Comme vous, j'ai été abreuvé jusqu'à plus soif de la couverture du bouquin du cadet décérébré de la famille royale anglaise, mais je me suis dit qu'il ne méritait pas mon mépris. S'il se trouve des gens assez stupides pour acheter un bouquin que, sans doute, lui-même n'a pas lu, tant mieux pour lui. Mais l'étalage des turpitudes familiales façon fin de règne voire fin de race est quelque chose que je trouve assez déplorable. Je peux toutefois proposer un titre français pour l'ouvrage en question. Pourquoi ne pas titrer « le roux de secours de la Meghan » ? Au moins, à défaut d'attraper un prix littéraire, cela aurait un certain panache.
Je ruminais sur les grandeurs et décadences des têtes couronnées lorsque je fus réveillé par la réforme des retraites. Comprenez-moi bien, je ne supporte pas les importuns tels Éric Woerth qui se permettent de m'envoyer un courrier électronique personnalisé pour défendre la réforme. Mais je déteste encore plus ceux qui ne veulent pas de cette réforme. Je vais avoir du monde à haïr.
Le problème est qu'il faut réformer un système qui, mathématiquement, ne peut perdurer que dans un monde en croissance infinie. En effet, pour qu'il soit soutenable, il faut qu'il y ait plus d'actifs (payant les cotisations) que de retraités (percevant une retraite donc à la charge des actifs). Lorsqu'on commence à avoir autant d'actifs que d'inactifs (retraités et chômeurs), forcément, ça coince. Sauf que si l'on maintient plus d'actifs que de retraités, un jour ces actifs deviendront des retraités à leur tour et il faudra encore plus d'actifs pour les soutenir. Bref, ce n'est pas viable dans un monde fini.
De manière assez surprenante d'ailleurs, les plus farouches et irréductibles partisans du système par répartition intégrale sont aussi ceux qui considèrent que la croissance infinie n'est pas possible. Ils ne sont plus à une contradiction près. Quoi qu'il en soit, cela fait des années que l'on sait que l'on va dans le mur parce que la démographie est ce qu'elle est. Cela fait donc des années que ce système aurait dû être réellement réformé pour obtenir à terme un système viable comme les systèmes suisse ou batave comportant trois piliers : un premier pilier par répartition pour une retraite de base, un deuxième pilier par capitalisation dans des caisses spécifiques pour une complémentaire et un troisième pilier facultatif.
Au lieu de cela, non, nous restons dans notre fichu système et tous ses effets de bord à commencer par l'absence de financement de l'économie par les fonds de pension. Vous me direz que ce n'est pas un problème. Pourtant, c'est l'un des problèmes majeurs de l'économie française. Les entreprises ne pouvant pas se financer par les banques qui n'acceptent pas le risque trouvent de l'argent auprès de fonds étrangers et, petit à petit, toutes les entreprises rentables deviennent étrangères, finissant soit par déménager soit par être liquidées après que la propriété intellectuelle a été récupérée par les nouveaux propriétaires. Cela vaut pour les grandes entreprises, mais aussi pour les PME ayant une certaine valeur. C'est arrivé il y a quelques années à une entreprise d'une vingtaine de personnes de mon patelin, entreprise qui fabriquait des machines à bois. Elle fut rachetée par un fonds de pension étranger pour ses brevets puis vendue à la barre du tribunal deux ans plus tard.
J'ai un âge où je suis coincé. Si le système de retraite change, je n'aurais aucune retraite. S'il reste le même, je n'aurai aucune retraite non plus. Je file depuis des années à peu près 20 k€ par an de cotisations retraite à ma chère caisse de retraite qui m'envoie tous les ans un papier avec ses vœux dans lequel elle me remercie de ma solidarité puisque les deux tiers de mes cotisations vont en péréquation abonder les caisses des régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF/GDF en tête) puis les caisses des salariés du privé. Sur le restant, elle utilise pour son propre compte 4 à 5 % de mes cotisations. Reste pour moi un tout petit tiers de ce que je verse. Dans le même torche-cul annuel, j'apprends que si j'arrive encore à continuer à lui verser le même écot annuel corrigé des variations saisonnières et de l'inflation, je pourrais prétendre à l'âge de 68 ans à 860 bruts mensuels. Mais dans l'état actuel des textes car la valeur des points pourrait baisser.
