« Fin de règne | Dernière bataille avant la trève estivale » |
Vous me pardonnerez ce calembour facile et très approximatif mais il convient parfaitement à la situation actuelle. Quel que soit le point de vue des journalistes et des économistes que j'entends parler de la crise grecque depuis quelques jours, tous oublient volontairement ou non une partie plus ou moins significative du problème. Et selon leurs a priori politiques, le pan passé par pertes et profits est différent.
Posons donc les faits.
La Grèce a truandé ses comptes depuis des décennies. Ce truandage lui a permis d'entrer dans la zone euro — avec un an de retard sur les premiers pays — en lui permettant de financer à peu de frais son économie au travers de dépenses sociales, d'investissement, de traitement de fonctionnaires et de flux financiers divers. Le peuple grec en a donc directement profité, ce qui doit nuancer le fait qu'il est actuellement et pour sa grande majorité dans une misère noire. C'était il y a quinze ans que la Grèce devait être en excédent brut, pas aujourd'hui.
Les pays européens, en particulier les banques, ont acheté à tour de bras cette dette grecque alors qu'elles ne pouvaient ignorer la fragilité de l'état grec qui n'était qu'un secret de Polichinelle. Ce faisant, elle ont permis s'asphyxier les entreprises d'une partie des pays européens, France en tête. En effet, pourquoi prêter à des entreprises à un taux de 3% l'an alors que les bons du trésor grec, même risqués, rapportaient deux fois plus. Et pourquoi s'en priver puisque cette dette grecque était adossée à l'euro et que les autres pays de la zone euro seront contraints de la garantir en cas de défaut grec ?
Lors de la dernière restructuration de la dette grecque, nous avons sauvé notre système bancaire en injectant dans les banques grecques 100 milliards d'euros. Le but était plus d'éviter une contagion à notre système bancaire, donc de sauver les populations les plus fragiles de la zone euro que de sauver la Grèce et sa population.
Mais ce faisant, même si la population grecque n'était pas immédiatement aidée, l'état grec a tout de même bénéficié d'un allègement conséquent de sa dette. Aujourd'hui, le peuple grec n'en peut plus parce qu'une fois de plus l'indigence de son gouvernement ne lui a pas permis d'affronter la réalité en face. Je ne lui jette pas la première pierre, la situation de la France n'est guère meilleure et, si la Grèce saute, nous risquons forts d'être l'un des prochains sur la longue liste des pays à faire défaut dans un avenir plus ou moins proche.
Ainsi, du point de vue de la gauche, l'Europe n'a pas assez payé pour sauver le peuple grec. Du point de vue de la droite, l'Europe a trop payé puisque l'argent emprunté a tout de même bénéficié in fine au peuple grec. Du point de vue de la gauche, on oublie que cet argent a été déversé sciemment dans un puits sans fonds et qu'il s'agit de l'argent des contribuables européens et de la sécurité du système bancaire de la zone euro, de celui de la droite, on oblitère que c'est aujourd'hui que le peuple grec souffre et qu'il faudrait lui donner un peu d'air pour éviter de le ruiner encore un peu plus.
La crise s'amplifiant, les positions se radicalisent. Tsipras veut une aide d'urgence. Certains députés européens sont prêts à la lui donner sous forme d'aide humanitaire. Il s'agit là d'un point de vue à court terme. Les pays du nord, Allemagne en tête, veulent des réformes importantes, gages de remise à niveau à long terme. Ces deux points de vue sont déjà inconciliables du seul point de vue temporel.
La seule solution que l'Europe ait aujourd'hui pour éviter la destruction de la zone euro puisque tel est l'enjeu, c'est de reconnaître que la Grèce fera de toute façon défaut. Jamais cet état ne pourra rembourser une telle dette surtout en devenant jour après jour plus pauvre. Mais il ne s'agit pas non plus d'annuler purement et simplement cette dette parce que cela signifie aussi pour nous, heureux contribuables, une pression un peu plus soutenue. Je vous rappelle que notre beau pays n'a plus été en excédent primaire depuis 1974. Non, il s'agit d'étaler cette restructuration de dette sur plusieurs années et de conditionner les tranches de remises de sa dette aux réformes que l'état grec devra faire. En faisant de la sorte, non seulement il serait possible d'aider efficacement la Grèce mais aussi de lisser pour le système bancaire européen les pertes. À titre d'information, Bercy reconnaissait il y a quelques jours que le système bancaire français était exposé à hauteur de 68 milliards d'euros au risque grec. Avec le hors bilan et les produits financiers, on ne devrait être pas très loin de la centaine de milliards d'euros. Cela représente 5% de l'ensemble de la dette souveraine française, deux cents jours d'emprunts au rythme soutenu que nous avons. Une paille pour un pays comme la France qui n'est absolument pas endetté.
Tous les négociateurs, grecs comme européens qui discutent sur le sujet de cette dette ne devraient jamais oublier ces quelques points. Nous sommes sur une corde raide et s'il faut sauver la Grèce, cela ne doit surtout pas être à n'importe quel prix parce que tous ceux qui veulent absolument une annulation de la dette grecque seront aussi les premiers à descendre dans la rue lorsque l'état piochera dans leurs avoirs bancaires ou augmentera les impôts pour renflouer le trou. L'électeur a souvent une courte vue et une courte mémoire.
Et il est urgent de trouver une issue à cette crise. Urgent car nous ne sommes pas loin de l'explosion d'une bulle obligataire sur laquelle tous les pays occidentaux sont assis. Cette bulle menace d'exploser à tout moment. Je pense à titre personnel que nous n'en sommes plus à savoir si elle va exploser, mais quand. Et lorsqu'elle explosera, la situation qui s'ensuivra fera passer la grande dépression des années 1930 et la crise des subprimes pour une aimable promenade de santé.
À ce propos, je note que pour la première fois ce matin, nous avons entendu parler dans des media nationaux du crash des bourses chinoises qui a pourtant commencé il y a un mois. En un mois, les principales bourses chinoises se sont dépréciées de 30%. Trois mille milliards de dollars se sont évaporés sur le marché des actions. Quand on sait que l'état chinois possède plus de la moitié des actions des entreprises cotées en bourse en Chine, on se dit que le problème aurait été bien plus prononcé dans un état respectant les libertés fondamentales. Je n'ai pas de nouvelles du marché obligataire chinois mais il ne faut pas perdre de vue que la Chine a investi tout ce qu'elle pouvait sur les obligations des états étrangers. Depuis quelques mois, elle investi même en renminbi, ce qui nous réserve de belles surprises en cas de déroute financière durant laquelle le renminbi pourrait bien s'apprécier fortement.
Un lecteur attentif vient de me faire savoir que le “Canard enchaîné” avait titré un article de la même façon.
Je ne lis pas le “Canard". Plus exactement, je ne le lis plus et je n’ai pas pour habitude de piquer ses titres. Les journalistes du “Canard” ne sont pas les seuls à avoir le droit aux calembours faciles et douteux. Je le revendique aussi…