« Oséo | Il faut sauver le soldat Ryan » |
Vous vous souvenez sans doute de mes démêlés avec ce bel organisme qu'est l'URSSAF. Pour résumer les choses, à la suite du licenciement de mes salariés début 2011 et grâce à la lenteur de la justice française qui n'a toujours pas réglé le problème de mes impayés — une histoire de faillite frauduleuse d'un client même pas inquiété par la justice tellement celle-ci est aveugle —, j'ai eu un grave défaut de trésorerie. Histoire de m'obliger à payer très rapidement les charges restantes, l'URSSAF dans sa grande bonté a imputé sur les charges patronales des versements correspondant aux charges salariales et a immédiatement missionné un huissier pour recouvrer les sommes restant à régler. Lorsque je dis immédiatement, c'est en moins de deux semaines.
J'ai contesté les sommes demandées parce que des chèques personnels que j'avais envoyé en courrier recommandé et qui avaient été tirés n'apparaissaient pas sur les décomptes et j'ai eu l'outrecuidance de demander à l'URSSAF un état de mon compte dans leurs livres. Peine perdue, au bout de neuf mois, je n'ai toujours pas la réponse parce que ce grand machin ne sait pas ce qu'est une comptabilité analytique. Même ma comptable a écrit des courriers recommandés, rien n'y fait. Nous avons donc recalculé toutes les charges depuis la limite de prescription et le calcul de ma comptable ne colle pas au calcul de l'URSSAF. C'est presque normal. Et nous avons envoyé le calcul en question à l'URSSAF en demandant un étalement de la dette, la charge n'augmentant pas puisqu'il n'y a plus de salariés. Nous n'avons pas demandé un étalement sur trois ans, juste sur quelques mois.
Hier soir, au courrier, un refus dont le motif est plus que risible puisqu'on me reproche cette fois-ci non pas de ne pas avoir réglé les charges salariales comme l'an passé, mais de ne pas avoir réglé les frais d'huissier. Et pour cause, nous ne sommes pas d'accord sur les montants des charges avant la case frais d'huissier, je ne vais pas commencer par régler l'huissier pour ensuite demander un étalement de la dette ! il faudrait éviter de me prendre pour le dernier des imbéciles.
Là, je commence à être fatigué et je me demande si je ne vais pas mettre la clef sous la porte en leur laissant les dettes. Notre beau pays est un pays où il est impossible de travailler. La question n'est pas de savoir si le coût du travail est trop cher ou non, la question est de savoir si on veut en France des entreprises. L'URSSAF (et Pôle-Emploi, parce que ces deux-là sont comme larrons en foire), mais on peut y ajouter les banques, préfèrent couler des entreprises au premier défaut de trésorerie plutôt que de trouver des solutions à des problèmes ridicules. Dans mon cas, la somme initiale de 6000 euros a été doublée par les frais divers et variés (huissier, pénalité de retard et autres) rajoutés par l'URSSAF alors même que je leur demandais l'état de mon compte, état que, notez bien, je n'ai toujours pas. C'est pourtant la moindre des choses mais à l'impossible, l'URSSAF n'est sans doute pas tenue.
La période est difficile pour les entreprises et cela ne va vraiment pas en s'arrangeant. Et pas seulement pour mon entreprise. Mes clients mettent la clef sous la porte les uns après les autres. Les greffes des tribunaux de commerce ne tiennent pas à jour les registres des radiations (infogreffe n'est plus fiable puisque j'ai un client en liquidation depuis quasiment deux mois sans que l'entreprise ait été inscrite comme radiée !). Mais en faisant le gros dos, nombre d'entre elles pourraient passer le cap parce qu'un défaut de trésorerie ne signifie pas qu'elles ne sont pas viables. C'est sans compter sur l'URSSAF pour qui une bonne entreprise est sans nul doute une entreprise morte. Quand est-ce que nos décideurs comprendront qu'il vaut mieux faire crédit à une entreprise d'une dette qui ne s'accroît pas et qu'elle pourra régler dans quelques mois plutôt que de la faire mourir et de ne rien récupérer du tout ?
Ce qui n’en finit pas de m’étonner, c’est que rien ne change.
L’Urssaf, le Pôle Emploi, les services administratifs des Préfectures, tout ce beau monde est tel que décrit par M. Crozier dans les années 70. Et ils font l’unanimité contre eux. C’est 100% de détestation depuis au moins trente ans. Et ça ne change pas. Quel que soit le pouvoir politique, c’est irrémédiablement kafkaïen.
On a vu des entités détestées changer. Peut-être en pire ou en mieux. Les flics, les gendarmes, l’armée ont changé. Les autres semblent inamovibles. Et encore, tu ne les vois que de l’extérieur. En tant que proie. Moi, je les vois aussi de l’intérieur. Ce sont des “clients” ou des “partenaires” obligés. Et de l’intérieur, ça fait froid dans le dos.
Les administratifs des Préfectures : effrayant ! Des “usagers", ils en ont vraiment rien à foutre. Ils n’ont aucune culpabilité, aucun remords. Une forme d’inconscience. Même problématique pour les Pôles Emplois (ces ex ANPE-ASSEDIC) qui sont aussi bien indifférents quand il s’agit de radier quelqu’un qui a oublié une convocation que lorsqu’ils se font eux-mêmes gruger à financer des chômeurs professionnels.
Comment décrire ? C’est une espèce d’indifférence et de torpeur généralisée. Quelques uns sont agressifs ou se sentent coupables. C’est encore un signe qu’ils sont vivants. Ils sont minoritaires. L’essentiel ne déparerait pas dans une description de la bureaucratie soviétique.
Je connais bien les urgences hospitalières. Certains les détestent. Voire deviennent de plus en plus violents. D’autres ont de la considération. À l’intérieur, ce que j’en vois, c’est un bouillonnement incessant. Quelque chose de vivant. Très imparfait, mais vivant.
Les autres, c’est un cimetière. Et, sur le plan légal, un véritable mur. Ils peuvent tout se permettre. Les Préfectures peuvent s’autoriser des erreurs monstrueuses ayant des conséquences très lourdes. Elles gagnent toujours. Elles gagnent par forfait, quand l’usager n’a plus suffisamment de moyens financiers ou de ressort nerveux pour saisir les tribunaux administratifs. Elles gagnent parce qu’on leur donne toujours raison, même quand les textes stipulent le contraire, même quand la faute professionnelle est caractérisée.
Les Pôles Emplois commettent des erreurs tragiques. Untel est privé de ses maigres revenus pour un courrier mal adressé, une erreur dans un dossier. De l’intérieur, on sait qui a merdé. On voit les “agents” s’exclamer : “Oh merde, machin j’ai oublié de changer ses références. Il va encore gueuler ce con !". Et Machin pourra faire tout ce qu’il veut, saisir la justice, envoyer ses avocats ou demander au Pape d’intervenir : il aura tort. Toujours.
Pourquoi un tel mur tient-il encore plus solidement que le mur de Berlin qui a tout de même rendu l’âme ? Pourquoi alors que la gueulante dure depuis si longtemps, rien, mais alors rien, n’a bougé ?
Je préfère encore le côté ouvertement odieux des services britanniques, leurs homologues. Il y a encore l’espoir d’un affrontement direct et féroce. Là, nos services français, c’est comme manipuler un cadavre ou une personne ayant perdu connaissance. Ça fait des lustres qu’on s’épuise à essayer de les saisir.