« Garde des sotsLa fusion des contraires »

Effets de bords de la loi Macron

17.03.15 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Je hais les politiciens

La loi Macron a été adopté il y a quelques jours grâce à l'utilisation judicieuse de l'article 49.3. Pour simplifier les choses, lorsqu'un texte est si mal ficelé que la majorité renâcle à voter pour lui comme un seul homme malgré les consignes de vote du parti, le gouvernement utilise le 49.3 s'exposant à une motion de censure de l'opposition, motion de censure toujours rejetée par la majorité qui ne voudrait pas faire tomber son propre gouvernement. C'est donc un jeu de dupes pour amuser la galerie et occuper nos chers députés pour qu'ils justifient leurs listes civiles.

Mais que donc contient cette loi qui aurait pu faire que même la gauche, prompte à voter les textes les plus idiots, n'aurait pas approuvé ? Quelques mesures étranges dont le travail le dimanche.

En effet, en dépit de la grogne des syndicats et d'une partie du PS, le texte prévoit toujours de passer de cinq à douze le nombre d'ouvertures dominicales sur autorisation du maire. Mais attention, les maires peuvent être rétifs à cette avancée du progrès social et comme les idées socialistes sont tellement bonnes qu'il convient toujours de les imposer par la contrainte, des « zones touristiques internationales » pourront être créées autoritairement par le gouvernement, zones où le travail dominical et tous les soirs jusqu'à minuit sera autorisé dans la joie et la bonne humeur. Notons tout de même que ce dispositif spécial vise à passer outre les réticences de la mairie de Paris pourtant socialiste pour autoriser l'ouverture dominicale des Champs-Élysées et des grands magasins du boulevard Haussmann (Galeries Lafayette et Printemps). Comme c'est une idée intéressante et novatrice, le gouvernement envisage aussi de l'appliquer à d'autres zones en France, comme Le Mont-Saint-Michel. Il me semblait pourtant qu'il était déjà ouvert le dimanche. Autre nouveauté du texte : les ouvertures dominicales des magasins des grandes gares.

Ne voyons tout de même pas tout en noir, la principale surprise du texte concerne la compensation pour les salariés. Les principes clefs du volontariat et des contreparties obligatoires (salaire, repos, etc.) sont bien posés. Mais après avoir prévu d'en exonérer, au nom de la défense des petits commerces, les PME de moins de vingt salariés, l'exécutif a finalement décidé de renvoyer la question à des négociations de branches, d'entreprises ou de territoires. Charge aux partenaires sociaux, qui auront trois ans pour conclure un accord, d'y définir eux-mêmes les contreparties obligatoires et les éventuels commerces qui en seraient exonérés. Je ne sais pas pourquoi, mais lorsque je vois dans un texte de loi un appel du pied aux partenaires sociaux pour décider d'un tel sujet, je me dis que nous ne sommes pas sortis de l'auberge.

Mais le travail du dimanche n'est qu'un petit bout du texte qui veut aussi s'attaquer aux professions règlementées. Face à la fronde des professions juridiques, le gouvernement est décidé à garder le cap. Pas question pour Bercy de laisser ce pan du projet de loi à la Chancellerie comme le réclament les professions concernées. Ce serait pourtant assez logique. D'un autre côté, lorsque je vois que ce la locataire de la Chancellerie est capable de pondre comme texte, finalement, je suis assez content que ce soit Bercy qui s'en charge. L'objectif final est triple :

  • faire baisser les tarifs en les rapprochant des coûts réels, ce à quoi je réponds que la majorité du coût des actes juridiques sont des taxes collectées par l'état et que si l'état veut faire baisser ces coûts, la méthode est assez simple, il lui suffit de faire baisser ces taxes mais sans doute est-ce trop simple pour Bercy ;
  • ouvrir le capital des sociétés d'exercice libéral, je me demande bien pourquoi et quel en est le besoin ;
  • instaurer une liberté d'installation encadrée pour augmenter notamment le nombre d'offices notariaux. J'aime assez la notion très étrange de liberté encadrée.

Sur ce dernier point, le Conseil d'État a émis avec justesse quelques réserves. En effet, dans le texte initial, chaque notaire peut demander à ouvrir une nouvelle étude à l'endroit de son choix, ce que la Chancellerie peut refuser grâce à deux critères particulièrement difficile à quantifier :

  • la continuité de l'exploitation des offices existants ;
  • le fait de ne pas compromettre le service rendu.

Ces critères sont évalués par l'Autorité de la Concurrence qui établit une cartographie des études notariales pour délimiter les zones où le nombre d'études est suffisant et les autres. Son rôle consiste aussi à entendre les professionnels qui s'estimeraient lésés. Il n'y a pas à dire, les juristes de Bercy sont réellement usinagazophiles.

