Élève Lenglet, revenez donc du piquet !

18.04.12 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Matheux pervers, Haines ordinaires, Je hais les politiciens

Décidément, le site de Marianne2 regorge de petites perles. Quelqu'un de mal intentionné vient de me souffler dans l'oreille qu'il fallait que je me concentre sur la deuxième partie du billet disponible ici. Ce n'est pas charitable, ce n'est pas encore avec cela que je vais réussir à soigner mon ulcère.

Cette seconde partie s'intitule en toute simplicité : « les petits graphiques de monsieur Lenglet et autres détournements de la démocratie ». Rien de moins. Comme à ma sale habitude, je vais citer l'article en question et le critiquer point par point. Les diverses digressions de l'auteur seront coupées, mais je vais m'efforcer de ne pas trahir sa pensée.

Lenglet n’est évidemment pas professeur. [EDIT 15/04 pan sur le bec ! On me chuchote dans l’oreillette qu’il fut jadis prof de français… Cela explique qu’il fasse toujours comme s’il avait des élèves devant lui]  Il est journaliste économique, ce métier de charlatans, de perroquets toujours intarissables quand il s’agit de commenter le passé, mais incapables de prédire l’avenir, ce qui ne les empêche pas de reprendre en boucle les mantras libéraux « il faut diminuer les déficits publics, il faut baisser le coût du travail, il faut que la France soit concurrentielle par rapport à la Chine…».

Cela commence très fort. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais on dirait presque du Mélenchon dans le texte. Il y a point fondamental qui est pourtant un des prérequis à tout fonctionnement d'un état providence. Ce point est prosaïquement le fait que l'économie de ce pays puisse fonctionner normalement. Pas forcément créer des richesses, mais assurer le quotidien des dépenses de l'état. Actuellement, dans notre beau pays de France, ce déficit est de six points de PIB. Il faut d'urgence réduire ce déficit avant que les acteurs qui nous permettent de vivre au-dessus de nos moyens, ces honteux financiers internationaux, décident de nous couper les vivres.

Une fois cette hypothèse posée, il est possible de discuter sur le fait que le coût du travail est trop important ou pas, mais dans tous les cas, il faut que la France redevienne compétitive par rapport à la Chine pour s'en sortir, que ce soit directement en baissant le coût du travail en France ou indirectement en instaurant des droits de douane. Les finances françaises sont prisonnières d'une pyramide de Ponzi depuis le début des années 1980, date à laquelle le déficit conjoncturel dû aux deux chocs pétroliers des années 1970 s'est transformé en déficit structurel sans qu'aucun gouvernement n'ait pris réellement la mesure du désastre.

Aujourd'hui, les programmes des différents protagonistes sont encore à côté de la plaque puisqu'ils promettent un retour à l'équilibre budgétaire pour l'un en 2016, pour l'autre en 2017, en prenant pour hypothèse de travail une croissance que pas un seul économiste raisonnablement optimiste et sérieux n'envisage.

Lenglet a développé un gimmick insupportable, mais qui semble plaire : il se travestit en professeur, et montre à ses élèves des graphiques de son cru qu’il leur demande de commenter, n’hésitant pas à leur taper sur les doigts si la réponse ne lui sied point.

François Lenglet a un mérite : afficher des faits, souvent des chiffres. J'admets parfaitement que cela puisse vous agacer. Ce qui m'agace prodigieusement, moi qui aie fait pas mal de statistiques dans ma vie, c'est de voir un homme ou une femme politique balayer d'un revers de main des chiffres qui sont des données objectives. Après, on peut discuter sur la pertinence de regarder tel ou tel indicateur, sur la manière de calculer ces statistiques, mais même si elles étaient orientées, les statistiques de François Lenglet ont une signification. En tout cas, elles ont plus de valeur que le discours d'un homme fût-il politique.

Ce procédé est particulièrement pervers. Dans l’inconscient, le professeur représente l’autorité, et il détient forcément la vérité qu’il tente d’enseigner à son élève dévoué. Les graphiques rajoutent encore à cette autorité. Si c’est écrit et dessiné ainsi, c’est forcément vrai.

Mais bien sûr que non. Des statistiques, des graphiques, représentent des faits. C'est un point de départ pour une argumentation. Voir les hommes politiques se tirer une balle dans le pied en récusant ou en commentant ces chiffres est vraiment affolant. Ces graphiques ont simplement le mérite de montrer à la France entière que l'immense majorité des hommes et des femmes qui prétendent la représenter sont incapables de discuter sur des faits objectifs et des graphiques qui pourraient parfaitement être critiqués.

Or un graphique n’est que la représentation imagée de chiffres. Et les chiffres, malgré tout le respect que mon caractère cartésien leur porte, ça peut être tout ou n’importe quoi. Si le chiffre est faux, le graphique l’est tout autant. Ainsi, les chiffres du chômage sont complètement sous-estimés par des procédés lamentables, toute courbe représentant ces chiffres sera donc nulle et non avenue.

Oh que non. Un graphique n'est pas la représentation imagée de chiffres, sauf si vous donnez à ces chiffres la valeur de dénombrement. Un graphique, c'est une façon de représenter une partie des chiffres, ce que les politiciens savent parfaitement lorsque ce sont eux qui truquent ces graphiques. N'a-t-on pas entendu Mélenchon dire que la différence entre les plus riches et les plus pauvres s'était accrue en France ? Oui, c'est vrai aux 99e percentiles. Mais au 90e, bien plus pertinents d'un strict point de vue statistique comme je l'ai déjà indiqué ici et selon une étude de l'INSEE, c'est parfaitement faux.

