« Libre arbitreUne telle incompétence, ça se travaille »

Prémonition

20.09.13 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur

Tocqueville avait raison lorsqu'il écrivait dans De la démocratie en Amérique et dans la première moitié du XIXe siècle que la forme ultime de la démocratie est la loi du plus fort sur le plus faible. Aujourd'hui, les esprits cultivés, il en reste tout de même quelques uns, s'y réfèrent souvent en louant sa prémonition. Il est pourtant curieux que ces mêmes esprits oublient les prémonitions de l'économiste Frédéric Bastiat qui, en 1848, analysait dans sa publication sur l'état dans le Journal des Débats non la démocratie en Amérique, mais beaucoup plus prosaïquement l'avenir potentiel de l'état français.

En 1848, donc, Frédéric Bastiat résumait un débat idéologique en estimant que « l'état est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». C'est un peu lapidaire, obscur, mais il a précisé sa pensée en 1850 dans les Harmonies Économiques, un texte prémonitoire sur la faillite probable et aujourd'hui annoncée de notre système. Il y écrit ainsi :

Il est aisé de deviner le rôle que le gouvernement s'attribuera. Son premier soin sera de s'emparer de toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser ; et, pour colorer cette entreprise, il promettra de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable. Car, dira-t-il, n'est-il pas bien naturel et bien juste que l'Etat contribue à une œuvre si grande, si généreuse, si philanthropique, si humanitaire ?

Ensuite, sous prétexte d'unité, de solidarité (que sais-je ?), il s'avisera de fondre toutes les associations en une seule, soumise à un règlement uniforme.

Mais je le demande, que sera devenue la moralité de l'institution quand sa caisse sera alimentée par l'impôt, quand nul, si ce n'est quelque bureaucrate, n'aura intérêt à défendre le fonds commun, quand chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus, se fera un plaisir de les favoriser, quand aura cessé toute surveillance mutuelle et que feindre une maladie ce ne sera autre chose que jouer un bon tour au gouvernement ?

Bientôt, qu'arrivera-t-il ? Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu'ils administrent, qu'ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à peu, ils s’accoutumeront à regarder le secours en cas de maladie ou de chômage, non comme provenant d’un fond limité, préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la société. Ils n’admettront pas pour elle l’impossibilité de payer, et ne seront jamais contents des répartitions. L’état se verra contraint de demander sans cesse des subventions au budget. Là, rencontrant l’opposition des commissions de finances, il se trouvera engagé dans des difficultés inextricables. Les abus iront toujours croissants et on en recalculera le redressement d’année en année, comme c’est l’usage jusqu’à ce que vienne le jour d’une explosion. Mais alors, on s’apercevra qu’on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet, même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d’avoir perdu jusqu’à la notion du droit, de la propriété, de la liberté et de la justice.

Il faut noter ici les notions de droit, de propriété, de liberté et de justice. Lorsqu'un état en arrive à augmenter des impôts et à en créer de nouveaux jusqu'à ce qu'ils soient confiscatoires pour des revenus qui ne sont pas énormes et qu'une bonne part de la population est exonérée de ces mêmes impôts, lorsqu'un état interdit à certains travailleurs sous prétexte qu'ils sont non salariés l'accès à la sécurité sociale — je parle bien ici de la France —, lorsqu'un état force les travailleurs frontaliers (ce sera le cas en 2014) à utiliser la CMU avec tout ce que cela implique, peut-on encore parler de justice ? Quant à la propriété, après l'ISF qui est souvent un impôt sur des plus-values potentielles jamais pondérées par des moins-values potentielles, après les impôts sur les successions, un député socialiste a trouvé le moyen de proposer récemment à l'assemblée un nouvel impôt qui viendrait remplacer les traites des remboursements de prêts une fois les emprunts immobiliers intégralement payés. Cela reviendrait à payer un loyer à l'état pour un bien qui nous appartient et il serait alors très difficile de parler d'un état qui garantit la propriété individuelle.

Aujourd'hui, pourtant, nous sommes dans la situation prévue par Bastiat il y a plus d'un siècle et demi. En 2007, donc juste avant l'explosion de la crise que personne sauf Benoît Mandelbrot et quelques économistes sérieux n'avait vu venir, Georges Lane écrivait :

Le jour où le marché financier dira « je ne veux plus financer les déficits étatiques », la sécurité sociale aura vécu. Cinq minutes avant que l'URSS fût abandonnée, elle fonctionnait encore comme en 1917.