Faisons un petit calcul statistique. Mon espérance de vie à la retraite est de moins de vingt ans. Arrondissons à vingt pour simplifier le calcul et considérons le calcul sans inflation puisque, après tout, cette inflation touche aussi les cotisations. On arriverait donc à 206 400 € sur vingt ans, ce qui correspond à dix ans de cotisations. Or j'aurai cotisé à 68 ans plus de 45 ans dont 18 mois de service militaire dont personne n'est capable de dire s'il sera compté ou non puisque la règle est très subtile. En effet, si vous avez commencé à travaillé à 18 ans, avec un contrat à durée indéterminée, le service compte. Si vous avez fait le service à la fin de vos études avant d'avoir un contrat de travail, il ne compte pas. Personne ne sait si un stage obligatoire de 6 mois avant le service fait que ce service compte ou ne compte pas.
Un simple calcul montre que si j'avais simplement gardé l'équivalent des cotisations que je donnais à ma charmante caisse de retraite pour moi en les cachant en lingots dans un matelas, je pourrais bénéficier d'une retraite de plus de 3 600 € nets par mois sur la même période (en consommant le capital et en considérant que jamais une somme n'a été placée). Vous me direz que le calcul n'est qu'un calcul fictif car je pourrais effectivement vivre plus de vingt ans après ma retraite. Je vous répondrai que c'est justement pour cela qu'il existe dans tous les autres pays des caisses de retraite par capitalisation qui moyennent ce risque. Du reste, il en existe une aussi chez nous, ça s'appelle la PRÉFON et elle est réservée aux fonctionnaires. Les autres, vous pouvez crever la bouche ouverte. Mais je vous rassure, il vaut mieux placer de l'argent ailleurs qu'à la PRÉFON, les rendements sont assez mauvais.
Vous me sentez aigri, vous avez raison.
Mais revenons sur ce fichu système par répartition qui ne date pas de 1948 ou du GPRF. Comme les congés payés ne datent pas de 1936 puisque c'est Badinguet qui les a créés par un décret impérial du 9 novembre 1853. Les communistes adorent réécrire l'histoire à leur sauce. Pour les autres sachez que cette revendication n'était même pas au programme du Front Populaire.
En 1939, tous les salariés devaient cotiser aux Assurances Sociales pour la maladie et la retraite. Si la maladie était un système assurantiel (ce n'est plus le cas du nôtre aujourd'hui même s'il contient toujours le terme assurance), la retraite était un système par capitalisation. Ce n'est pas pour rien que le Palais de la Mutualité, à Paris, date des années 1930. En 1939, un salarié pouvait partir à la retraite à 60 ans.
Arrive la guerre et son cortège de malheurs que pour certains, nous n'avons pas fini de solder aujourd'hui. Paul Reynaud sous la pression des pacifistes doit laisser les rênes du pouvoir à un certain Philippe Pétain qui signe un armistice avec moult dommages de guerre à payer à l'occupant. René Belin, n°2 de la CGT et pétainiste et pététiste de son état, ministre du travail, liquide entre autres la CGT, cosigne le statut des juifs et trouve amusant de voler le magot des Assurances Sociales pour le filer à l'occupant. Ce faisant, il instaure un régime de retraite par répartition et une sécurité sociale des prolétaires (qui n'est pas non plus créée par le GPRF en 1945).
Deux conséquences : la première et la plus immédiate était de permettre l'envoi d'argent frais en Allemagne, les finances de l'état étant au plus bas. Mais la seconde est importante elle aussi puisque cela a permis de retirer du marché de l'emploi en période de chômage de masse bien plus d'un million de travailleurs qui n'avaient jamais cotisé (artisans, agriculteurs et autres statuts pour lesquels les cotisations retraite étaient facultatives). Certains travaux d'historiens indiquent qu'entre 1,5 et 2 millions de travailleurs s'étant retrouvé au chômage du fait de la guerre ont pu toucher une retraite sans jamais avoir cotisé.
Il y eut un certain nombre d'effets de bord, à commencer par des gens qui avaient capitalisé pour eux durant quarante ans et qui se sont retrouvées au nouveau minimum vieillesse. Ce fut le cas de mon arrière-grand'mère qui a fini sa vie chez mes grand'parents alors qu'elle avait cotisé des sommes importantes toute sa vie durant.
