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Que serait la littérature sans le trio formé depuis des siècles par le mari, la femme et l'amant ? Sans lui, les plus grandes œuvres de la littérature française n'auraient pu voir le jour. Que deviendraient la Princesse de Clèves ou Madame Bovary si par un trait de plume, pour des raisons de moralité, on caviardait l'amant ?
Je me faisais cette réflexion à la suite d'une discussion avec des gens quelque peu bornés qui partaient du principe que ces œuvres, pleines de meurtres, de débauche, d'adultère et de sexe, ne faisaient que pervertir la jeunesse. Comme par ailleurs et aux dires de notre cher président, lire la Princesse de Clèves ne sert à rien, la littérature française a du souci à se faire.
La litterature n'est pas qu'un outil permettant de se forger péniblement son propre style à la fin de longues lectures aussi passionnantes pour un collégien que le Cid, 1984 ou les Faux monnayeurs. Elle permet un cheminement de pensée, une ouverture au monde. Enfin, pour les Faux monnayeurs, il me reste quelques doutes, puisque le seul extrait qui me reste est l'alexandrin :
Quiconque à quarante ans n'a pas d'hémorroïdes
qui n'est suivi d'absolument rien. On ne peut pas vraiment dire que Gide s'est foulé un neurone…
L'époque d'écriture du Cid n'a rien à voir avec notre époque contemporaire, mais lorsqu'on réduit cette pièce à sa plus simple expression — qu'il est joli garçon l'assassin de papa —, sa portée devient universelle.
Et encore, je ne parle que des œuvres originelles. Lorsqu'on attaque les parodies, souvent plus vraies que les originelles, ça se corse singulièrement. Je ne sais pas si vous vous souvenez de vos classiques. Je pose la question car je suis convaincu qu'un classique de la littérature est quelque chose que tout le monde aimerait avoir lu et que personne n'a vraiment ouvert. Personnellement, je les ai étudiés et j'en garde encore quelques souvenirs. Je ne comprends pas vraiment pourquoi s'embêter à lire Phèdre de Racine alors que le résumé qu'en a fait André Isaac, plus connu sous le nom de Pierre Dac, est parfaitement conforme à la version de Racine. Jugez vous-même :
PHÈDRE
parodie que Pierre DAC a créée en novembre 1935
avec Fernand Rauzéna et O'dett,
au Liberty 's, un cabaret-dancing de Paris
PERSONNAGES
PHÈDRE, SINUSITE (1ère servante de Phèdre), PET-DE-NONNE (2e servante), HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE, LE CHOEUR ANTIQUE
LE CHOEUR ANTIQUE (gueulant)
Ô puissant Dieu des Grecs, je viens sous votre loi
Faire entendre en ces lieux ma douce et faible voix.
De Phèdre et d'Hippolyte au lourd passé de gloire
Je veux ressusciter la tragique mémoire.
Phèdre aimait son beau-fils, Hippolyte au cœur pur,
Qui lui ne voulait pas de cet amour impur.
Ce que vous entendrez ici n'est pas un mythe
Mais le récit vécu de Phèdre et d'Hippolyte.
(Le Choeur antique sort et Hippolyte et Théramène paraissent.)
THÉRAMÈNE
Tu me parais bien pâle et triste à regarder
Qu'as-tu donc Hippolyte ?
HIPPOLYTE
Je suis bien emmerdé !
THÉRAMÈNE
C'est un sous-entendu mais je crois le comprendre.
Va, dis-moi ton chagrin, je suis prêt à l'entendre.
HIPPOLYTE
Le dessein en est pris, je pars, cher Théramène,
Car Phèdre me poursuit de ses amours malsaines.
THÉRAMÈNE
Et Aricie alors ?
HIPPOLYTE
Ah ! Ne m'en parle pas !
Quand j'évoque la nuit ses innocents appas
J'ai des perturbations dedans la tubulure
Car cette Aricie-là je l'ai dans la fressure,
Elle est partout en moi, j'en ai le cerveau las,
J'ai l'Aricie ici et j'ai l'Aricie là !
THÉRAMÈNE
Elle a pris je le vois et tes sens et ta tête.
HIPPOLYTE
Ah ! je veux oublier le lieu de sa retraite !
THÉRAMÈNE
La retraite de qui ?
HIPPOLYTE
La retrait' d'Aricie
Qu'elle sorte de moi ! Aricie la sortie !
(On entend une trompette jouer : As-tu connu la putain de Nancy ... )
THÉRAMÈNE
Mais qui vois-je avancer en sa grâce hautaine ?
N'est-ce pas de l'amour la plus pure vision ?
C'est l'ardente sirène, la sirène des reines,
C'est Phèdre au sein gonflé des plus folles passions !
PHÈDRE (entrant avec ses servantes)
Oui, c'est moi, me voici. Tiens, c'est toi Théramène?