Un graphique représente toujours ce qu'on veut lui faire dire, consciemment ou inconsciemment. Il faut donc séparer l'objectivité des chiffres de la subjectivité de leur représentation. Et ceci doit être fait par la personne invitée à commenter ces fameux graphiques.

Et même si les chiffres sont justes, rien que le fait d’employer certains et pas d’autres permet encore de pervertir la représentation d’une situation. Il en est d’incontestables (2+2=4, l’accélération d’un corps en chute libre dans le vide est de 9.81m/s2, la charge électrique d’un électron est de 1.6x10-19 coulomb, la vitesse indépassable d’une particule est celle de la lumière, soit un peu moins de 300 000 km/s… etc)

Ne parlez jamais de la perversion de la représentation car en matière de perversion des chiffres, les hommes politiques n'ont de leçon à recevoir de quiconque. Je ne prends la défense de personne, mais il faut tout de même bien comprendre que les dix candidats interrogés ont du mal avec les chiffres présentés par un journaliste alors même que cela ne leur pose strictement aucun problème lorsqu'ils les maquillent eux-mêmes. Refuser à François Lenglet les mêmes armes que celles qui sont à la disposition des candidats me semble pour le moins bizarre.

Au contraire, si on veut mettre en avant le côté positif de notre économie capitaliste et libérale, on peut dessiner le graphique de la fortune de Monsieur Arnault ou de Madame Bettencourt, le patrimoine de Monsieur Sarkozy, ou encore le bonus de Monsieur Levy (PDG de Publicis). Mais si pour décrire la même situation, on fait des histogrammes avec les (vrais) chiffres du chômage, les repas aux restos du cœur, le nombre de foyers qui vivent sous le seuil de pauvreté, le nombre de morts dans la rue, de suicides au travail…etc… Il est à craindre que l’impression ne soit pas exactement la même.

Mais quel est donc le rapport ? Vous mélangez allègrement libéralisme et capitalisme, ce qui n'a rien à voir puisqu'une économie peut être libérale sans être capitaliste et capitaliste sans être libérale. Par ailleurs, votre hypothèse de travail semble être que l'accroissement de la fortune des plus riches est un vol à l'encontre des plus pauvres. C'est un peu simpliste parce que cela retire de toutes les classes inférieures — permettez-moi d'utiliser ce terme parce que c'est tout de même ce qui semble ressortir de vos propos — la part de responsabilité qui leur incombe. Les classes dites inférieures ont une responsabilité assez importante dans la situation actuelle du fait de leurs modes de consommation. Elles ne sont certes pas responsables de tout, mais le fait de vouloir toujours plus et toujours moins cher est le début de la spirale infernale du chômage de masse que l'on vit depuis trente ans. Cette spirale a été amorcée grâce à l'arrivée de produits asiatiques peu chers et je ne suis pas sûr que les personnes que vous citez puissent en être tenues responsables. En revanche, il est possible qu'elles en aient retiré quelques bénéfices en accompagnant le mouvement.

Lenglet, lui, se moque de contingences aussi basses. Il se complaît dans les hautes sphères un peu abstraites de la macroéconomie. Et surtout il a choisi son camp, et délivre aux candidats un brevet de soumission aux dogmes libéraux.

François Lenglet a parfaitement le droit d'avoir une opinion. Cette opinion est tout aussi respectable que la vôtre. Mais pour avoir suivi les deux émissions auxquelles vous faites allusion, je ne vois pas en quoi il a délivré des brevets de soumission aux dogmes libéraux. Il a simplement mis le doigt là où cela pouvait faire mal en laissant les candidats se débrouiller.

Marine Le Pen a été dans cette émission la seule, avec Cheminade, à évoquer clairement la rupture de 1973 et l’empêchement de la Banque de France d’émettre de la monnaie, qui conduit les états à se livrer pieds et poings liés aux banksters.

Marine Le Pen, sortie de ses habituelles vindictes contre les zétrangers, les zimmigrés, les zassistés, avait décidé de parler de la dette, de son caractère indu, et de la part des intérêts indûment payés aux banksters depuis 1973. Elle affirme que sur les 1 700 milliards de la dette française actuelle (600 milliards de plus lors du quinquennat de Sarkozy, on ne le rappellera jamais assez) 1 400 milliards représenteraient les seuls intérêts payés aux banksters depuis l’interdiction faite aux banques centrales nationales de créer de la monnaie.

Ne mélangez pas tout. Voulez-vous que les états puissent emprunter à une banque centrale ou que les banques centrales puissent émettre de la monnaie ? Ce sont deux choses différentes. Dans tous les cas, l'augmentation de la masse monétaire crée toujours de l'inflation. Si du point de vue de l'économie globale cela n'apparaît pas évident (comme aux USA en 2009), c'est parce que l'émission de monnaie va à l'encontre d'autres phénomènes.

Il faudrait aussi éviter de mélanger un emprunt pour financer un programme exceptionnel, donc qui va être remboursé, d'un emprunt de cavalerie qui est là pour financer les dépenses courantes de l'état et la charge de la dette, ce dernier emprunt ayant de fortes chances de rester impayé. La monnaie émise par la banque centrale, en cas de non remboursement, participe alors à l'augmentation de la masse monétaire et à l'inflation.

Le fait de prétendre qu'un état doit pouvoir emprunter à sa banque centrale revient à lui donner un blanc-seing lui permettant d'emprunter des sommes qu'il ne remboursera jamais et qui seront compensées tôt ou tard par une émission de monnaie donc par une inflation ou une dévaluation. C'est exactement ce qui s'est passé pour le franc français entre 1944 et 2001.

