« État grippal | Sans la liberté de blâmer » |
Anton Voyl n'arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s'assit dans son lit, s'appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l'ouvrit, il lut; mais il n'y saisissait qu'un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification.
Il abandonna son roman sur son lit. Il alla à son lavabo; il mouilla un gant qu'il passa sur son front, sur son cou.
Son pouls battait trop fort. Il avait chaud. Il ouvrit son vasistas, scruta la nuit. Il faisait doux. Un bruit indistinct montait du faubourg. Un carillon, plus lourd qu'un glas, plus sourd qu'un tocsin, plus profond qu'un bourdon, non loin, sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait.
Sur l'abattant du vasistas, un animal au thorax indigo, à l'aiguillon safran, ni un cafard, ni un charançon, mais plutôt un artison, s'avançait, traînant un brin d'alfa. Il s'approcha, voulant l'aplatir d'un coup vif, mais l'animal prit son vol, disparaissant dans la nuit avant qu'il ait pu l'assaillir.
Ceux qui ont quelques lettres auront reconnu un passage de « La Disparition » de Georges Perec, membre de l'oulipo. Si vous faites attention, vous remarquerez que ce livre conséquent ne comporte pas la lettre « e », une prouesse en français, un peu comme si Schiller n'avait jamais utilisé le « s ».
Comment Georges Perec a-t-il pu signer « La Disparition » ? Je n'irais pas jusqu'à dire que cette question m'obsède et m'empêche de dormir, mais cette question mérite qu'on la pose.