« PuritanismeLauréat béat »

Lettre ouverte du PDG de la CGT, inénarrable secrétaire général à la stalinienne moustache

27.05.16 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Haines ordinaires, Je hais les politiciens

Mon cher Philippe,

Je t'écris cette lettre ouverte parce que je t'ai entendu l'autre jour sur France Inter et que j'avais déjà tiqué quelque peu à des élucubrations. Mais ce soir, j'ai entendu sur Arte dans l'émission 28 minutes l'avocat officiel de ta centrale syndicale. Ton discours n'était pas franchement brillant, mais je dois dire que celui de ton avocat l'était encore moins.

Je l'ai entendu parler de la hiérarchie des normes de mon copain Hans Kelsen. Je l'ai entendu raconter des bêtises. Mon devoir est donc de t'expliquer ce qu'est cette hiérarchie des norme que toi et les tiens avez à la bouche sans en comprendre le début du commencement.

Je vais donc débuter mon développement par une définition. Elle n'est pas de moi, elle est de Wikipedia. Elle vaut ce qu'elle vaut, mais dans l'ensemble, elle est factuelle et ouverte à des esprits simples :

La notion de hiérarchie des normes a d'abord été formulée par le théoricien du droit Hans Kelsen (1881-1973), auteur de la Théorie pure du droit, fondateur du positivisme juridique, qui tentait de fonder le droit sans faire appel à la morale et au jusnaturalisme, ceci afin d'élaborer une science véritable du droit (donc axiologiquement neutre, c'est-à-dire indépendante des présupposés subjectifs et des préjugés moraux de chacun). Selon Kelsen, toute norme juridique reçoit sa validité de sa conformité à une norme supérieure, formant ainsi un ordre hiérarchisé. Plus elles sont importantes, moins les normes sont nombreuses : la superposition des normes (circulaires, règlements, lois, constitution) acquiert ainsi une forme pyramidale, ce qui explique pourquoi cette théorie est appelée pyramide des normes.

Cet ordre est dit « statique » car les normes inférieures doivent respecter les normes supérieures, mais il est également « dynamique » car une norme peut être modifiée en suivant les règles édictées par la norme qui lui est supérieure. La norme placée au sommet de la pyramide étant, dans de nombreux systèmes juridiques, la Constitution. Puisque la Constitution elle-même ne pouvait recevoir son caractère obligatoire que d'une norme supérieure, et qu'une telle norme n'existait pas, Kelsen faisait intervenir le concept de « norme fondamentale », qui consiste principalement en un présupposé méthodologique nécessaire afin de donner un caractère cohérent à la théorie du droit.

Cette théorie de la hiérarchie des normes ne peut s'appliquer que pour les Constitutions dites « rigides ». Dans un État à Constitution « souple », la Constitution est généralement élaborée, votée, et révisable par l'organe législatif habituel, de la même façon qu'une loi ordinaire. De ce fait, ces deux normes ont une valeur juridique identique et la loi n'est donc pas inférieure à la Constitution. À l'inverse, dans un État à constitution « rigide », la Constitution est élaborée et/ou votée par un organe spécialisé (gouvernement, groupe de travail), voire adoptée par référendum. Sa procédure de révision fait également intervenir un organe spécial et/ou le peuple, qui dispose du pouvoir constituant dérivé. C'est pourquoi elle a une force juridique particulière, supérieure aux autres normes, qui devront dès lors la respecter.

Je serais heureux que tu m'expliques ce que tu ne comprends pas dans la définition ci-dessus. Visiblement, il y a quelque chose qui ne passe pas et tu râles copieusement contre l'article 2 de la loi travail. Cet article choisit de donner la prééminence aux accords d'entreprise sur les accords de branche et les accords nationaux. Y parler d'inversion de la hiérarchie des normes est un abus de langage. Et si tu trouves que la hiérarchie des normes est violée, que dire du principe de faveur ?

En effet, il y aurait inversion de la hiérarchie des normes si un accord d'entreprise était supérieur au droit du travail courant en l'absence d'une telle disposition. Or ce n'est pas exactement cela qui se passerait car l'article 2 dispose qu'en cas d'accord d'entreprise, celui-ci serait prééminent sur l'accord de branche. C'est prévu dans la loi, Hans est content et la hiérarchie des normes n'est pas violée. Mais, je te l'accorde, on ne peut pas être un syndicaliste borné et contestataire sans avoir un soupçon de mauvaise foi. Sinon quel prétexte aurais-tu pour organiser un barbecue géant à base de pneus dans une gare de province et une fiesta avec moult ballons multicolores dans les rues de Paris. Comme ce texte de loi est de surcroît illisible — je l'ai lu jusqu'au bout, je me suis accroché —, il est d'autant plus facile de manipuler les foules pour essayer de prendre l'ascendant sur la CFDT. Il faut dire que c'est ton poste que tu joues, la CFDT risquant de te damer le pion dans les élections professionnelles prochaines. C'est certainement plus important qu'une France totalement bloquée par un syndicat représentant 2,6% des salariés et largement moins de 1% de la population. Chose amusante, l'immense majorité des gens qui ont défilé dans Paris cet après-midi n'était pas concernés par cette loi puisqu'ils s'agissaient principalement de retraités, d'agents de la SNCF et de fonctionnaires. Sans doute faisaient-ils grève par solidarité. Je te rappelle que la loi ne prévoit pas ce cas de figure. Comme elle ne prévoit pas non plus qu'une bande d'excités puisse empêcher des travailleurs non grévistes d'aller occuper leurs postes. Il y a même des sanctions pénales prévues pour ce point précis, mais je doute qu'un juge se risque à les faire appliquer.

Ce qui m'étonne un peu, ce sont les sondages qui sortent disant que sept français sur dix sont opposés à cette loi. C'est bien, mais il faudrait tout de même corréler ce résultat avec les personnes sondées qui ont lu le texte. Je ne suis pas sûr que les 70% des gens interrogés qui sont contre ce texte et en demandent la suppression n'aient lu seulement son introduction. J'ai même entendu ton avocat trouver le moyen de mentir éhontément — mais je devrais savoir que la hontectomie est tout de même une nécessité absolue pour travailler dans une organisation telle que la tienne — en prétendant que ce texte de loi n'est pas public. C'est parfaitement faux, il est actuellement sur le site internet du Sénat.

Partant de là, les lecteurs pourront lire avec attention l'article 6. Parce que si l'article 2 ne représente rien d'autre qu'une perte d'influence pour un syndicat aussi médiocre que le tien, restant arquebouté sur le principe délétère de la lutte des classes, usant au XXIe des méthodes éculées du XIXe, l'article 6 est réellement scandaleux et dangereux. Je cite l'article en question :

Art. 6. - La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.

Cela nous promet des dérives intéressantes et des affaires judiciaires particulièrement difficiles. Mais sur ce point très précis, je ne t'ai pas entendu. Il est vrai qu'il ne concerne pas directement ta carrière.

En tout cas, n'oublie jamais la sentence de Chruchill qui prétendait à juste titre que les fascistes de demain s'appelleront eux-mêmes anti-fascistes.

 

Aucun commentaire pour le moment


Formulaire en cours de chargement...