Les régimes de Vichy ont mis toutes les retraites à l'amende. En 1945, le GPRF a tenté de mettre de l'ordre dans ce qu'il convient tout de même d'appeler un beau merdier en créant un nouveau statut de caisses et en simplifiant les différents régimes. On supprime les sociétés de secours mutuel (qui pouvaient être libres, approuvées ou d'utilité publique) pour créer des sociétés mutualistes. Une société mutualiste, qu'est-ce donc ? Il s'agit d'une association avec des petites choses en plus dont une tutelle de l'état. Mais il faut noter que jamais les textes n'ont imposé un monopole de caisse. Il n'y a que des monopoles de régimes (comprendre : de couverture minimale obligatoire). Le PCF aidé par la CGT et les principaux syndicats de l'époque a manœuvré pour affilier obligatoirement tous les salariés dans ses propres caisses, créées d'ailleurs illégalement entre le 26 janvier 1946 et le mois d'avril, date à laquelle l'ordonnance de création de la sécurité sociale n'était pas encore en vigueur (elle ne le sera que le 1er juillet). Même opération pour les retraites. En 1948, la Cour de Comptes s'en émeut. Elle fut bien seule. Elle écrit même que le système par répartition intégrale doit absolument être réformé parce qu'il ne sera pas tenable. Notez bien qu'en 1958, Charles De Gaulle s'en émeut aussi dans un courrier versé aux Archives Nationales dans lequel il indique que « la sécurité sociale doit être abrogée en tant que sont objet a été dévoyé [ndlr. par les partenaires sociaux] ».
Soixante-quinze après, nous constatons toujours la même chose. Les retraités râlent parce que leurs pensions ne sont pas indexées sur l'inflation, parce qu'on leur rajoute de la CSG, de la CRDS et d'autres vexations fiscales et sociales. Les actifs râlent parce qu'on leur rajoute toujours des cotisations (salariales ou patronales, in fine, ce n'est jamais la vache qui paie les taxes sur le lait), les chômeurs parce qu'ils n'ont plus de travail tellement celui-ci est devenu taxé. Quant à la branche maladie, il vaut mieux ne pas en parler.
Mais surtout, ne changeons rien. Une petite réformette paramétrique par-ci par-là lorsque ce n'est vraiment plus tenable parce que les français seraient attachés à leur fichu système.
Ils sont surtout attaché à leurs retraites.
Vous le savez, ou vous ne le savez pas encore, une modification constitutionnelle datant de 2011 a permis aux justiciables de déposer des accusations circonstanciées envers les magistrats outrepassant leurs pouvoirs ou violant la loi. Il était temps, le magistrat — surtout du siège — n'est comptable devant personne de ses erreurs, ce qui est tout de même légèrement surprenant pour un état qui se prétend de droit et qui a le culot de le répéter au monde entier.
Cette procédure est à mi-chemin entre une procédure administrative et une procédure judiciaire. Il faut rajouter que, comme aucun plaignant n'a intérêt à soulever des motivations diffamatoires ou illégales, cela conduit à dissuader de recours tous ceux qui n'ont pas un dossier en béton vibré.
Pourtant, quelques centaines de dossiers de recours en droit sont déposés annuellement devant le Conseil Supérieur de la Magistrature. Certains dossiers ont été déposés par votre serviteur, affaires dans lesquelles les magistrats montrent a minima qu'ils sont indignes de leur serment et qu'en bonne justice, il faudrait rouvrir le bagne de Cayenne rien que pour eux. On trouve dans ces dossiers des faux en écriture de magistrats, dont
Et que pensez-vous qu'il advienne ? Rien, strictement rien. Nous avons donc quelques centaines de dossiers particulièrement salés, preuves à l'appui, et pourtant, aucun magistrat, qu'il soit du siège ou du parquet, n'a été sanctionné pour faute professionnelle avérée depuis cette date. Chose surprenante, au regard de cette apparente impunité, nécessairement hors la loi pénale, il n'est pas de plaignants inquiétés, pour abus. Or soit les plaignants ont raison de se plaindre et les magistrats doivent être sanctionnés, soit ils n'ont aucune raison de se plaindre et les magistrats devraient contre-attaquer.
