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Il paraît que les tablettes électroniques sont bonnes pour l'environnement. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre lorsqu'on sait que quatre-vingt pourcents des composants de ces bijoux de technologie sont issus de sources primaires et qu'ils ne se recyclent que très mal — ou que leur recyclage est dispendieux en énergie, ce qui revient pratiquement au même.
Ces tablettes sont, paraît-il, écologiques parce qu'elles évitent l'abattage d'arbres pour fabriquer du papier. C'est un fait indéniable, le papier est issu du bois donc des forêts. Mais d'où provient donc l'énergie nécessaire au fonctionnement de la tablette ? Je n'ai encore jamais vu un tel gadget muni de panneaux solaires, encore qu'il faudrait discuter du rendement total du panneau solaire, construction et destruction comprises. Combien de livres peut-on lire avec un tel engin avant qu'il ne tombe en panne ? Combien de jeux de piles ou d'accumulateurs aura-t-il consommé ? On ne parle jamais du taux de panne de ces bidules ni de leur consommation, encore moins des lunettes de leurs sympathisants. Personnellement, je n'ai encore jamais vu un livre, même très ancien, tomber en panne. J'entends déjà les esprits forts me signaler qu'ils peuvent être dévorés par les vers. Peut-être, mais l'électronique n'aime pas l'humidité non plus et si elle n'est pas dévorée par les vers, elle s'oxyde et moisit, ce qui fait qu'au final, le résultat est le même.
Par ailleurs, l'argument du nombre d'arbres abattus me semble particulièrement spécieux. Je reçois des volumes énormes de publicité dans mes boîtes aux lettres, que ce soit à Paris ou au fin fond de la campagne, et j'aimerais savoir, au regard de la consommation de livres moyenne annuelle par habitant, quelle fraction de la consommation annuelle de papier la publicité utilise. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que cette fraction n'est pas vraiment négligeable. Les mêmes esprits forts me diront que la publicité est faite sur du papier recyclé. Certes, mais je les mets au défi de reconnaître un papier recyclé correctement d'un papier neuf.
Les marchands de soupe à la tête desquels se situe Apple, la petite pomme qui fabriquerait des machines à laver si le fait d'avoir une pomme sur une machine à laver faisait vendre, et qui essaient de nous refiler malgré nous ces tablettes électroniques indispensables nous affirment péremptoirement que le livre est mort, déjà enterré et que pour être un homme moderne, il faut absolument avoir une tablette tactile pour lire. Je n'ai pas encore vu le faire-part annonçant la mort du livre.
Et si je n'en veux pas, de ces trucs électroniques ? Et si j'étais un fétichiste maniaque et tellement pervers qui collectionnait les bouquins ? J'aurais l'air bête avec des disques durs sur mes étagères ou des cartes mémoires qui ne seront peut-être pas compatibles avec la prochaine tablette parce qu'il faut bien faire marcher le commerce. Avec des livres contre les murs, on peut isoler phoniquement et thermiquement un appartement. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé d'isoler un appartement avec des cartes mémoire… Je vois d'ici le tableau.
Sérieusement, arrivez-vous à imaginer les bibliothèques et les librairies d'un monde où la tablette électronique a remplacé le livre ? La relation avec un livre est charnelle — je vous ai déjà dit que j'étais pervers — : l'odeur du papier et de l'encre, le toucher du vélin et de la reliure ne sont pas étrangers à l'amour des livres. Je n'ai encore jamais vu quelqu'un sentir une tablette ou en caresser une et je crois que le jour où je verrai ça, je désespérerai encore plus de mes frères humains.
Ah! Comme quoi, mes mètres linéaires de livres ont du bon! Si je comprends bien, j’ai l’autorisation de les garder et même de les accroître pour mieux isoler les murs?