Et qu'avons-nous fait depuis 2007 ? Rien, nous avons creusé les déficits qui n'en demandaient pas tant. Entendons-nous bien, je ne parle pas de déficits conjoncturels, mais des déficits structurels qui sont le seul puits sans fond des assurances sociales françaises que personne ne nous envie sauf peut-être Michael Moore qui n'a pas tout compris.

La cerise sur le gâteau vient d'être posée par le gouvernement dans sa dernière réforme des retraites. Réformer le système des retraites est en France un sport, un jeu, et tant que ce fichu système des retraites ne sera pas changé pour une retraite à points, on ne progressera pas. Mais comme nous avons des salariés qui sans avoir lu Bastiat ont quasiment tout compris de sa pensée, il n'en est pas encore question. Pourtant, plus le temps passe et plus la transition sera violente.

Mais revenons à cette réforme des retraites et à ce qui n'a pas été dit dans les media à grande écoute. Pour avoir cette information, il fallait avoir sous la main les Échos ou les pages saumon du Figaro. Je cite ici l'article du Figaro du 6 septembre 2013 parlant des retraites des professions libérales.

La réforme des retraites place sous quasi-tutelle leurs caisses complémentaires dotées de très fortes réserves.

« Modernisation » pour les uns, « étatisation » pour les autres. L'État compte profiter de la réforme des retraites pour mettre la main sur les très indépendantes et bénéficiaires caisses de pension des professions libérales. Un choc pour les intéressés qui ont appris la nouvelle au moment de la publication du projet de loi, ce jeudi.

Principale mesure qui les fait bondir ? L'exécutif nommera par décret le directeur de la Caisse nationale d'assurance-vieillesse des professions libérale (CNAVPL) qui verse la retraite de base des libéraux. Un DG auparavant élu par le conseil d'administration. Quant aux dix sections professionnelles (médecins, agents d'assurance, vétérinaires, etc.) qui gèrent les retraites complémentaires, elles seront étroitement contrôlées par la CNAVPL. Une mise sous tutelle effectuée pour remettre de l'ordre et « rationaliser » le système, se défend l'entourage de Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales.

10 à 11 ans de prestations

Certes, certaines caisses ont pu être mal gérées, comme celle des médecins, reconnaissent les Libéraux qui s'étonnent de la sévérité de la décision. « Ils utilisent l'arme atomique alors qu'une tapette à mouche aurait suffi », fustige Michel Chassang, président de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL). Et le médecin de s'interroger, de façon faussement ingénue, « sur la finalité d'une telle démarche ». Les libéraux soupçonnent en fait le gouvernement de lorgner les 21 milliards de réserves des dix caisses, l'équivalent de 10 à 11 ans de prestations et aussi du besoin de financement total du système des retraites en 2020. « Cette somme est le fruit des sacrifices consentis depuis 30 ans par les libéraux en prévision du papy-boom », se défend la CNAVPL. Au titre des efforts fournis, les libéraux doivent cotiser jusqu'à 65 ans pour partir avec une pension complémentaire sans décote. Près de quatre ans de plus (à date d'aujourd'hui) que les salariés du privé. Selon nos informations, la Cour des Comptes se serait récemment intéressée de près à ces réserves en vue de les mutualiser.

Le siphonnage des trésors cachés des caisses, où qu'ils se trouvent, est un sport très pratiqué au sein de l'État en période de disette budgétaire. Et les libéraux ont peur d'être une future proie. Première étape, l'État pourrait mettre la CNAVPL en difficulté financière en accentuant les ponctions dont elle fait déjà l'objet au titre de la « compensation interrégimes » pour financer les caisses en fort déficit démographique (agriculteurs, artisans…). La deuxième étape consisterait à renflouer ladite caisse en branchant un tuyau sur les réserves des caisses complémentaires.

La priorité, pour les libéraux, est donc aujourd'hui de sécuriser dans la loi l'utilisation de leurs réserves afin, explique-t-on à la CNAVPL, « qu'elles ne puissent profiter qu'à ceux qui les ont patiemment constituées ». Bref, que la fourmi ne se fasse pas vider les poches par la cigale.

Et dire que je me suis fait traité de psychopathe par un militant de la CGT qui prétendait que c'était son régime spécial qui allait financer ma retraite de profession libérale.

 

1 commentaire

Commentaire de: Jean-Christophe

Déja dans « La République », Platon avait souligné quelques vicieux paradoxes … il est vrai, sur d’autres sujets.

22.09.13 @ 12:12


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