Mais ce n'est pas tout. Dans le même texte, notre cher ministre parle aussi des tribunaux de commerce et des avocats en entreprise. Les tribunaux de commerce et les prud'hommes — et en général tout ce qui touche à la justice consulaire — sont la honte de la justice française. Si Saint Louis rendait la justice sous un chêne, j'ai constaté plus souvent qu'à mon tour que les prud'hommes ou les tribunaux de commerce la rendaient comme des glands et que c'était bien plus une loterie qu'un jugement raisonné. Il ne s'agit donc pas de les réformer, il faut tout simplement les supprimer et laisser une justice équitable de juges qui connaissent le droit et un peu moins les notables de la juridiction trancher les litiges. Problème : il y a beaucoup trop d'intérêts en jeu. Entre les greffiers de tribunaux de commerce et les syndicats noyautant les conseils des prud'hommes, la grogne aurait été bien trop grande. On ne supprime donc pas, on réforme à la marge.

Le statut d'avocat en entreprise est conservé. Je ne vois pas en quoi il dérangeait Bercy. Quant aux tribunaux de commerce, ils vont devoir se spécialiser. Les plus grosses affaires seront rapatriées dans les tribunaux les plus importants et les procédures collectives seront réformées, notamment les cessions forcées. En revanche, l'échevinage , c’est-à-dire la présence de juges consulaires en appel aux côtés des juges professionnels, sera traité dans le cadre du projet de loi « Justice du XXIe siècle », porté par Christiane Taubira. Nous avions déjà du grand n'importe quoi avec Emmanuel Macron, nous aurons du bizarre voire si nous avons de la chance du grotesque avec Christiane Taubira.

Avouez, vous croyiez que c'était tout. C'est mal connaître l'ardeur du locataire de Bercy puisque dans le même texte fourre-tout, il nous parle aussi de la modernisation du dialogue social. Personnellement, j'aurais tendance à dire que pour réformer le dialogue social en France il faudrait commencer par interdire des syndicats à la bêtise crasse comme la CGT, mais je vais encore recevoir des volées de bois vert. Pourtant, j'assume, nombre de fermeture d'entreprises sont dues à la position de ces syndicats qui considèrent toujours la lutte des classes comme une valeur d'avenir alors qu'il est impossible de régler les problèmes du XXIe siècle avec les recettes du XIXe. Il faudrait vraiment que j'écrive un jour un article sur ce qu'il s'est passé à l'usine Goodyear d'Amiens-Nord… Bref, en un mot comme en cent, je considère que l'état actuel du pays est en grande partie imputable aux différents gouvernements qui se sont toujours couchés devant des syndicats réactionnaires comme la CGT. Mais ce n'est pas le seul, ne me faites pas dire ce que je ne voudrais pas qu'on entende.

Revenons au dialogue social. Le texte qui devait être novateur en parle pour décider de n'en rien faire. En effet, si ces avancées devaient être portées dans le texte sous la forme d'amendements, un projet de loi idoine sera porté par François Rebsamen au premier semestre 2015. Nous allons encore être surpris des avancées du dialogue social pour notre bien.

Là encore, ce n'est pas tout puisque le texte s'occupe aussi de l'épargne salariale dans les entreprises de moins de cinquante salariés. En effet, l'exécutif veut instaurer un forfait social plus faible — il est de 20% des sommes versées — dans les entreprises passant un accord d'intéressement et de participation pour la première fois. Donc si je comprends bien le capitalisme, c'est le mal parce que c'est l'exploitation de l'homme par l'homme, le socialisme étant le contraire, arrangeons-nous pour que les salariés s'exploitent eux-mêmes. Je vois décidément le mal partout.

Il reste d'autres mesures comme les retraites chapeaux. On se demande bien ce que le gouvernement vient faire là-dedans. D'une part, cela ne le regarde pas, et d'autre part, il oublie juste de dire qu'il touche d'énormes cotisations, impôts et taxes sur ces retraites. Mais comme les idées ne sont pas claires et que Bercy ne sait pas si la régulation de ces retraites est un acte positif ou non, le texte ne prévoit rien et il faudra attendre des amendements ou de décrets hypothétiques. Beaucoup de bruit pour rien sinon pour de la communication.

Et nous arrivons à la plus belle des mesures, celle qui va sauver la France en nous promettant des jours meilleurs et des lendemains qui chantent, je veux parler de la réforme touchant les autocars et les autoroutes. Cela faisait tant de temps que nous l'attendions que j'en verse une larme émue. En effet, jusqu'à aujourd'hui, le transport par autocar était règlementé à l'extrême. Pour permettre de relier plus facilement les grandes villes françaises, il sera libéralisé et ces nouvelles dessertes auront d'après le gouvernement un prix inférieur à celui du train pour permettre au plus démunis de se déplacer plus facilement. Sauf que ce n'est pas très écologique, que dans la plupart des cas des voies de chemin de fer existent et qu'il suffit de contraindre la SNCF, entreprise publique mais noyautée par la toute puissante CGT, de mettre des trains sur ces voies. Je ne vois pas comment un transport par autocar peut être moins cher qu'un transport par rail sauf à reporter sur la collectivité l'entretien des routes.

