« De la neige en hiver | Deux poids et deux mesures » |
Je fais actuellement des prestations techniques dans un laboratoire de recherche. À mes trop peu moments perdus, il faut aussi que je m'occupe de stagiaires. Certaines fois, j'ai de la chance, il s'agit presque d'êtres humains normalement constitués, c'est-à-dire avec deux bras, deux jambes et un cerveau pour signifier qu'ils existent. D'autres fois, je n'ai pas de chance. C'est le cas actuellement.
Si en septembre dernier, un stagiaire est parti de mon bureau pour voguer vers de nouvelles aventures en me disant merci pour ce qu'il avait appris — c'est bien la première fois que cela m'arrive —, j'ai hérité depuis de stagiaires disons médiocres pour rester poli. Je ne prétends pas qu'un stagiaire doive être opérationnel. S'il l'était, il ne serait plus stagiaire. En revanche, j'attends d'un stagiaire qu'il sache lire et écrire, s'il comprend ce qu'il lit c'est encore mieux, et qu'il soit présentable. À l'automne dernier, c'était une descente aux enfers et Dante n'était pas loin. J'en ai eu un qui avait tout compris de SQL et qui m'a fait dès que j'avais le dos tourné des requêtes SQL de cinq pages. Quand je vous aurai dit qu'une page est constituée de cinq mille signes, vous aurez compris pourquoi il me mettait à genoux un serveur pourtant parfaitement dimensionné.
Début février, j'en ai vu arriver un autre. La moindre des choses que l'on puisse objectivement dire est qu'il n'est pas en avance pour son âge. Admettons, tout le monde peut faire des erreurs d'orientation. Mais après avoir essayé de lui faire faire quelques menues choses durant un mois, je l'ai lâchement orienté vers un collègue qui, je pense, ne me remerciera jamais assez. Le stagiaire, au moins, devrait me remercier car si je n'avais pas réussi à m'en défaire, je pense que je l'aurais mis sur orbite à mains nues assez rapidement, voire que je lui aurais fait intégrer les règles d'accord du participe passé avec l'auxiliaire avoir et les verbes pronominaux à grands coups de Bled. Au sens propre, les coups. D'une hygiène douteuse, reniflant en permanence à tel point que je lui ai offert un paquet de mouchoirs en papier, il a beaucoup de mal avec le téléphone. Quant à sa compréhension de la chose écrite dans une langue que je ne puis qualifier autrement que d'être sa langue maternelle, je n'en parle même pas.
J'ai pour ma part arrêté d'enseigner il y a quelques années en écoles d'ingénieurs car les sciences dures n'ont plus les faveurs de ce jeune public. Des ingénieurs dits chargés d'affaires, on en forme par wagons entiers, mais l'esprit fantassin se perdant, il faut vraiment se lever de bonne heure pour trouver des jeunes ingénieurs faisant encore de la technique. J'ai comme l'impression que d'ici quelques années, nous allons avoir un problème. Que ferons ces fumeux (sic) chargés d'affaires s'il n'y a plus personne pour assurer in fine le travail ? Je ne sais donc pas, même si j'ai une petite idée, d'où vient ce défaut de formation. En tout état de cause, le niveau théorique des stagiaires qui arrivent devant moi est de plus en plus ténu. Mon vieux prof de math de spé aurait pu dire qu'il tend asymptotiquement vers zéro, c'est-à-dire qu'aussi loin qu'on regarde, il en restera toujours quelque chose. C'est le point de vu optimise d'une personne qui n'a pas à essayer d'en tirer quelque chose.
Cette baisse significative de niveau est pourtant assez récente. Il y a dix ans, j'arrivais à encadrer correctement trois stagiaires de licence professionnelle (BAC+3), un stagiaire ingénieur et deux thésards tout en faisant mon travail. Il suffisait de prendre un peu de temps tous les jours avec eux pour voir ce qui allait et ce qui n'allait pas et, le cas échéant, de remettre les choses sur les bons rails. Aujourd'hui, si je veux encadrer correctement un seul stagiaire, il faut que je sois sans cesse derrière lui à surveiller ce qu'il fait. Deux relève d'une mission impossible. Quant à leur utilisation d'internet, outre Tronche-livre® et Cuicui®, leur utilisation se résume à rechercher des réponses souvent fausses à des questions pourtant simples. Taper quelque chose dans un moteur de recherche est tellement plus reposant que de réfléchir un peu… Et on ne risque pas de se fouler un neurone !
D'un encadrement gratifiant, je suis aujourd'hui passé à quelque chose qui ressemble assez à l'idée que je me fais d'un garde-chiourme mâtiné d'une nounou. Je ne pense pas être payé pour cela.