Parler de la loi de 1973 à Lenglet, ça lui fait un peu le même effet que lorsque la reine d’Angleterre trouve un caca d’oiseau dans son assiette à dessert. Il se braque, et crache tout son mépris en répliquant que les seuls pays qui ont gardé un tel système sont l’Iran, Cuba et le Venezuela (qui sont autant de gros mots dans la bouche de tous les Lenglet du monde).

Voilà ce que j'attendais avec une certaine impatience non dissimulée. Nous parlons bien de la loi du 3 janvier 1973 relative aux statuts de la Banque de France. Savez-vous seulement que cette loi a été abrogée le 4 août 1993 ? Visiblement non, sinon vous n'en parleriez pas ici. Par ailleurs, je vous signale que cette loi n'interdit pas à la Banque de France de faire ce que la loi appelle des « avances » à taux nuls à l'état, avances qui sont parfaitement encadrées. Cette loi interdit juste au Trésor d'être présentateur de ses propres effets à l'escompte de la Banque de France, ce qui est contourné par le fait que la Banque de France peut agir sur le marché secondaire. C'est un peu technique, j'espère que vous suivez.

Plusieurs personnalités affirment sans vergogne que l'article 25 de cette loi aurait interdit le financement de l'État par la Banque de France et qu'il aurait donc été « remplacé » par l'article 104 du traité de Maastricht puis par l'article 123 du traité de Lisbonne qui tous deux interdisent cette pratique. En réalité, si cette loi 73-7 peut s'inscrire dans l'avancée progressive du monétarisme, elle n'interdit pas les avances de la Banque de France à l'État prévues à l'article 19 et son article 25 ne joue qu'un rôle accessoire.

Là où il n’a rien compris, à moins qu’il fasse semblant de ne rien comprendre, c’est qu’il ne s’agit absolument pas de « planche à billets », comme le font outrageusement les Etats-Unis (ou le Zimbabwe, le pays où l’inflation a atteint des niveaux stratosphériques, genre 10 millions de % par an !). Je l’ai déjà écrit plusieurs fois, mais je préfère répéter. Quelle différence y-a-t-il entre un emprunt fait à un bankster privé à des taux allant de 2 à plus de 30% et un emprunt à un taux proche de 0 fait à une banque centrale ? Et ceci naturellement si l’emprunt est remboursé ?

Le problème est qu'il faut rembourser cet emprunt. Et cela est parfaitement possible si cet emprunt résulte du financement d'un programme particulier ou d'une cause conjoncturelle. Nos emprunts ont une source structurelle qui fait qu'ils ne pourront être remboursés. Emprunter à la Banque de France n'aura comme unique issue qu'une émission monétaire pour les couvrir donc une inflation. Le fait d'emprunter sur les marchés limite cette inflation car il n'y a pas d'émission directe de monnaie

La planche à billets, ça consiste à tout payer en monnaie de singe. Imaginez que vous alliez au premier garage Ferrari venu, que le vendeur vous demande 200 000 euros, que vous sortiez votre imprimante de poche et lui disiez « Attends, je les imprime ». Voilà ce qu’est la planche à billets.
En l’occurrence, il ne s’agit pas du tout de ça ! Il s’agit pour une banque centrale d’imprimer les billets (ou plutôt de créer informatiquement une ligne de crédit). Actuellement, elle donne cet argent à une banque privée qui vous fait signer un contrat selon lequel vous devez les rendre à telle échéance avec force intérêts. Ce qu’il faudrait faire, c’est court-circuiter la banque privée parasitaire, et signer le contrat directement avec la Banque Centrale, avec le cas échéant quelques intérêts pour payer les fonctionnaires qui y travaillent. Alors qu’avec la banque privée, vous devez parfois rendre considérablement plus que vous n’avez emprunté. Dans les deux cas, une fois l’argent restitué, il est virtuellement détruit. Pas d’inflation.

Vous l'écrivez vous-même. Je suis d'accord avec vous, il n'y a pas d'inflation une fois le prêt remboursé. Mais comme on emprunte tous les jours que Dieu fait, peut-on passer aussi rapidement à votre conclusion ?

Et ce que dit Marine Le Pen, ce que le Front de Gauche a également dit ici ou là, c’est que le montant de la dette française actuelle, 1 700 milliards d’euros, est du même ordre que le montant total des intérêts payés aux banksters. En d’autre termes, cette prétendue « dette » que les banksters nous réclament de manière de plus en plus menaçante, n’est que le fruit d’un acte de trahison de la part de nos politiciens depuis près de 40 ans. De tous ceux qui ont exercé le pouvoir, de tous ceux qui ont voté les traités européens, qu’ils fussent de droite ou de « gauche ».

Il est intéressant de vous voir truquer vos chiffres. Je vais faire comme François Lenglet et laisser le graphique suivant à votre sagacité.

Fig. 1: Évolution du déficit public français

Nous voyons donc que le déficit moyen est de 3% par an depuis trente ans. Cela signifie donc que si nous avions compensé le déficit par un emprunt jamais remboursé à la Banque de France (et ce serait le cas, puisque nous ne faisons que nous endetter), nous aurions eu une inflation supplémentaire de plus de 140 points en trente ans.

