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Il y a quelques années, j'avais à ma disposition une voiture de fonction qui était une Peugeot 607. Je ne souhaiterais même pas à mon pire ennemi d'en avoir une. En un an, j'ai eu l'occasion de parcourir cent mille kilomètres entre Paris et Brive-la-Gaillarde et je dois avouer que je connais maintenant toutes les concessions Peugeot entre ces deux villes. Peugeot m'a changé quatre fois le moteur (quatre chaînes de distribution) et cette voiture passait plus de temps chez le garagiste que dans mon propre garage. Tout ce qui pouvait tomber en panne est tombé un jour ou l'autre en panne. J'ai même eu un accident homologué avec un hanneton qui m'a immobilisé le véhicule à Orléans pendant quinze jours…
Bref, cette voiture était une catastrophe.
Or un jour où je devais me rendre dans l'arrière-pays de Montpellier pour rencontrer un fournisseur d'antennes, ma 607 a refusé une fois de plus de démarrer. Après avoir appelé 607 Peugeot service et vu ma voiture partir sur un plateau une fois de plus, j'ai pris mon véhicule personnel, mon antique DS23 Pallas qui, malgré ses trente-six ans d'âge aux cerises, n'accuse encore aucune panne de son calculateur d'injection pourtant électronique. Peugeot devrait en prendre de la graine puisque sur la 607, ce calculateur a lui aussi subit un changement. Je me demande même si ce n'était pas la première chose à m'avoir lâché. Je partis donc tôt, un matin d'été, avec le véhicule suivant :
pour prendre l'autostrade direction Montpellier en enquillant la cinquième et en restant calé à 130 km/h. L'engin le permet et j'arrivai à Montpellier vers 11h00. Après avoir quitté l'autoroute, une petite route qui serpente et monte dans un arrière-pays accablé de chaleur devait m'amener à destination, ce qui me prit une bonne heure de plus et me permit de maudire le premier propriétaire de cette DS qui n'avait pas cru bon de prendre l'option climatisation. Pour un rendez-vous à 14h00, j'étais en avance, mais il me fallait tout de même déjeuner.
Imaginez un gros village du sud de la France, avachi sous un soleil de juillet. Personne dans les rues. La traditionnelle place avec son platane était désespérément vide et j'arrêtai le véhicule — immatriculé 75 pour passer inaperçu — à l'ombre de l'arbre. Tous les volets étaient clos et cette grosse bourgade semblait désertée de tous ces habitants. Seul un ignoble café, vide comme la place, montrait un semblant de vie et permettait au voyageur de passage de se restaurer en avalant un sandwich douteux accompagné d'une bière tiède comme celles des pubs anglais. J'en étais à hésiter à prendre un café tant l'endroit était sale lorsqu'un gamin s'est mis à digitaliser le capot de ma voiture. J'aime autant vous dire que je n'apprécie pas ces effusions à leurs justes valeurs et seuls la chaleur et le fait de se trouver en terrain ennemi m'a fait rester en retrait de l'action.
Le gamin, pas plus haut que trois pommes a laissé son ballon au milieu de la place pour venir poser ses pattes grasses et pleines d'empreintes digitales sur la carrosserie d'une vénérable automobile hors d'âge en essayant de se jucher sur la pointe des pieds pour voir ce qu'il y avait dedans. Et le bougre s'appliquait, faisant à plusieurs reprises le tour de l'engin. La petite scène dura quelques longues minutes. Visiblement, le gamin était fasciné.
Je ne sais pas si vous avez déjà regardé une DS de près. Pour une Pallas à volant en mousse, il n'y a que deux endroits où figurent les chevrons Citroën : sur le volant et au milieu de la porte de la malle. Quant au nom de la marque, il n'était pas nécessaire de l'indiquer tant ce véhicule était emblématique. Lorsque j'ai fini par approcher, ayant certainement vu les chevrons qui même dans ce coin reculé signifiaient encore quelque chose, le voilà qui me demande s'il s'agissait de la nouvelle Citroën. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui dire que oui. J'imagine sa tête le soir. Je sais, ce n'est pas très chrétien, mais il n'avait qu'à ne pas digitaliser ma voiture !
Le même type d'aventure est arrivé à une de mes connaissances cette semaine. Il s'agissait beaucoup plus prosaïquement d'une gamine en extase devant un téléviseur, le modèle de téléviseur que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, celui qui avait des boutons en façade et une porte fermant à clef pour condamner l'utilisation de l'appareil, le modèle classique, carré, pas un modèle au design encore futuriste de Téléavia. L'enfant en question était en extase parce qu'on avait enfin réussi à intégrer la télécommande au téléviseur pour ne plus la perdre.
Tout n'est pas perdu, il y a encore de l'espoir !
Toutes choses égales par ailleurs, les DS ne sont pas le meilleur exemple…
Je ne parle pas des ID (ou des dernières séries DS et Dsuper des années 70) mais des toutes premieres DS (LHM rouge), qui avaient exactement à l’époque la réputation de passer plus de temps en réparation qu’au garage de leur propriétaire… C’étaient des voitures vraiment faites de A à Z par des ingénieurs dans le mépris absolu des lois du marketing ou des désirs des clients, et de fait absolument remarquables mais pas par leur simplicité.
ça paraît d’ailleurs complètement fou que les ingénieurs et services marketing d’aujourd’hui n’arrivent qu’à sortir des voitures plus compliquées, plus difficiles à réparer (et d’un point de vue subjectif, plus lourdes, moins confortables et moins jolies que les DS) alors qu’on leur met entre les mains des qualités de matériaux et des moyens de fabrication (CN) sans commune mesure avec ce qui existait il y a 30 ans…
mais bon… les voitures sont fabriquées en fonction de ce que veulent les gens qui l’argent pour les acheter, le client est roi, et si la majorité veut des bagnoles compliquées et bling bling alors on a sur les routes ce qu’on mérite non ?
Oui, enfin, la DS est sortie en 1955, ce qui nous fait bientôt cinquante-six ans et les travaux préalables à sa conception ont débutés dès 1937, juste après la fiabilisation de la Traction Avant. Il n’empêche que cette voiture réputée non fiable jusqu’en 1960, à tel point que les concessions Citroën évitaient d’en vendre trop sous prétexte que c’était une brique pour essuyer les plâtres, un engin sorti du cauchemar néogothique d’un plombier dément et qu’à chaque nouvelle DS vendue il fallait engager un nouveau mécanicien, était bien plus fiable à l’époque qu’un véhicule standard actuel. Bon, il fallait trouver pourquoi le LHS première mouture était le mal absolu et cela leur a pris cinq ans…
Quant à dire qu’elle ne répondait pas à une demande, je n’en suis pas sûr. Je suis même persuadé du contraire car ce véhicule est arrivé après la chute de toutes les marques de luxe précipitée par la seconde guerre mondiale et se démarquait assez de la concurrence pour être attractif. Il ne vaut pas oublier qu’en 1955, Peugeot présentait sa 403. Les autres véhicules de la même classe ressemblaient aux Versailles, aux Facel, à des engins qui ont pris en pleine figure la modernité de la DS et qui ne s’en sont pas relevés.