Que viens-tu faire ici ?
THÉRAMÈNE
Je venais, souveraine
Vous redire à nouveau mon récit tant vécu.
PHÈDRE
Ton récit je l'connais, tu peux te l'foutre au cul !
À l'écouter encor' j'en aurais du malaise
Il y a trop longtemps que Théramèn' ta fraise !
(Théramène, ulcéré, s'incline et sort. Phèdre voit Hippolyte.)
PHÈDRE
Hippolyte ! Ah ! Grands dieux je ne peux plus parler
Et je sens tout mon corps se transir et brûler !
HIPPOLYTE
Ô rage ! Ô désespoir ! Ô détestable race !
PHÈDRE
Par Jupiter je crois qu'il me trait' de pétasse !
SINUSITE
Laissez-le donc maîtresse, il ne veut point de vous !
PHÈDRE
Et moi j'en veux que j'dis, et j'l'aurai jusqu'au bout !
(À Hippolyte)
N'as-tu donc rien compris de mes tendres desseins ?
T'as-t-y tâté mes cuiss's, t'as-t-y tâté mes seins ?
Ne sens-tu pas les feux dont ma chair est troublée ?
HIPPOLYTE
C'est Vénus tout entière à sa proie attachée !
PHÈDRE
Oui, pour te posséder je me sens prête à tout !
Que veux-tu que j'te fasse ? je suis à tes genoux.
Que n'ai-je su plus tôt que tu étais sans flamme.
HIPPOLYTE
Certes il eût mieux valu que vous l'sussiez, madame…
PHÈDRE
Mais je n'demande que ça !
HIPPOLYTE
De grâc' relevez-vous.
PHÈDRE
Voyons tu n'y pens's pas, je n'peux pas fair' ça d'bout !
HIPPOLYTE
N'insistez pas, madam', rien ne peux m'ébranler.
PHÈDRE
Si t'aim's pas ça non plus, j'ai plus qu'à m'débiner !
HIPPOLYTE
C'est ça, partez, madame, allez vers qui vous aime.
PHÈDRE
Par les breloqu's d'Hercule, je resterai quand même !
Ah ! Que ne suis-je assise à l'ombre des palmiers…
HIPPOLYTE
Et pourquoi donc, madame ?
PHÈDRE
Parc'que là tu verrais
Ce dont je suis capable et ce que je sais faire.
Je connais de l'amour quatre cent vingt-huit manières !
HIPPOLYTE
C'est beaucoup trop pour moi, madame, voyez-vous.
PHÈDRE
Dis, t'es pas un peu dingu' ? Ça s'fait pas d'un seul coup !
Oui je sais distiller les plus rares ivresses.
C'est y vrai, Sinusite et Pet-d'Nonne ?
LES SERVANTES (un peu gênées)
Oui c'est vrai, cher' maîtresse.
HIPPOLYTE
Je ne serais pour vous d'aucune utilité
Je ne suis que faiblesse et que fragilité.
PHÈDRE
On n'te demande rien ! je f'rai le nécessaire,
T'as pas à t'fatiguer, t'auras qu'à t'laisser faire.
HIPPOLYTE
Le marbre auprès de moi est brûlant comme un feu…
PHÈDRE
J'suis pas feignant' sous l'homme et j'travaill'rai pour deux !
HIPPOLYTE
Vos propos licencieux qui blessent les dieux même
Point ne les veux entendre, c'est Aricie que j'aime.
PHÈDRE
Mais de quels vains espoirs t'es-tu donc abusé ?
Aricie est pucelle et n'a jamais…
HIPPOLYTE
Je sais !
Mais c'est cela surtout qui me la rend aimable.
PHÈDRE
Oui mais pour c'qu'est d'la chose elle doit être minable !
Allons, va, n'y pens's plus et sois mon p'tit amant
Tu connaîtras par moi tous les enchantements !
HIPPOLYTE
De grâce apaisez-vous, je me sens mal à l'aise.
PHÉDRE
Viens, pour te ranimer j'te frai Péloponèse !
HIPPOLYTE
Qu'est-ce encor que cela ?
PHÈDRE
C'est un truc épatant !
Ça s'fait les pieds au mur et l'nez dans du vin blanc !
HIPPOLYTE
De tant de perversion tout mon être s'affole.
PHÈDRE
Ben qu'est c'que tu dirais si j'te f'sais l'Acropole.
HIPPOLYTE
Quelle horreur !
PHÈDRE
Comm' tu dis! Mais c'est bougrement bon…
Ça s'fait en descendant les march's du Parthénon !
HIPPOLYTE
Prenez garde, madame, et craignez mon courroux !
PHÈDRE
C'est ça, vas-y Polyte, bats-moi, fous-moi des coups !
HIPPOLYTE
Vous frapper ? Moi, jamais, mon honneur est sans tache.
PHÈDRE
Mais y'a pas d'déshonneur, moi j'aim' ça l'amour vache.