Ce texte, nous le voyons, doit nous apporter la croissance qui nous manque cruellement pour boucler notre budget annuel et combler notre déficit endémique et structurel. Tout cela en imaginant des autocars remplis de notaires et conduits par des huissiers de justice pour aller faire le tour des pharmacies le dimanche dans des zones touristique d'intérêt national. Vous n'êtes pas convaincus ? Hommes de peu de foi.

Vous avez pourtant parfaitement raison. Jamais ce texte n'aborde les vrais problèmes de l'économie française et des petites et moyennes entreprises, celles qui fournissent la majorité de l'emploi en France, emploi non délocalisable. Jamais le gouvernement n'a envisagé que si chaque artisan français embauchait un salarié, nous aurions en France le plein emploi. Au contraire, on continue à leur pourrir la vie avec des mesures absconses pour ne pas dire idiotes et totalement inapplicables qui les dissuadent d'embaucher même si leur charge d'activité leur permettait.

Je vais donc vous narrer une petite histoire qui m'est arrivée pas plus tard que vendredi dernier. Nous étions le 13, j'aurais dû me méfier. Certains de mes lecteurs assidus savent que je restaure, ou plutôt que j'essaie de restaurer depuis plus de dix ans, une ancienne ferme dans le Limousin. Les bâtiments sont en pierre et, après avoir subi un maçon qui n'a eu que ce qu'il méritait en faisant faillite, j'en avais trouvé un autre, consciencieux. Le patron de cette entreprise de six personnes était un ingénieur béton. Il savait donc de quoi il parlait et ses employés marchaient à la baguette. Jamais un accroc, des prix corrects. Jusqu'en 2012, il avait devant lui deux ans de chantiers dans son carnet de commande. Proche de la retraite, il préparait sa succession en laissant progressivement la direction de son entreprise à sa fille. L'affaire roulait. C'était même un point de stabilité rassurant dans l'économie du canton qui suit malheureusement le cours du veau et de la pomme.

Vendredi donc, je l'appelle pour avoir un devis pour refaire un puits et j'apprends qu'il a cessé son activité. Il a cessé son activité pour plusieurs raisons. La première raison est un carnet de commandes totalement vide, une absence totale de visibilité et une trésorerie précaire. Pourtant, l'argent public coule à flots pour soutenir le bâtiment à grands coups de défiscalisation totalement inintéressante. Mais ce n'est pas ce qui l'a amené à prendre la décision de se séparer de tous ses salariés. Non, sa décision a été prise après étude des nouveautés que sont les comptes pénibilité et les comptes formation.

Père et fille, ingénieurs de formation, se sont mis autour d'une table et ont mesuré le pour et le contre, ont quantifié le coût induit par ces nouvelles mesures de progrès social et en ont conclu que leur entreprise ne pourrait plus être rentable parce qu'il aurait fallu quasiment une personne à plein temps pour effectuer les formalités au jour le jour pour leurs salariés, ce qui n'était pas possible. Ils ont aussi pris en compte les pénalités et les possibles condamnations si daventure les formalités n'étaient pas faites en temps ou en heure ou si un salarié avait l'idée saugrenue — parce que cela ne s'est jamais vu — de contester une décision devant les prud'hommes. À cet instant du récit, il faudrait que je vous raconte aussi dans un autre billet comment un beau jour de 2004, j'ai été condamné par un conseil des prud'hommes dont le président ronflait bruyamment en début d'après-midi pour non paiement de salaire à une personne qui n'avait jamais travaillé pour moi. Pour peu que ce petit patron ait eu le même genre d'expérience, il pourrait avoir gardé un souvenir saumâtre de cette justice qui l'inciterait à ne pas insister.

Ce progrès social imposé sous la forme des comptes pénibilité et formation a donc contraint une entreprise de six personne à fermer ses portes. Et cette entreprise était la dernière entreprise de maçonnerie du canton. Six personnes au chômage, le fondateur à la retraite misérable du RSI et le gérant actuel contraint à trouver un emploi à la grande ville, à plus de trente-cinq kilomètres. Vous allez me dire que c'est anecdotique. Peut-être pas, parce que je suis convaincu qu'il y a beaucoup de petites entreprises qui sont en train de faire le même raisonnement. Le rythme des fermetures d'entreprise n'arrête pas de s'accroître, sans doute ces nouvelles avancées du progrès social ne sont-elles pas pour rien dans ce phénomène.

Mais le plus beau reste pour la fin. Cette entreprise possédait du matériel et des matériaux pour ses chantiers. Elle n'a rien réussi à vendre même à prix défiant toute concurrence. Je vous laisse conclure.

 

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