Pourtant, il faut savoir que l'opposition à l'application de la loi est condamnable selon l'article 432-1 du Code Pénal. Cet article s'applique à tous les justiciables, membres du Conseil Supérieur de la Magistrature compris. Mais ce n'est pas tout puisque le recel par un magistrat d'un délit commis par un autre magistrat relève encore de l'article 321-1 du même Code Pénal.
Les faits sont têtus et il ne peut en découler qu'une seule certitude. Certains magistrats et le Conseil Supérieur de la Magistrature sont corrompus.
Il n'a pu vous échapper que l'Assemblée Nationale examine depuis hier une proposition de loi — donc émanant des députés et non du gouvernement — dont le but est de rendre plus difficile l'activité de squatteur.
Depuis quelques jours, on voit la gauche plus ou moins bien pensante monter au créneaux, une certaine partie ayant même l'outrecuidance d'invoquer les mânes du regretté Henri Grouès dit Abbé Pierre qui fut tout de même du MRP avant de le quitter pour créer son propre mouvement. L'action de l'Abbé en question n'a jamais été la défense de squatteurs mais le combat pour que les plus miséreux puissent avoir un toit, quitte à construire ou payer ces toits lui-même. Visiblement, la nuance échappe à la gauche. Vous me direz que ce n'est pas la seule nuance qui lui échappe.
Contre l'avis d'un gouvernement un peu gêné aux entournures, un groupe de la majorité présidentielle propose donc un texte triplant les peines encourues par les squatteurs et imposant une accélération du calendrier judiciaire dans ce genre d'affaires. La gauche est vent debout et craint un manque de recours des locataires. Non seulement la gauche, mais toutes les associations luttant contre les logements indignes y vont de leurs communiqués de presse.
À titre personnel, si je puis entendre qu'un locataire de bonne foi puisse avoir des voies de recours, je ne peux accepter qu'un locataire de mauvaise foi puisse en user. Dans une affaire remontant à une quinzaine d'années, un locataire ne payait plus des loyers modiques à mes parents avec un écrit d'une assistante sociale indiquant noir sur blanc que le locataire n'avait pas à régler les termes s'il n'en avait pas les moyens. Le document a été produit devant le Tribunal de Grande Instance du lieu.
Le problème de fond est ici le respect de la propriété privée. Soit ce respect a encore un sens en France et un occupant sans titre est directement expulsé d'un logement, soit il n'a plus aucune signification et on continue à faire payer à des bailleurs qui sont souvent des petits propriétaires les conséquences d'une politique désastreuse.
Par ailleurs, il y a un second problème. À force de rendre le risque locatif de plus en plus important (loyers, mais aussi taxes foncières, remise en état des appartements après squat, diagnostics énergétiques ineptes…), le nombre de logements sur le marché locatif se réduit comme peau de chagrin et les potentiels bailleurs vont vers des solutions moins risquées comme la location touristique de courte durée. La loi de l'offre et de la demande étant ce qu'elle est, le prix des loyers pour les locataires honnêtes augmentent d'autant, comme s'accroissent les garanties exigées par les bailleurs. On se retrouve donc avec une pénurie de logements, une bonne partie du parc locatif n'étant plus sur le marché. Et l'on construit des HLM, ça, on sait faire, de qualité médiocre et surtout en faisant payer ces constructions par la collectivité, c'est-à-dire par les impôts des heureux contribuables.
Nous sommes donc dans une situation totalement ubuesque où une surprotection des locataires produit exactement l'inverse de l'effet escompté, à savoir un renchérissement de l'offre par raréfaction de la ressource et une augmentation des impôts pour financer tous ces programmes de logements. Sans compter que les centres-villes aux bâtis anciens sont de plus en plus vides faute de bailleurs et d'accessibilité qui devient de plus en plus aléatoire ou difficile (zones piétonnes, zones à faible émission, absence de place de stationnement pour ne serait-ce que décharger des courses…).
L'adoption de cette loi serait un signal fort à tous les bailleurs, privés comme publics, surtout s'il est question de faire payer aux squatteurs les dégâts qu'ils peuvent faire dans un logement. Ce serait un préalable avant, rêvons un peu, l'adoption de la doctrine du château.
La nouvelle est quasiment passée inaperçue, je ne l'ai trouvé que dans un périodique spécialisé, et encore, dans un tribune libre. Pourtant, si elle n'est pas incroyable, elle est particulièrement dramatique. Le FMI vient de lancer un avertissement non pas à l'Italie ou à la Grèce, mais à la France pour le dérapage continuel et incontrôlé de ses comptes publics.
