« Match pas si nul ! | Excommunication » |
Le jour du dernier voyage de la dernière 141R fut un jour funeste pour la SNCF. Non seulement les trains partaient à l'heure, mais ils arrivaient encore à l'heure malgré le travail pénible abattu par les cheminots. Les pénalités de retard devaient motiver les employés de cette vénérable entreprise. L'abandon de la traction à vapeur aura été un bouleversement bien plus profond qu'il n'y paraît. Avec l'abandon de la vapeur, l'usager est devenu un client. Tout est dit.
Je vous parle d'un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Il y avait encore des tickets de quai. Le billet n'était pas plus grand qu'un ticket de métro. Malgré l'absence totale d'informatique, il ne fallait que quelques instants pour en obtenir un, guide Chaix à l'appui et réservation comprise. Les voyageurs fleuraient bon la poussière de charbon et descendaient du train avec des escarbilles dans les cheveux. Aujourd'hui, avant d'arriver à l'heure, encore faut-il réussir à partir. Monter dans un train partant à l'heure avec un billet valide, un billet que l'on a réussi à acheter soi-même sans plonger dans une dépression nerveuse ou sans avoir des envies de meurtre à l'encontre du guichetier ou du concepteur du système informatique ubuesque de réservation, est devenu une gageure. Jusqu'à ce jour, je croyais bêtement qu'il n'existait plus que deux classes. Je mets sciemment de côté les services de la sécurité sociale qui remboursent toujours septante-cinq kilomètres d'un billet aller-retour de troisième classe pour tout curiste allant de Paris prendre les eaux à la Bourboule et les trains de nuit soumis à tarification spéciale pour avoir le bonheur de disposer d'une couchette trop petite. Grave erreur ! J'en ai compté au moins quatre, selon que l'on est en première ou en seconde classe, professionnel ou non. Et c'est sans compter sur les différents types de billets, remboursables ou non, échangeables ou non, avant ou après le départ, à moins que ce ne soit que la veille ou le mois précédent ou peut-être... Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas bien vu la différence de prestation ou de qualité allant de concert avec la différence de prix du billet, ni la ristourne qui devrait être faite sur le billet lorsqu'on est en surréservation puisque cela revient pour la SNCF à vendre plusieurs billets pour la même place. Ou alors il faudrait vendre le billet sans surréservation plus cher. Bref, tout ceci n'est pas très cohérent et je ne dois pas comprendre la subtilité de la tarification. Peut-être n'ai-je pas les capacités intellectuelles pour la comprendre, ce qui reste tout à fait possible. Après tout, ma spécialité, c'est le traitement du signal et le calcul intensif, pas la tarification de la SNCF qui semble être une science à part. Mon esprit chagrin me signale aussi que l'espace disponible est d'autant plus réduit que le billet est grand. Sans doute un phénomène de compensation. Passons.
Je remarque aussi que les quelques prises électriques, à la production aléatoire mais permettant tout de même de travailler en seconde classe, ne fournissent plus aucun courant. Le contrôleur auquel j'ai benoîtement posé la question m'a montré navré les disjoncteurs condamnés. Il n'y a pas de petits profits. Soyons magnanimes et rendons grâce à la SNCF d'oeuvrer ainsi pour la sauvegarde de la planète et la réduction de l'effet de serre par la condamnation des huit prises de courant disponibles pour l'intégralité d'une rame de TGV en seconde classe. Je vous assure avoir compté quatre prises limitées à 100 W chacune par emplacement pompeusement baptisés « bureau », deux emplacements « bureau » par rame de TGV, quatre fois deux font huit, le compte y est.
Point positif, le TGV pris ce matin était à l'heure, mais sans électricité, et celui dans lequel je suis monté à Strasbourg ce soir, s'il n'avait toujours par d'électricité en seconde, est bien arrivé à l'heure de Zürich et parti à l'heure en direction de la gare de l'est à Paris. Sans doute un coup à mettre plus au compte des Chemins de Fer Fédéraux de Suisse que des agents de la SNCF qui n'ont pris le contrôle du train qu'à Bâle.
Il n'en est pas de même pour l'antique ligne Toulouse-Paris par Rodez, Figeac, Brive-la-Gaillarde, Limoges, Châteauroux, Vierzon ligne de démarcation et Orléans-les-Aubrais, deux minutes d'arrêt, navette pour Orléans sur le quai en face. Je n'ai jamais trouvé un train partant à l'heure de Brive un vendredi soir à 19h06 pour raison de vache égarée sur la voie ou de feux de broussailles. J'aimerais bien avoir des statistiques sur le nombre de vaches par kilomètre habitant à une distance maximale — à déterminer en fonction de la vitesse moyenne de déplacement sur terrain non accidenté des quadrupèdes en question pondérée par la conformation locale de la pâture, la vitesse, pas le quadrupède, de la météorologie locale et de l'horaire de la dernière traite, je ramasse les copies dans deux heures — des voies de chemin de fer ou de l'évolution des feux de broussailles sur les terrains de la SNCF, pardon du RFF, rapportée aux kilomètres linéaires le long de cette voie le vendredi soir. Je constate simplement qu'en dehors de toute preuve scientifique et de toute logique puisque c'est l'heure de la traite pour la vache et de l'apéritif pour le pyromane, à moins qu'il ne s'agisse du contraire, le nombre de vaches limousines se promenant en liberté sur les voies ou de feux de broussailles est singulièrement en hausse ces derniers temps le vendredi en fin d'après-midi, au moins sur la ligne Toulouse-Paris par Brive-la-Gaillarde. On me dira que je ne vois que les trains qui n'arrivent pas à l'heure ou les prises électriques qui ne fonctionnent pas. Possible, mais je ne dois pas avoir de chance, il s'agit toujours des trains que je prends ou des prises électriques que je cherche à utiliser.