1 700 milliards, c’est 68 000 euros par ménage français. Imaginez qu’un beau matin le Raid défonce votre porte et vous somme de remettre à Monsieur Lloyd Blankfein, PDG de Goldman Sachs (qui a empoché plus de 16 millions de dollars en 2011) ou à un de ses collègues et vous réclame 68 000 euros ! Eh bien c’est en gros ce qui va se passer, sauf que vous êtes sans doute trop pauvre pour donner 68 000 euros comme ça d’un coup… Alors c’est pas grave, on va changer vos lois, et les 68 000 euros, on va vous les reprendre «à la grecque» en impôts, taxes, baisses de salaires, baisses de prestations sociales, baisses d’indemnités chômage, suppression de fonctionnaires et de services publics…

Effectivement, en empruntant à une banque centrale, c'est un peu plus indolore. Vous l'auriez payé en inflation donc en pouvoir d'achat parce qu'encore une fois, pour qu'il n'y ait pas d'inflation dans le système que vous proposez, il faut que l'emprunt soit remboursé. Ce qui était tenable dans les trente glorieuses, c'est-à-dire la compensation de l'inflation par un accroissement considérable de la richesse produite, ne l'est plus aujourd'hui.

Hollande n’a pas encore gouverné. Mais tous les autres se sont distingués par une soumission totale à toutes les règles ultralibérales, à la finance internationale, au capitalisme sans frontières. Tous. Tous ont appliqué les diktats libéraux, à commencer par la « baisse de la dépense publique » ou l’ouverture des frontières aux marchandises et aux capitaux. Tous. Tous ont appauvri leurs peuples et enrichi une poignée de requins qui tirent les ficelles du système et doivent bien se marrer en allant voir ces braves gens aller mettre un bulletin dans l’urne.

Mais nous sommes tous responsables collectivement de la situation. Enfin vous plus que moi parce que cela fait des années que je la dénonce. Vous êtes responsable si vous avez un quelconque placement en unité de compte, vous êtes responsable si vous achetez une peluche made in China plutôt que celle fabriquée dans le Jura pour votre petit dernier. Cette situation n'a pas été faite dans votre dos. Mais tant que cela vous arrangeait, il n'y avait personne pour s'en émouvoir.

 

Le dossier Sarkozy

17.04.12 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Mauvais esprit, Je hais les politiciens

Ce matin, c'était au tour du président sortant. Il lui fallait passer dans la matinale de France Inter. Nous attendions du spectacle et nous l'avons eu.

Dans un premier temps, il a été confronté à Pascale Clark. Comme à son habitude, elle grattait là où cela pouvait faire mal et rares ont été les réponses à ses questions, le candidat préférant utiliser tout ce qu'elle disait pour rebondir à côté du sujet. Cela s'est tellement vu que c'en était pathétique.

Mais ce qui était assez amusant, c'est l'aplomb avec lequel il a dit que la France n'avait connu qu'une très courte période de récession en 2009. Pourtant, le Figaro éco dont on ne peut pas imaginer un instant qu'il soit contre la candidature de Nicolas Sarkozy titrait le 15 décembre 2011 que la France entrait en récession.

Et le reste de la matinale était du même acabit. Un tissu de contre-vérités et de manipulations comme celle qui consistait à mettre sur le dos de la loi de 1948 la pénurie des logements de l'après-guerre. Revenons donc à cette loi de 1948. Elle établissait des baux très intéressants du point de vue du locataire et largement moins pour le propriétaire. Ces baux arrivaient à terme par extinction et les loyers étaient sérieusement encadrés. Mais il n'y avait aucune raison directe à ce qu'un propriétaire refuse de louer un appartement en 1948. S'il y a eu une pénurie dans les années suivantes, c'est simplement parce qu'il y a eu énormément d'inflation (55% d'inflation annuelle entre 1945 et 1948 suivis de 10,5% entre 1949 et 1952) et que les loyers imposés par la loi de 1948 n'ont pas augmentés à la même vitesse. L'investissement locatif ne devenait plus intéressant. À titre d'information, le salaire hebdomadaire médian en euros constants était en 1960 de 156 € nets alors que le loyer d'un appartement dans mon immeuble loué dans les années 1950 sous le régime de 1948 était de 180 € par trimestre en 2005.

Cette absence de logements qui lui a permis d'appeler au secours l'Abbé Pierre n'est donc pas dû à une loi d'encadrement des prix au premier chef, mais à une conjoncture économique résultant d'une inflation exceptionnelle et de dévaluations successives.

Quant à sa sortie sur le fait qu'en France nous serions les seuls à pouvoir appeler dans un discours politique les grands hommes de lettres, c'est oublier un peu vite sa fulgurence sur la princesse de Clèves.

 

Ratzingers Geburtstag

16.04.12 | par Le Grincheux | Catégories: Je hais les tradis

Vous l'aviez oublié, mécréants que vous êtes, mais Benoît XVI fête aujourd'hui ses 85 ans.

Mais dans quel état va-t-il laisser l'Église ? Aux dires du Figaro, il risque de fêter cet anniversaire par une réconciliation avec Écône, la fraternité Saint-Pie-X de feu Monseigneur Lefebvre qui s'est mise elle-même et toute seule comme une grande sur les bancs de l'hérésie.

Après la levée de l'excommunication des quatre évêques ordonnés par Marcel Lefebvre et le retour en grâce de la messe en latin dans les paroisses catholiques romaines « normales », il s'agit à l'évidence, si l'information du Figaro est exacte, d'un véritable pas en avant dont l'Église, déjà au bord du gouffre et empétrée dans de sales affaires, n'avait vraiment pas besoin.

 

Le cas Nathalie Arthaud

16.04.12 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Je hais les politiciens

Ce matin, l'invitée de la matinale de France Inter était Nathalie Arthaud, candidate de Lutte Ouvrière à l'élection présidentielle. Je ne sais pas ce que vous en avez pensé, mais pour ma part, j'aimerais assez que LO nous rende Arlette Laguiller. Que l'on soit pour ou contre les idées de LO, il y avait chez Arlette Laguiller une dignité qui ne se trouve pas chez son successeur et qui la rendait au moins respectable.

Mais revenons au cas Nathalie Arthaud.

