« Même à Paris | Responsabilités partagées » |
Je ne sais pas si vous avez écouté ce matin l'émission économique de France Inter. Était interrogé un juge du tribunal de commerce de Paris, très fier de sa position et du rôle qu'il jouait. J'ai bondi lorsqu'il a parlé d'un dirigeant d'entreprise, visiblement une entreprise de fourniture de laboratoires photographiques, qui avait été mise en redressement et non en liquidation parce qu'il avait fait des efforts en vendant ses biens propres pour éponger une partie des dettes de son entreprise. Le juge en question a cru bon d'ajouter que les salariés de l'entreprise avaient aussi fait des efforts considérables.
J'aurais bien aimé connaître les efforts consentis par les salariés. Non pas qu'ils n'en aient pas fait, mais je ne suis pas sûr qu'ils en soient arrivés à vendre des biens pour éponger les dettes. Par ailleurs, il existe en France un principe de séparation entre les biens des dirigeants et ceux des entreprises qui semble de plus en plus bafoué, tout le monde trouvant normal qu'un chef d'entreprise en difficulté vende ses biens pour payer des salaires, voire pour payer les licenciements économiques.
Vous devez savoir aussi qu'un juge du tribunal de commerce est, pour simplifier, élu par les justiciables sous sa compétences, principalement les chefs d'entreprise. Pour être juge, il faut avoir le temps, donc avoir une affaire qui tourne toute seule. Ces personnes ne sont absolument pas représentatives de l'entreprise moyenne et n'ont pour la plupart d'entre eux aucune idée de ce qui se passe réellement dans une PME à l'heure actuelle. Pourtant, ils se permettent de prendre des décisions qui engagent l'avenir de ces entreprises. Et comme la plupart du temps, un demandeur est contraint d'élire domiciliation dans la juridiction du défendeur, que le juge est un notable du lieu connaissant peu ou prou le défendeur, il peut se passer des choses amusantes. J'en ai fait l'amère expérience. Je ne dirais ni où ni quand, mais j'ai été condamné à titre exécutoire et en dernier ressort, en tant que demandeur, lors d'une audience à laquelle je n'ai jamais été convoqué et sur la foi de faux en écriture du tribunal que j'ai pu prouver. Mais d'après la cour de cassation, un tribunal ne peut rédiger ni user de faux en écriture. Circulez, il n'y a rien à voir ! J'ai aussi pu assister à des audiences mémorables en province où des entreprises rentables, à cause d'un impayé et parce que la cour connaissait bien un repreneur potentiel ou un concurrent se sont retrouvées dans des positions très inconfortables. Pour un arrêté intelligent, combien y a-t-il de rendus biaisés ? Tous les tribunaux ne commerce ne sont pas celui de Paris. Dans les petites juridictions, tout le monde se connaît.
Il y aurait des sommes à écrire sur l'efficacité toute relative des tribunaux de commerce. La justice française est déjà dans un état lamentable — la plupart du temps en raison de l'attitude des juges qui provoquent l'engorgement des tribunaux et non d'un manque d'effectif, mais il est tellement plus simple de hurler au manque d'effectif que de regarder ses propres manquements —, mais en dehors des tribunaux des prud'hommes, il n'y a rien au fonctionnement plus biaisé que les tribunaux de commerce.