Pourquoi ?
Parce qu'après plus de quarante ans de dérapages continuels — le dernier exercice à l'équilibre était celui de 1974 —, nous avons pu bénéficier du « quoi qu'il en coûte » de notre phare de l'économie actuel et du bouclier tarifaire de 2022 qui ont fait exploser la dette publique française de près de 550 milliards d'euros. Ces deux mesures, ineptes, n'ont fait que repousser la résolution d'un problème à plus tard et faire porter l'absence de résolution sur les générations futures qui n'en demandaient pas tant. Elles paieront. Et elles paieront pour des mesures qui ont été inutiles. Il vaut mieux subir l'inflation et la payer immédiatement en restructurant son économie que de faire comme si de rien n'était en refusant de changer ses petites habitudes (coucou, la CGT, coucou, les veaux qui iront manifester contre la réforme des retraites) et en faisant porter sur d'autres son niveau de vie intenable pour un pays totalement désindustrialisé.
Pourquoi dis-je que ces deux mesures sont ineptes ? Pour la simple raison que la France est en train de replonger en récession et doit, malgré toutes ses mesures prises à crédit, faire face à une inflation de plus en plus forte. Et ce n'est pas fini.
Pourtant, loin de calmer sa fuite en avant, la puissance publique française a décidé de continuer sa gabegie de dépenses et de dette. Le FMI, analysant la situation, pose des prévisions très claires. La France, une fois de plus, sera le cancre de l'Union Européenne. Et elle le sera jusqu'en 2027 au moins. Et selon le FMI, le déficit public ne pourra être plus faible que 5,4 % en 2023.
Accrochez-vous, ça va tanguer.
En ce 25 novembre, journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, je vais jeter un pavé dans le marigot boueux de la bonne conscience de ce siècle qui sombre. Je ne voulais pas le faire jusqu'au moment où j'ai entendu d'une oreille distraite dans le poste que les médecins généralistes vont être incités à poser une question aux femmes lors de chaque examen, histoire de savoir si elles ne seraient pas par le plus grand des hasards battues même si elles n'en présentent aucun signe. Je suppose que derrière tout ceci doit prendre place une lourde machine administrative permettant de remonter des statistiques voire des signalements. Si cela fonctionne aussi bien que les signalements pour enfants battus, elles seront sauvées.
À la réflexion, je ne suis pas bien sûr que ce soit du ressort d'un médecin de famille, ne serait-ce que parce qu'il n'est pas forcément impartial et qu'un signalement peut avoir des conséquences désastreuses s'il s'agit d'une vengeance pour une raison ou pour une autre.
Mais il y a bien plus grave. Parmi les victimes de violences conjugales qui meurent tous les ans en France, les cinq sixièmes sont des femmes. Je n'en disconviens pas, ce sont les statistiques officielles.
Mais parmi les victimes de violences conjugales n'ayant pas entraîné la mort, elles ne sont plus que deux tiers. Pourquoi ? Parce que statistiquement, il y a des différences de forces entre un homme et une femme.
Certes, je vous entends déjà, deux tiers, c'est toujours une majorité. Mais cela signifie qu'un tiers des victimes de violences conjugales sont des hommes. Est-ce qu'on va pour autant imposer aux médecins de poser la question à tous les hommes entrant dans leurs cabinets ? D'autant que si pour une femme, avouer être battue n'est pas simple, c'est encore bien plus difficile pour un homme de se l'avouer puis de le dire à un tiers, le regard de la société n'étant pas tendre.
Je ne sais pas pourquoi, mais je pense que ce n'est pas à l'ordre du jour. Il vaut mieux parler à longueur de colonnes de l'affreux néologisme de « féminicide » — que j'utiliserai lorsqu'on remplacera homicide par viricide, soyons cohérent — parce qu'on est incapable d'utiliser le mot uxoricide qui existe déjà dans la langue française et que je vous donne pour les amateurs de Scrabble et autres mots croisés.
L'utilisation de ce mot rend, le fait de demander systématiquement aux femmes si elles sont battues, va rendre encore bien plus invisibles tous ceux qui subissent des violences conjugales et qui n'ont pas la chance d'être des femmes.