ne citerais pas ici de se faire des fortunes sur le dos du contribuable.
Tout ceci n'est possible que grâce à la bourse et au côté anonyme des actions et des transactions financières. La seule façon de réagir est de réguler tout ceci en ôtant l'aspect anonyme du marché. Il faudrait que chaque entreprise reste maître de ses actions et les gère elle-même et non au travers d'un organisme comme la bourse qui décorrèle totalement l'activité d'une entreprise de sa valeur intrinsèque et cela d'autant plus que le chef d'entreprise a une vue à beaucoup plus long terme que le boursicoteur. Les esprits forts me rétorqueront que c'est impossible. C'est pourtant ce que font l'immense majorité des entreprises, soit parce qu'elles sont contraintes de le faire (cas des EURL, SARL… où les parts sont nominatives et dans les statuts), soit parce qu'elles ne sont pas en bourse. C'est donc parfaitement possible, mais encore faut-il le vouloir.
Seule la volonté politique fait défaut car personne ne veut s'attaquer aux marchés financiers sous le prétexte qu'on n'attaque pas la main qui nous nourrit. Comment faire pour contraindre les marchés à un assainissement nécessaire alors même qu'on est contraint à emprunter des sommes de plus en plus astronomiques à ces mêmes marchés ?
Même aujourd'hui où la maison Europe brûle puisque depuis une semaine l'Eldorado européen qu'était l'Irlande ne trouve à emprunter sur ces mêmes marchés qu'au taux exhorbitant de 9%, rien ne bouge. Attendons. Plus nous attendrons, plus les marchés seront forts car ils seront en mesure de fermer les vannes financières et moins nous arriverons à les réguler pour retrouver une situation saine.
Plus nous attendrons et plus nous verrons d'entreprises dans la situation d'Hermès.