Elle se présente comme une enseignante d'économie et de gestion. Je dois dire que si ces cours ressemblent à son discours, cela fait peur. En effet, au tout début de son intervention, elle commence par fustiger le néolibéralisme qui serait d'après elle une conséquence directe et obligatoire du capitalisme. Personnellement, je ne vois pas trop le rapport entre le libéralisme et le capitalisme ni la relation de cause à effet entre eux. Ces deux notions peuvent se recouper ou non selon les modèles de société. Qu'une enseignante d'économie et de gestion ne fasse pas la différence entre les deux est assez perturbant pour un esprit simple comme le mien.

Le néolibéralisme est une tendance qui a aujourd'hui une trentaine d'années et qui est la conséquence de la démocratisation des fonds communs de placement. Jusqu'au début des années 1980, une entreprise, dans notre beau monde capitaliste, n'avait besoin que d'avoir une trésorerie positive et de rémunérer chichement ses actionnaires. Il leur suffisait de recevoir un peu plus que l'inflation à la fin de l'année et ils étaient contents. Aucun de ses petits actionnaires n'avait voix au chapitre et le chef d'entreprise commandait aux destinées de son entreprise.

Au début des années 1980, un changement complet de paradigme a eu lieu. Les banques ont créé des choses qui ressemblent à des plans d'épargne en action adossés à des fonds communs de placement. Cela semble ridicule, mais c'est entre autres cette création financière qui nous a fait glisser du capitalisme au néolibéralisme parce que ces fameux fonds communs de placement ont réuni des parts importantes des capitaux des entreprises. Là où auparavant il y avait une foultitude de petits porteurs qui n'avaient rien à dire se retrouve maintenant le représentant d'un fond de placement qui arrive avec une part non négligeable du capital. Le poids de l'ensemble de ces petits porteurs n'est plus insignifiant et c'est ce fonds de placement qui commande maintenant à la destinée des entreprises, plus ses dirigeants. Là où seule la trésorerie positive dictait l'avenir d'une entreprise, on parle maintenant de rentabilité des actions avec la menace ultime de vente en masse du capital si la rentabilité est jugée trop faible. Les entreprises ne sont plus gérées en fonction de leur intérêt à long terme comme dans un monde capitaliste, mais de l'intérêt à court terme de l'ensemble des porteurs de parts quitte à ce que cet intérêt provoque des catastrophes à moyen ou long terme.

Il faut toutefois noter que ce changement de paradigme n'est pas le fruit du capitalisme bourgeois pour reprendre la sémantique de Nathalie Arthaud, mais du fait que les petits épargnants se sont rués sur des placements présentés comme rentables depuis une trentaine d'années par les organismes financiers. Tous les épargnants qui ont des placements en unités de comptes — assurances-vie, comptes à terme, PEA, SICAV, FCP et j'en passe — sont collectivement responsables du glissement du monde capitaliste qui a considérablement enrichi le pays durant les trentes glorieuses au néolibéralisme qui nous englue actuellement. J'espère, ma chère Nathalie, que tu n'as pas autre chose qu'un livret A ou équivalent, parce que dans le cas contraire, tu participes au massacre actuel de l'économie que le communisme révolutionnaire ne sauvera pas.

Tu me diras que je n'en sais rien puisque le vrai communisme n'a jamais été tenté dans le monde. La belle machine s'est toujours enrayée à un moment ou un autre, que ce soit à Cuba, en URSS ou en Corée du Nord, pays où les habitants sont persuadés d'être riches puisque ce magnifique pays produit tous les ans un missile pour foutre sur la gueule de la Corée du Sud et une chaussure de taille 41 par habitant tout en subsistant difficilement de dons de denrées alimentaires de base.

C'est donc vrai, le communisme n'a jamais été essayé. Mais si toutes les tentatives ont explosé en vol, il doit y avoir dans l'idée même de communisme quelque chose d'inatteignable. Peut-être le simple fait de repasser du néolibéralisme au vrai capitalisme entrepreneurial suffirait-il à corriger le mal endémique de notre société ? Mais il faudrait expliquer tout cela à nos hordes de petits porteurs et à nos professeurs d'économie. Le moins que l'on puisse dire est que cela n'est pas gagné d'avance.

En regardant de plus près ton programme, je me suis posé une question que sans doute beaucoup de monde se pose sans jamais réellement l'oser ouvertement. Ton programme est assez semblable à celui du Nouveau Parti Anticapitaliste. La seule réelle différence se situe dans le trait du crayon, tu es pour une révolution communiste avec le couteau entre les dents alors que Philippe Poutou du NPA serait plutôt pour une révolution à tendance libertaire avec la fleur au fusil. Pourquoi donc poser deux candidatures si ce n'est pour diviser cet électorat marginal en deux. La seule raison qui résiste un peu à l'analyse est qu'avec l'égalité stricte des temps de parole, l'électeur vous entend deux fois plus. Belle manipulation du système électoral avec l'accord du CSA.

Mais ce n'est pas parce que l'électeur entend des thèses qui te sont proches deux fois plus longtemps que les thèses portées par les autres candidats que tu dois t'enflammer au risque de déraper et de raconter n'importe quoi. Ce matin, tu as pourtant affirmé avec un certain aplomb que le droit à l'avortement était une avancée de la gauche. Peux-tu me rappeler qui était Lucien Neuwirth, quels étaient son parti politique et la majorité qui a voté la loi Neuwirth ? Peux-tu me rappeler qui était Simone Veil et quelle était la majorité parlementaire qui a voté la loi Veil ? Dire après ça que l'avortement est une avancée de gauche prouve s'il le fallait encore le sérieux de ta candidature.

