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Voilà, le résultat du référendum grec est tombé. Le non aux propositions des créanciers de la Grèce sur de nouvelles mesures de rigueur l'a emporté avec 61,31% contre 38,69%, selon les résultats définitifs publiés lundi par le ministère de l'intérieur. La participation s'établit à 62,5% des électeurs, ce qui nous apprend qu'au mieux — au mieux —, 38,32% des électeurs grecs ont voté « oxi ». J'écris au mieux car malgré une recherche poussée, je n'a pas réussi à obtenir le pourcentage de bulletins nuls ou blancs. Je ne sais pas pourquoi, mais il devait y en avoir.
Le seul vainqueur de ce référendum grec est l'ochlocratie. Pas la démocratie, l'ochlocratie car la démocratie ne peut fonctionner que lorsque l'intérêt général à moyen et long terme recoupe la somme des intérêts particuliers à court terme. Si ce n'est plus cas, la démocratie s'efface devant quelque chose qui ressemble à la loi du plus fort, ce plus fort n'ayant pas forcément la sagesse de choisir la bonne option pour s'en tirer au mieux à long terme. Le bon sens paysan disait chez nous que « ventre affamé n'a pas d'oreilles ».
Mais revenons à l'état de la Grèce. Les problèmes financiers de la Grèce ne sont pas récents. Déjà, au mitan du XIXe siècle, la Grèce a appelé à l'aide les grandes puissances européennes. Ces puissances l'ont aidée en contrepartie de la promesse d''instaurer d'un cadastre en Grèce. Plus de cent soixante ans plus tard, il n'y a toujours pas de cadastre exhaustif dans ce pays et, par bien des apects, ce n'est pas un pays moderne quoi qu'on puisse en dire.
L'Union Européenne a donc accepté dans la zone euro un état aux finances catastrophiques et géré depuis l'époque des colonels de manière pour le moins légère. Tout le monde était content, les grecs qui continuaient à vivre sur un grand pied avec l'argent des autres européens et les créanciers qui bénéficiaient de taux intéressants qu'ils se sont empressés de refiler à leurs épargnants sous la formes de produits dérivés.
Dans toute économie normale, lorsqu'une entité fait faillite, les créanciers et les membres de l'entité en faillite doivent prendre leurs pertes. Dans le cas de la Grèce, le peuple grec — responsable au titre des différentes élections — et les investisseurs dans la dette grecque sont principalement de petits épargnants qui ne savent généralement pas que leurs assurances-vie ou leurs plans d'épargne contiennent de la belle dette grecque bien moisie.
Il y a déjà eu des restructuration de la dette grecque, quoi qu'on puisse dire (la bagatelle de 100 milliards d'euros en 2012). La contrepartie de ces restructurations est pour la Grèce un certain nombre de réformes. Et ces réformes n'ont été que marginales. Pire, malgré les promesses de Tsipras en janvier 2015, rien n'a été fait depuis. Il est donc normal que la Grèce soit aujourd'hui devant un mur.
Pourquoi ? Ne pas vouloir faire de réformes revient à continuer sur la même pente. C'est confortable, cela a fonctionné depuis des décennies, pourquoi est-ce que cela devrait s'arrêter maintenant, là, tout de suite ? Le fait pour une minorité de grecs d'avoir dit non à ce référendum revient à chercher à imposer aux créanciers de prendre leurs pertes sans que le peuple grec ne veuille en prendre sa part. On comprend que cela coince en Allemagne. Mais ce qu'on sait un peu moins parce que c'est nettement moins médiatisé, c'est que l'Italie renâcle furieusement, que l'Irlande manifeste sa désapprobation et que l'Espagne et le Portugal n'en pensent pas moins. Tout le monde semble donc être prêt à aider une fois de plus la Grèce, mais sans vouloir absolument remplir le tonneau des Danaïdes. Et pour cela, il n'y a qu'une seule chose à faire, il faut que le gouvernement et le peuble grecs acceptent de réformer leur pays, ce qu'ils ne semblent vraiment pas prêts à faire. Pourtant, il faudra un jour que tous les gouvernements européens, pas seulement le gouvernement grec, commencent à comprendre qu'il est impossible de dépenser l'argent des autres sans penser à en gagner honnêtement par ailleurs. Parce que si nos gouvernements n'arrivent pas à le comprendre rapidement, nous serons tous officiellement pauvres. La réalité rattrapera la démagogie et dépassera le cynisme.
