« Vendeur d'encre | Le mail qui rend fou » |
Monsieur le Premier Ministre,
Je prends la plume à la suite de discussions que j'ai pu avoir ici et là depuis jeudi dernier. Je la prends d'autant plus volontiers que la récupération d'un sordide fait divers par des hommes politiques de toutes obédiences est scandaleuse. Un peu de décence ne nuirait pas. Cela ne changera pas grand'chose à ce qui est en train de se passer mais le millier de lecteurs qui passe ici tous les jours a autant le droit de savoir ce que je pense que la France a le droit de savoir ce que vous pensez, d'autant plus que vous le faites devant des journalistes.
Sauf erreur de ma part, vous étiez le premier à vous insurger lors de la dernière législature lorsque le gouvernement de l'époque réagissait à chaud, dans l'urgence, guidé par l'émotion. Vous aviez parfaitement raison, l'émotion ne doit jamais gouverner. Tout au moins elle ne le devrait pas, les affaires de la France sont trop sérieuses pour être montées en spectacle.
Et que faites-vous depuis un an ? Exactement ce que vous refusiez au gouvernement précédent. Il est vrai que vous étiez dans l'opposition. Votre action politique est intimement dictée par des symboles, par une émotion facile, quitte à ce que ces symboles soient contreproductifs. Outre le mariage pour tous qui a bloqué le parlement durant de longs mois alors que le ministère de la justice avait certainement des choses à traiter plus importantes et vitales pour l'économie, outre un refus de refonte de la fiscalité sur le long terme qui n'a pas empêché trois lois de finance rectificatives en 2012 et qui n'a rien arrangé d'une part à l'exil fiscal et d'autre part aux finances calamiteuses de l'état, vous vous trouvez maintenant acculé par l'Union Européenne à une impossible réforme des retraites parce que l'opposition à laquelle vous apparteniez a toujours refusé une quelconque réforme intelligente acceptée par l'ensemble de la représentation nationale. Permettez-moi de vous dire que je suis assez content que cette réforme vous échoie même si je sais par avance que vous ne toucherez pas ou très peu aux régimes spéciaux dont la plupart ne se justifient plus et que vous ne parlerez pas des régimes des multipensionnés. La seule réforme valable serait une retraite à points pour tout le monde avec un seul statut (donc un alignement du public sur le privé) et quelques dérogations pour quelques métiers réellement pénibles (sapeurs-pompiers, conducteurs de poids-lourds…). Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu'aucun des problèmes de fond de notre système des retraites ne va être mis sur la table.
Vous avez touché le fond samedi matin. Nous étions le 8 juin 2013. Vous avez cru bon de demander la dissolution du groupuscule d'extrême droite dont l'un des membres avait donné un coup mortel à Clément Méric. Je ne sais pas quelle idée a pu vous passer par la tête ou a pu germer dans la tête de l'un de vos conseillers. Je vous croyais assez intelligent pour esquiver cet écueil et éviter une récupération politique indigne d'un Premier Ministre en exercice. Je vais donc revenir sur les faits.
Mardi soir se tenait une vente privée dans un appartement de la rue de Caumartin à Paris. Dans cette vente privée se sont croisées deux bandes rivales, l'une d'extrême droite nationaliste à tendance fascisante et l'autre d'extrême gauche activiste et pas vraiment pacifique. Les deux bandes rivales en sont arrivées aux mains et Clément Méric en est mort. Il s'agit d'un fait divers tristement ordinaire même si, la plupart du temps, ce genre de bataille rangée se trouve plus facilement dans le quartier de la Gare du Nord.