 

La défense de Mélenchon

15.04.12 | par Le Grincheux | Catégories: Je hais les politiciens

Un esprit aussi grincheux que moi vient de m'indiquer une tribune sur le site de Marianne2. Un chroniqueur du Guardian y défend Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, le Guardian a une ligne éditoriale de centre-gauche, ce qui devrait l'amener à soutenir plus ouvertement François Hollande, voire François Bayrou peut-être un peu plus réaliste.

Je vais citer l'article in extenso et critiquer point par point les arguments qui me semblent fallacieux.

Le président conservateur français Nicolas Sarkozy s’est présenté en 2007 avec pour objectif de faire ressembler l’économie française à celle des États-Unis d’Amérique. Le moment était mal choisi : les États-Unis étaient alors au bord de la pire récession de leur histoire depuis la Grande Dépression, et ils allaient plomber l’économie de l'Europe, ainsi que celles d'une grande partie du reste du monde, en même temps que la leur. Les États-Unis ayant connu quatre années de croissance quasiment nulle, Sarkozy refuserait probablement aujourd'hui de tenir ce discours. Toutefois, il a bel et bien réussi, d’une certaine manière, à rendre  l’économie française plus américaine.
 
Après avoir été l’un des rares pays à hauts revenus à n’avoir pas connu d’augmentation des inégalités entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2000, la France est devenue plus inégalitaire depuis l’élection de Sarkozy. Le rapport entre les revenus du 99ème centile (ceux des 1% les plus riches, en haut de l'échelle) et ceux du premier centile (en bas de l'échelle) est passé de 11,8 à 16,2. D’autres indicateurs d’inégalité ont aussi augmenté sensiblement. Ainsi, le coefficient de Gini est passé de 26,6 à 29,9. Ce changement s'est produit entre 2007 et 2010 ; la situation est probablement pire aujourd’hui.

C'est dommage, l'auteur commence à triturer les statistiques pour leur faire dire ce qu'il veut. Effectivement, si l'on regarde les 99e centiles, les différences de niveaux de vie se sont accrues. En revanche, si on regarde les 90e centiles, ce qui est plus intéressant d'un point de vue strictement statistique, ce n'est pas vrai comme le prouve le graphique ci-dessous issu d'un article de l'INSEE.

Fig. 1 : Évolution des inégalités selon l'INSEE

Quant à l'indice de Gini, la France est en-dessous de la médiane des pays de l'OCDE. Il est donc malhonnête de regarder le seul cas de la progression de l'indice de Gini de la France qui reflète aussi des problèmes qui dépassent ses frontières.

En relevant l’âge de départ en retraite par une réforme inutile qui déclencha une forte opposition et de nombreuses vagues de protestation, Sarkozy a ouvert la voie à une France encore plus inégalitaire pour les années à venir.

Certes, il y a eu une forte opposition. Mais il ne faut pas oublier pourquoi Mitterrand avait décidé de fixer l'âge légal de départ à la retraite à soixante ans malgré les contestations de tous les démographes. Le système de retraite français classique est par répartition et non par point ou par fonds d'investissement. Il faut donc pouvoir le financer d'années en années grâce aux cotisations perçues sur l'année en cours. Lorsque la proportion de retraités grandit, la pression sur les actifs s'accroît. Cela renchérit d'autant le coût du travail qui n'a pas vraiment besoin de cela actuellement. L'inégalité, ce sera surtout dans les années à venir si on ne réforme pas une bonne fois pour toute ce système en installant un système à points. Plus d'âge de départ à la retraite à négocier, chacun responsable de sa situation et touchant une pension en fonction de ses points accumulés. Sans cela, il ne faut pas se voiler la face, il n'y aura plus aucune retraite car il n'y aura plus assez d'actifs pour les payer. Remarquez bien, plus de retraite, c'est déjà une égalité supprimée.

Et cette réforme doit aussi passer pour les fonctionnaires, pour les multipensionnés et pour les régimes spéciaux qui sont de vrais scandales du système des retraites à la française. Sans doute n'y a-t-il aucune inégalité à chasser par là. Les fonctionnaires râlent souvent de leurs salaires bas. Mais il ne faut pas oublier que ce ne sont pas des salaires mais des traitements et que leur retraite est une pension qui est légalement un traitement reçu en absence d'activité (un traitement décalé dans le temps). Le salaire réel d'un fonctionnaire est ainsi non pas ce qu'il a sur sa fiche de paie mais cette fiche de paie plus grosso modo la moitié de sa pension mensuelle. Quant aux titulaires des régimes spéciaux, je préfère ne pas en parler. Comparer les salaires des six derniers mois pour calculer une retraites aux vingt-cinq meilleures années devrait prêter à sourire lorsqu'on se targue de donner des leçons d'égalité.

La comparaison entre la France et les États-Unis est pertinente car les deux pays ont à peu près le même niveau de productivité, de production par heure travaillée. En d’autres termes, les deux pays ont la capacité économique de bénéficier à peu de choses près du même niveau de vie. Les Français ont choisi d'utiliser leurs gains de productivité sous la forme d’une réduction du temps de travail, de vacances plus longues, d’une couverture maladie universelle, de l’accès gratuit à l’université et aux services de garde d’enfants, ainsi que d’une plus grande égalité dans la redistribution des revenus. A l’inverse, aux États-Unis, plus de 60 % de la progression des revenus de ces trente dernières années a profité aux 1% les plus riches. La pauvreté est à présent revenue au niveau  de la fin des années 1960 ; les droits d’inscription à l’université ont augmenté en flèche ; la loi ne prévoit pour nous aucun congé payé, et 52 millions d’Américains n'ont pas d' assurance de santé (ce chiffre pourrait diminuer dans les années à venir, mais cela dépendra en partie de la Cour Suprême).

