« Solidarité de gré à gré | La réalité dépasse l'affliction » |
Le 1er janvier est un jour béni des dieux. Entre le traditionnel concert à la Musikverein, le mousseux tiède, la cohorte d'augmentations diverses et variées, les publicité pour Alka Seltzer et la promotion de la légion d'honneur, il y a de quoi satisfaire le moins grincheux d'entre vous.
Cette année, je pensais faire un billet sur le mauvais champagne — y en a-t-il seulement du bon tant le crémant de Bourgogne ou d'Alsace lui est supérieur ? Mais cette joie fut de courte durée. J'ai en effet appris que Thomas Piketty avait refusé la légion d'honneur; paraît-il avec hauteur.
Ce n'est pas le premier. Ce ne sera sans doute pas le dernier. Sauf qu'il y a refuser et refuser. Dans le cas de Thomas Piketty, c'est une coquetterie pour ne pas dire une tartufferie. Son nom a en effet été porté au décret présidentiel et il restera nommé dans l'ordre de la légion d'honneur à moins qu'il ne fasse annuler ce décret. Dans toute l'histoire de la légion d'honneur, il n'y a eu qu'un seul précédent, celui de Maurice Ravel en 1920.
Mais regardons un peu de plus près la comédie qui vient d'occuper les journaux.
Certes, on ne demande pas la légion d'honneur pour soi, mais on se fait parrainer. La procédure menée par la Grance Chancellerie est longue et minutieuse avec, à la clef, un dossier de proposition exhaustif et en partie rempli par l'intéressé :
La liste une fois établie par la Grande Chancellerie est approuvée en Conseil des Ministres. Je ne vois donc pas comment Thomas Piketty pouvait prétendre ignorer qu'il faisait partie de cette promotion du jour de l'an. Il savait qu'il y figurait et a donc monté une petite opération de communication. Cela ne l'a pas empêché de prétendre au matin du premier janvier 2015 :
Je viens d’apprendre que j’étais proposé pour la Légion d’honneur.
Pathétique, mais cela a permis au général Goergelin, Grand Chancelier, de lui donner une petite leçon de savoir vivre en lui rappelant opportunément que :
La plupart de ceux qui font connaître leur refus publiquement agissent ainsi pour attirer l'attention sur eux ou sur le combat qu’ils mènent. Ceux qui la refusent pour de bonnes raisons — un souci d’indépendance, un excès d'humilité —, des raisons que je comprends parfaitement, s'arrangent toujours pour nous le faire savoir discrètement, avant la publication de leur nom au Journal Officiel.
Et pan, dans les dents ! Il faut dire que Thomas Piketty n'a pas vraiment cherché à être discret, ni sur le refus ni sur les motifs de celui-ci. En effet, il prétend « refuse[r] cette nomination car [il] ne pense pas que ce soit le rôle d’un gouvernement de décider qui est honorable ». Dont acte.
Pourtant, il me semble que Thomas Piketty a émargé longuement au CNRS. C'est donc ce même état qui lui a permis de faire ses recherches et publier ses livres qui a voulu le reconnaître. En tant qu'il lui a permis de travailler, il a non seulement le droit de juger ses travaux, mais il en a aussi le devoir légitime.
N'ayant vraiment peur de rien, Thomas Piketty a cru bon ajouter que ce gouvernement « ferait bien de se consacrer à la relance de la croissance en France et en Europe ». Là, j'avoue ne plus réellement comprendre. Sauf erreur de ma part, il a tout fait pour préparer avec d'autres économistes l'arrivée de François Hollande à la présidence de la république. À plusieurs reprises, il a appelé à voter pour lui. Étant l'un de ses proches, il ne pouvait ignorer quelle serait la politique suivie ni ce qui nous attendrait. Comme Antigone dans le prologue d'Anouilh, il savait déjà.
Mais peut-être aujourd'hui est-ce différent. La catastrophe approche. Elle est inéluctable et s'approche dangereusement en nous humant de son groin immonde. Mieux vaut-il alors quitter subrepticement le navire en espérant ainsi faire oublier que l'on avait appuyé cette politique il y a peu. Cette attitude porte un nom, c'est de la démagogie doublée d'une absence de conviction de la part de quelqu'un qui n'a aucun courage politique.
L'humilité est la pire force de la vanité. Ce n'est pas de moi, c'est de La Rochefoucauld. Thomas Piketty a essayé de refuser la distiction tout en prenant garde d'être officiellement nommé dans l'ordre et en tentant de se refaire une virginité pour intégrer, peut-être, le club des frondeurs un peu à la gauche de notre gouvernement actuel.
Pathétique.