Viens, tu s'ras mon p'tit homme et j'te donnerai des sous.
HIPPOLYTE
Ah ! Que ne suis-je assis à l'ombre des bambous.
Je ne veux rien de vous, mon coeur reste de roche !
PHÈDRE (câline)
Qu'est c'que tu dirais d'un p'tit cadran solaire de poche ?
J'te frai fair' sur mesure un' joli' peau d'mouton
Et pour les jours fériés des cothurn's à boutons…
HIPPOLYTE
Croyez-vous donc m'avoir en m'offrant des chaussures ?
C'est croire que mon cœur du vôtre a la pointure !
PHÈDRE
En parlant de pointure, si j'en juge à ton nez
Ell' doit être un peu là si c'est proportionné !
HIPPOLYTE
Vous devriez rougir de vos propos infâmes
Vous me faites horreur, ô méprisable femme !
PHÈDRE
À la fin c'en est trop ! Mais n'as-tu donc rien là ?
HIPPOLYTE
Madame je n'ai point de sentiments si bas.
PHÈDRE
Les feux qui me dévor'nt ne sont pas éphémères,
Hippolyt' je voudrais que tu me rendiss's mère.
HIPPOLYTE
Ciel ! Qu'est-ce que j'entends ? Madame oubliez-vous
Que Thésée est mon père et qu'il est votre époux ?
PHÈDRE
C'qui fait que j'suis ta mer', c'est pour ça qu'tu t'tortilles ?
Ben comm' ça tout s'passera honnêtement en famille.
HIPPOLYTE
Mais si de cet impur et vil accouplement
Il nous venait un fils, que serait cet enfant ?
PHÈDRE
Puisque je s'rais ta femme en mêm' temps que ta mère
L'enfant serait ton fils en mêm' temps que ton frère.
HIPPOLYTE
Et si c'était un' fill' qu'engendrait votre sein ?
PHÈDRE
Ta fill'serait ta sœur et ton frèr' mon cousin !
HIPPOLYTE
Ah ! Que ne suis-je assis à l'ombre des pelouses…
PHÈDRE
Tu parl's ! Avec c'mond'là, qu'est-c'qu'on f'rait comm' partouzes !
HIPPOLYTE
Assez, je pars, adieu !
PHÈDRE
Ah ! Funèbres alarmes
Voilà donc tout l'effet que t'inspirent mes charmes ?
J'attirerai sur toi la colère des dieux
Afin qu'ils te la coupent !
HIPPOLYTE
Quoi, la tête ?
PHÈDRE
Non, bien mieux !
HIPPOLYTE
Vous êtes bien la fille de Pasiphaé !
PHÈDRE
Et toi va par les Grecs t'faire empasiphaer !
Sinusite et Pet-de-Nonne venez sacré's bougresses
Calmez mon désespoir, soutenez ma faiblesse.
PET-DE-NONNE
Elle respire à peine, elle va s'étouffer.
PHÈDRE
Ben, c'est pas étonnant, j'ai c't'Hippolyt' dans l'nez !
Je veux dans le trépas noyer tant d'infamie
Qu'on me donn' du poison pour abréger ma vie !
SINUSITE
Duquel que vous voulez, d'l'ordinaire ou du bon ?
PHÈDRE
Du gros voyons, du roug', celui qui fait des ronds.
Qu'est c'que vous avez donc à m'bigler d'vos prunelles ?
Ecartez-vous de moi !
(À Hippolyte)
Toi, viens ici, flanelle.
Exauce un vœu suprême sans trahir ta foi,
Viens trinquer avec moi pour la dernière fois.
(Les servantes apportent deux bols.)
À la tienne érotique sablonneux et casse pas le bol !
(Elle boit)
Oh Dieu que ça me brûl', mais c'est du vitriol !
(Hippolyte boit)
Divinités du Styx, je succombe invaincu
Le désespoir au coeur…
PHÈDRE
Et moi le feu au cul !
Nous voyons donc que Phèdre, classique s'il en est, est rempli d'inceste, de suicide et de plein d'autres choses que la morale chrétienne réprouve même si ça reste en famille. Faire lire cette tragédie aux élèves de collège ne peut donc que les pervertir et leur faire toucher du doigt des pensées impures.
Mais cela ne doit pas s'arrêter au collège. Souvenez-vous du Club des Cinq, du Clan des Sept ou des Six Compagnons. Quels univers malsains pour des enfants qui savent à peine lire ! Des filles habillées en garçon, une amitié virile, que des choses innommables qui faut censurer à tout prix.
La littérature est donc l'ennemi. Sachant qu'en donnant le goût de la lecture, on donne le goût de la littérature, il n'y a plus qu'une seule chose à faire : empêcher que les enfants attrapent le goût de la lecture. Fantomette, voilà l'ennemi !
Sus à Fantomette !