La mort de Clément Méric est inqualifiable, absurde. Quelles que soient ses idées, il ne méritait pas d'en mourir, mais elle est malheureusement banale. Le responsable doit être sévèrement puni, mais il doit être puni en fonction de ce qu'il a fait et non de ses opinions politiques. Il s'agit d'une bataille de rue ayant dégénérée. Il a été victime d'une violence malheureusement commune et il est presqu'heureux que ce soit un activiste d'extrême gauche qui soit mort et non un activiste d'extrême droite. Cela vous a permis de demander la dissolution du groupe d'extrême droite. Qu'auriez-vous fait si le mort avait été l'un des activistes d'extrême droite ?
La violence n'est pas bonne parce qu'elle est d'extrême gauche et n'est pas mauvaise lorsqu'elle est d'extrême droite. La violence est toujours mauvaise puisqu'elle n'appelle en retour que la violence. Clément Méric est mort parce que deux bandes rivales voulaient en découdre, les idées politiques n'étant ici qu'un alibi. À bien y regarder d'ailleurs, les idées du premier groupe ne sont pas si différentes de celles du second. Je pèse mes mots car j'ai eu l'occasion de passer mercredi soir rue de Caumartin et voir les camarades de Clément Méric, crânes rasés, foulards sur le nez, appeler à la vengeance m'a laissé sans voix pour des gens que les certains media ont présentés comme de gentils pacifistes. Vos services de renseignement ne peuvent ignorer ce que j'ai pu, ainsi que de nombreux passants, voir.
Si vous décidez de dissoudre le groupuscule d'extrême droite nationaliste, vous devez aussi dissoudre le groupe d'extrême gauche. Visiblement, cela n'est pas à l'ordre du jour. Par ailleurs, ce n'est pas parce que vous décrétez cela devant des caméras de télévision que la justice vous donnera raison. La dissolution d'un groupe politique ne se fait pas encore par le fait du prince, et si je suis le premier à combattre les idées véhiculées par Serge Ayoub, nous sommes encore dans un état de droit.
J'ai tout entendu pour justifier la violence des activistes de gauche. J'ai même lu que leur violence est justifiée par la résistance française qui a pris les armes contre l'occupant allemand durant la seconde guerre mondiale, ce qui est tout de même une sérieuse réécriture de l'histoire. D'une part, aujourd'hui, la démocratie française n'est pas en danger et l'ensemble de la populations des extrémistes de tous bords n'excéde pas les 10000 individus (plus vraisemblablement 4000). Ils ne représentent qu'eux, il n'y a pas d'envahisseurs et pas d'envahis. Et d'autre part, la résistance française à l'occupant allemand était faite intelligemment. Elle n'allait pas casser les dents des soldats ennemis parce qu'elle savait que c'était contre-productif, qu'on ne luttait pas contre un envahisseur en l'affrontant directement. Elle était aussi bien plus ouverte politiquement.
Dans cette affaire, il serait de bon ton de ne pas prendre parti. Rien ne justifie aujourd'hui la violence de rue, ce qui ne signifie pas que je défends les uns ou les autres. Ces deux extrémismes sont dangereux et il convient de les combattre, mais les combattre par les poings ne sert à rien. Cela n'aboutira qu'à légitimer leur propre violence et les transformer en martyrs. Il faut au contraire les surveiller étroitement, condamner toute dérive en portant leurs actions illégales devant les tribunaux et il y a matière. En décrétant qu'il faut dissoudre l'un des groupes, vous vous aliénez le fait de pouvoir les surveiller en sapant tout le travail effectué par vos services de renseignement. Cela ne les empêchera pas de renaître avec un faux nez.
Par ailleurs, le tapage médiatique fait autour de cette affaire permet de cacher les dérives des antifas le 10 mai dernier à Rennes, comme permet d'éclipser une affaire à peu près similaire qui s'est tenue à Reims la semaine passée. La mort de Clément Méric doit être supérieure à celle d'un élève ingénieur des Arts-et-Métiers. Sans doute parce qu'il ne militait pas dans les mêmes groupuscules.
Mais ce n'est pas grave. Vous en faites un symbole et votre électeur sera peut-être content. Cela lui fera oublier un temps les autres problèmes de la France.