Plus grave encore, certains journalistes et certains hommes politiques s'appuient sur l'exemple de l'Islande. Alors, puisque des gens qui devraient pourtant être bien informés continuent sans scrupule à répandre des allégations douteuses, en particulier que l'Islande « a dit à ses cranciers et au FMI d'aller se faire voir, a nationalisé les banques, a arrêté les fraudeurs, a réalisé des allègements de dette et est maintenant en très forte croissance », je dois mettre quelques points qui manqueraient sur les i puisque l'Islande n'est qu'une utopie économique que l'on répète ad nauseam comme un mantra, une vérité absolue sans réellement aller voir ce qu'il s'y trame pour justifier certaines propositions grecques.
J'entends et je lis, ce qui est plus grave, partout que l'Islande a quitté le programme d'aide du FMI. Ce n'est pourtant pas le cas, il suffit d'aller faire un tour sur le site internet du FMI pour s'en convaincre. Tous les rapports sur l'état de l'Islande et les aides accordées s'y trouvent. Même un regard parfaitement superficiel comme celui d'un journaliste devrait voir que l'Islande, loin de là, n'a pas jeté le FMI hors du pays, FMI qui d'ailleurs ne tarit pas d'éloges pour l'Islande. Une lecture un peu plus attentive montre même que l'Islande a scrupuleusement suivi les conseils du FMI. Chose intéressante lorsque l'on lit tous les documents en détail, dans plusieurs cas, surtout quand il était question des banques, l'Islande est allée bien plus loin dans la logique libérale voir libertarienne que ne le recommandait le FMI.
Lorsque l'on parle de l'Islande, souvent revient la notion de révolution démocratique et anticapitaliste. L'Islande aurait eu le courage d'imposer à ses créanciers de prendre leurs pertes. Objectivement, l'Islande n'a pas renfloué ses banques. Mais ce n'était pas faute d'avoir essayé. En effet, la Commission Spéciale d'Investigation a écrit dans un rapport bien informé que le gouvernement islandait a tenté tout ce qu'il pouvait pour sauver les banques, y compris en demandant des prêts insensés pour payer les dettes des banques. On est donc loin du pays qui a envoyé ses créanciers au diable. Je ne lis pas l'islandais, mais je pense que les informations vraiment croustillantes figure dans la version en langue vernaculaire. La véritable histoire est, avant qu'elle ne soit réécrite, que le gouvernement islandait a essayé par tous les moyens de sauver ses créanciers mais que, hier comme aujourd'hui totalement incompétent, il a failli à sa tâche.
On apprend aussi dans ce rapport que les parlementaires islandais ont reçu de la part des banques beaucoup d'argent. De l'argent gratuit et sans aucune obligation. Et pire que tous, ces parlementaires ne sont pas — à l'exception de deux qui doivent payer pour tous les autres — les mêmes que ceux qui ont été reconnus coupables de fraude ou de délit d'initié. Les deux exceptions sont :
Le premier ministre, quant à lui, a été reconnu coupable de négligence dans son travail. Il reste complètement impuni. The Guardian en a fait un article : L'ex-Premier Ministre islandais Geir Haarde blanchi de négligence bancaire [Iceland ex-PM Geir Haarde cleared of bank negligence]. L'article de The Guardian était initialement intitulé « l'ex-Premier Ministre islandais Geir Haarde reconnu coupable du krach bancaire » [Iceland ex-PM Geir Haarde found guilty of banking crash failure], titre qui a été diffusé sur Twitter, ce qui bien sûr est le contraire absolu de la vérité.
Tous les autres protagonistes qui ont été condamnés à ce jour sont à la bulle bancaire islandaise ce que Bernie Madoff est à Goldman Sachs : des fraudeurs qui ont profité du climat, mais n'étaient pas des acteurs clés dans la bulle ou l'effondrement.