J'aimerais assez que quelqu'un m'explique un jour ce qu'est la productivité du travail. Pour un ouvrier sur une chaîne de montage, j'arrive à imaginer. Pour un enseignant ou un chirurgien, voire un cadre, cette notion me semble beaucoup plus floue.

Par ailleurs, les français n'ont pas choisi d'utiliser leurs gains de productivité pour travailler moins, on leur a dit qu'il fallait moins travailler (en 1981 avec une semaine de congés en plus et une heure de moins par semaine, en 1997 avec trente-cinq heures hebdomadaires) et leur travail a été réorganisé en conséquence. J'apprends au passage que les services de garde d'enfants sont gratuits. Tiens, il faudrait que j'en parle autour de moi parce que personne ne semble réellement au courant de cette avancée sociale.

Par ailleurs, dire que le salarié américain n'a pas de congés payés, c'est y aller un peu fort. Il n'y a pas de congés payés obligatoires dans la loi, c'est un peu différent.

La plupart des citoyens français tiennent à cette sécurité économique et à cette façon de partager les fruits de la prospérité. On peut donc s’étonner qu’un homme proposant un programme tel que celui de Sarkozy ait tout simplement pu être élu, et puisse avoir des chances de l’être à nouveau. Cette situation s’explique par un malentendu de l’opinion sur les questions économiques les plus importantes, malentendu entretenu et encouragé par une couverture médiatique biaisée.

Une couverture médiatique biaisée… Comme vous y allez ! Les français, dans leur immense majorité, ne comprennent rien à l'économie, parce que si c'était le cas, le débat serait actuellement entre Nicolas Dupont-Aignan et François Bayrou. Ils réagissent comme des veaux — aux dires du Général, ce n'est pas récent —, adorent qu'on les caresse dans le sens du poil et qu'on flatte leurs plus bas instincts. Nicolas Sarkozy a été élu en 2007 sur un programme sécuritaire et sur une promesse d'amélioration du pouvoir d'achat, en d'autres termes sur des promesses qui concernent chaque électeur immédiatement et non l'ensemble du pays à un horizon plus lointain. C'est exactement ce que fait Mélenchon actuellement avec ses propositions.

Comme en 2007, l'opinion dominante est que la France vit au-dessus de ses moyens, et Sarkozy prévient à présent que, s'il n'était pas réélu, elle pourrait bien devenir la nouvelle Grèce et affronter une débâcle économique. Il s’engage donc à équilibrer les comptes publics d’ici à 2016.

Lorsqu'on a six points de PIB de déficit structurel du budget de l'état, je ne sais pas comment il est possible de déclarer sans rire que la France ne vit pas au-dessus de ses moyens. Remettre le budget de l'état à l'équilibre est une priorité absolue quel que soit le prochain gouvernement.

Malheureusement, son rival du Parti socialiste, François Hollande, promet l’équilibre budgétaire d’ici à 2017. Il y a bien entendu des différences importantes entre les deux candidats, mais si l’un ou l’autre devait appliquer un programme d’austérité budgétaire d’une telle ampleur, à un moment où les économies française et européenne sont si faibles, il est quasiment certain que le chômage et bien d’autres problèmes économiques ne pourraient que s’aggraver. La France perdrait alors certains de ses nombreux acquis sociaux et économiques.

Là, on touche à la schizophrénie à la française. Tout le monde veut conserver ses acquis sociaux lorsqu'il les reçoit, mais personne ne veut les conserver lorsqu'il faut les payer. Tous ces acquis sociaux auraient dû être remis en cause lorsqu'il en était encore temps. Pour les retraites, rien d'efficace n'a été fait et il faudra à très court terme repartir dans un cycle de négociation avec les syndicats dont certains n'ont pas une attitude réellement responsable. Idem pour l'assurance maladie, les indemnités chômage et tous les autres acquis sociaux.

Quant au sacro-saint service public, il y aurait beaucoup à dire. Il est parfaitement possible de réduire le nombre de fonctionnaires en France sans porter atteinte à la qualité du service public (voir pour cela le rapport Balladur). À titre de comparaison, les seuls traitements des fonctionnaires représentent en France 12% du PIB contre 7% en Allemagne. Pourtant, le service public en Allemagne fonctionne tout aussi bien que chez nous. Rien qu'en rendant efficace l'état, il serait donc possible de trouver la marge suffisante pour réduire à la portion congrue le déficit structurel du budget de l'état. Pourquoi personne n'en parle-t-il ?

Fort heureusement, la France dispose d’une alternative plus progressiste : elle s’incarne dans la candidature de Jean-Luc Mélenchon, portée par le Front de gauche. Dans la course à l’Elysée, il semble être le seul à comprendre les choix économiques réels qui s’offrent à la France et à la zone euro. La France n’a nullement besoin d’une cure d’austérité qui la condamnerait à finir comme la Grèce. Au lieu de cela, Mélenchon propose que la Banque centrale européenne fasse son travail, c’est-à-dire qu’elle prête au taux de 1% à la France et aux autres gouvernements européens, comme elle le fait aux banques privées. Le poids du service de la dette française, d’environ 2,4% du PIB est encore assez raisonnable. Si la France peut continuer à emprunter à faible taux, elle pourra se sortir de ses problèmes actuels, tout en créant de l’emploi et en augmentant les revenus. Cela relève du bon sens macroéconomique.