Mais passons à la nationalisation des banques. En effet, l'Islande a nationalité ses banques en un temps record, plus rapidement que le premier gouvernement Mitterrand a mis pour nationaliser le fleuron de l'industrie française au début des années 1980. Mais elle a aussi privatisées à nouveau deux des trois grandes banques nationales en un temps record, ce qui a permis aux créanciers de les racheter et de les vendre en un temps record à des fonds étrangers pour récupérer leurs avoirs. Si la troisième est encore dans le giron de l'état islandais, ce n'est qu'en raison des affaires judiciaires qui la secouent (Icesave). Non seulement l'Islande a privatisé son secteur bancaire, mais en plus, il a été vendu à l'étranger.
Il paraît aussi que l'Islande a procédé à un allègement de sa dette. Oui, mais pas vraiment. car l'endettement est réparti sous deux formes :
Les premiers prêts ont plus que doublé au cours de l'effondrement du système bancaire. Il y a eu quelques réductions de dettes parce que ces prêts étaient manifestement illégaux, ce que confirme les minutes des procès tenus en Islande :
Le second type de prêt est un peu plus compliqué à appréhender. Normalement, lorsque les prêts sont liés à l'indice des prix à la consommation — une chose rare en soi dans d'autres pays —, les remboursements augmentent en ligne avec l'inflation. Le système islandais est différent. Si vous empruntez 100 000 couronnes par an et que l'inflation passe à 10% (pas rare à l'époque post-effondrement, l'inflation a varié entre 4% et 20%), alors à la fin de l'année, vous devez 110 000 couronnes, même si vous avez payé des intérêts. Cela signifie que si votre prêt hypothécaire est de ce type, vous ne parviendrez jamais à le rembourser, parce que l'Islande depuis qu'elle a sa propre monnaie n'a jamais réussi à avoir une faible inflation. En effet, la couronne islandaise a été introduite en 1922 à parité avec la couronne danoise et a, depuis lors, perdu 95,95% de sa valeur. L'inflation est endémique et permanente en Islande. C'est pourquoi la plupart des prêts en Islande sont indexés sur les prix.
Il y a eu un programme d'allègement appelé la règle de 110%, qui a réduit toute hypothèque qui était de plus de 110% de la valeur de la propriété à 110% de la valeur de la propriété. Ceux qui étaient sous l'eau sont restés sous l'eau et cela ne les a guère aidé, car quelques mois plus tard, ils sont de retour là où ils en étaient.
Dans l'ensemble, l'allègement de la dette des ménages s'élève à 196,3 milliards d'ISK [couronnes islandaises, ndlr] tandis que les prêts indexés ont augmenté de 360 milliards d'ISK depuis septembre 2008 en raison de cette indexation (source).
Fondamentalement, les ménages sont moins bien lotis qu'ils ne l'étaient, pas mieux lotis, et les programmes de réduction de la dette n'étaient rien de plus que des manœuvres politiques pour gagner des voix, pas d'amnistie de la dette à proprement parler comme celle pour laquelle le mouvement Occupy avait fait campagne.
Mais une autre parole d'évangile stipule que l'Islande est désormais en forte croissance. Pas vraiment. L'Islande survit, elle ne croît pas. L'inflation pour 2012 est de l'ordre de 4%, en 2011 elle était de l'ordre de 5%. La croissance est estimée à 2,7% pour 2012 et était de 2,6% en 2011 (sources : estimation). Ce n'est pas réellement le signe d'une économie en bonne santé, surtout lorsque l'on regarde de près les chiffres fournis pas http://www.hagstofa.is/ et http://www.sedlabanki.is/ qui montrent que la plus grande partie de cette croissance provient de la croissance d'une bulle immobilière en Islande. Les entreprises ne récupèrent pas.
Aussi, gardez à l'esprit que la croissance est mesurée en couronne islandaise qui a une valeur d'environ 20-50% de ce qu'elle était en 2008, ce qui signifie que ces chiffres de croissance ne sont rien de plus que des erreurs d'arrondi dans l'effondrement de l'Islande en termes de devises étrangères.
Toujours convaincus que l'Islande est un exemple à suivre et qu'il faut l'adapter au cas grec ?