Oui, finançons l'état à l'aide d'emprunts à la BCE. Mélenchon parle sans cesse de la loi « scélérate » (sic) de 1973 qui interdit à l'état d'emprunter à sa banque nationale. Mais Jean-Luc devrait aller relire ce texte et devrait le remettre dans le contexte de l'époque. Giscard et Pompidou étaient parfaitement conscients que la crise pétrolière de 1973 signait la fin des trente glorieuses. Pour mémoire, les trente glorieuses étaient une période d'enrichissement considérable du pays et d'assez forte inflation. L'état pouvait alors emprunter à la Banque de France parce que l'accroissement de la richesse nationale compensait largement l'inflation provoquée par le fonctionnement de la planche à billets. Aujourd'hui, emprunter à la BCE serait suicidaire puisqu'il faudrait créer de la monnaie sans avoir le métal (ou la création de richesse) correspondante.

Et Mélenchon confond les causes et les conséquences. Ce n'est pas parce qu'une loi interdit à juste titre le financement de l'état grâce à des emprunts aux banques nationales que l'état doit avoir un budget en déficit chronique depuis quarante ans et emprunter à ces banques privées. Le fait que les différents pays européens se sont mis eux-mêmes dans les mains des spéculateurs n'est pas dû à cette loi de 1973, mais au fait que leurs dépenses sont sciemment mal budgétisées.

Mélenchon veut aussi réduire le temps de travail, augmenter le salaire minimum, ainsi que les impôts pour les plus riches. Il rejette l’absurdité de l’équilibre budgétaire - comme d'ailleurs la plupart des économistes aux États-Unis - et fustige l'absence d'engagement de la Banque centrale européenne en faveur du plein emploi. Cette démarche est pertinente d’un point de vue économique puisque, notamment en période de récession, la BCE peut créer de la monnaie. C'est ce qu'a  fait la Réserve fédérale américaine en créant 2 300 milliards de dollars depuis 2008 sans craindre une inflation excessive.

L'équilibre budgétaire est absurde. Peut-on avoir le nom de ces brillants économistes américains ? Ce sont les mêmes qui n'ont pas réagi aux signaux d'alerte de Benoît Mandelbrot sans aucun doute.

Quant à la création de 2300 milliards de $US depuis 2008 sans inflation, c'est une contre-vérité qui relève d'une manipulation des chiffres parce que deux phénomènes ont travaillé en sens inverse. Commençons par regarder un graphique de l'inflation aux USA.

Fig. 2 : Évolution de l'inflation aux USA

Que voyons-nous ? Une déflation sur quasiment toute l'année 2009 précédée par une forte inflation vers le milieu de 2008. Cette déflation n'a pas été trop forte parce que justement, la banque centrale américaine a créé de la monnaie pour compenser la destruction de monnaie qui a eu lieu en bourse à la même époque. S'il n'y avait pas eu cette destruction en bourse, l'inflation américaine aurait été bien plus importante, de l'ordre de ce qu'on peut voir à la mi-2008.

Mélenchon veut aussi faire sortir la France de l’OTAN. Ce serait là une très bonne chose pour la France, mais aussi pour le monde. Initialement, l’OTAN a été créée pour contenir l’Union soviétique qui, au cas où certains ne l’auraient pas remarqué, n’existe plus. Les Américains n’ont plus besoin d’  « alliés » qui aident nos gouvernements à occuper d’autres pays comme l’Irak ou l’Afghanistan, ou à entamer une autre guerre dangereuse et déraisonnable, comme nous semblons nous préparer à le faire en Iran.

Je ne vois pas trop le rapport avec l'économie. Que l'OTAN ne serve plus à rien est une chose. Que cela fasse voter Mélenchon en est une autre.

Les deux finalistes se retrouveront lors d’un deuxième tour si aucun d’eux n’obtient de majorité au premier,  le 22 avril, ce qui paraît hautement probable. Mélenchon gravite autour de 15 % dans les sondages, mais il se situerait encore plus haut sans la crainte de le voir le candidat socialiste éliminé du second tour. C’est ce qui s’est produit en 2002, quand le candidat d’extrême-droite anti-immigration, Jean-Marie Le Pen, président du Front national à l'époque, est arrivé deuxième, derrière Jacques Chirac, devançant de justesse le socialiste Lionel Jospin. Le risque que ce scénario se répète cette année est très faible. La candidate du Front national, Marine Le Pen,  obtient entre 13 et 16 % dans les sondages. Il est clair que quiconque souhaite préserver le mode et le niveau de vie français devrait choisir Mélenchon.

Pourquoi ? Mélenchon ne pourra pas contraindre les autres pays à modifier les traités en vigueur pour que la France puisse emprunter à la BCE parce que c'est une position absurde en l'état actuel des choses sauf à avoir de l'inflation. Comparer la situation des USA en 2008 à la situation de la France en 2012 relève de la manipulation.

Pour le candidat d'un troisième parti, il est beaucoup plus facile en France qu'aux Etats-Unis  d’avoir une influence significative, même sans remporter l’élection. Hollande a déjà orienté son discours plus à gauche afin de capter les voix du Front de gauche, et Mélenchon aura des atouts en main avant de soutenir la candidature Hollande au second tour. Alors que les deux grands partis s'engagent à mettre en place des politiques économiques qui diminueront le niveau de vie des Français – alors que, en 2007, seul Sarkozy s’engageait dans cette voie – on peut difficilement trouver moment plus opportun pour voter « hors des sentiers battus ».

Et il ne faut pas oublier que Mélenchon peut avoir n'importe quel avis, proposer n'importe quoi pour faire parler de lui. Il sait qu'il ne sera pas élu et qu'il n'aura pas à appliquer sn programme. Ses promesses n'engagent que ceux qui les croient.

Crédit : l'article initial a été écrit par Mark Weisbrot, co-directeur du Center for Economic and Policy Research à Washington. Il est également président de l’organisation Just Foreign Policy.

 

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