En France, tout traîne sauf les conneries !

01.12.13 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Je hais les politiciens

Encore un nouveau papier qui aurait pu s'intituler « archi dans la colle ».

Depuis quelques mois, l'escalier d'honneur de la Bibliothèque Nationale de France, site Richelieu, était en sursis. Or Aurélie Filippetti, ministre de la culture en exercice, vient de donner l'autorisation à la BNF de détruire cet escalier construit par Jean-Louis Pascal. La question de fond à se poser est de savoir si le poste de ministre de la culture est maintenant définitivement réservé à des gens totalement indifférents au patrimoine quel qu'il soit.

Cette histoire ne date pas d'hier puisque le sursis initial avait été édicté par Frédéric Mitterrand, ancien locataire de la rue de Valois. Mais c'était juste un sursis, pas un classement. Plus exactement, le neveu de Tonton avait tout d'abord décidé de sauver cet escalier, puis, dans un second temps, y avait renoncé. Ce n'est pas moi qui l'affirme, mais lui-même, dans son livre de souvenirs sur son passage au ministère de la culture.

À peine arrivée à ce même ministère, Aurélie Filippetti semblait vouloir prendre le problème à bras-le-corps. Pour plusieurs raisons. En effet, pourquoi détruire un escalier en bon état pour en reconstruire un autre, surtout quand l’argent manque ?

Il ne s'agit pas du seul renoncement de ce ministre. Ils ne se comptent plus, allant de la halle de Fontainebleau aux serres d'Auteuil qui est le cadet de ses soucis. Je passe sous silence les églises d'Abbeville et de Gesté qui ont toutes deux été détruites avec la bénédiction, si je puis dire, du ministre.

À quoi sert donc le ministre de la culture ? Frédéric Mitterrand répond dans son opus :  « Mais à se rendre sur place, mon petit vieux ! C’est déjà ça. (sic) » Dont acte. Un ministre, donc, ce n'est là que pour faire la représentation. C'est un ancien ministre qui l'affirme. Mais là, même Aurélie Filippetti ne peut prétendre à telle utilité puisque dans les milieux bien informés, il se murmure qu’on ne la rencontre presque jamais dans toutes les occasions où elle pourrait faire preuve de son intérêt pour le patrimoine et les musées. C'est méchant, mais il paraît que c'est vrai.

Mercredi dernier donc, dans une réunion de direction à la Bibliothèque nationale de France, on a pu annoncer triomphalement que le ministre avait enfin donné son accord pour la destruction de cet escalier. Un escalier pourtant protégé au titre des monuments historiques et, il faut le signaler, dont la rampe conserve encore des éléments de celui du XVIIIe siècle construit par Robert de Cotte.

Fig. 1 : escalier actuel (classé)

Ce ne serait que misérable, lamentable, honteux si cette décision n'avait pas été prise au moment même où le ministère réunissait tous les acteurs de la protection du patrimoine pour un événement qui se déroule tous les deux ans et qui s'intitule en toute simplicité « les entretiens du patrimoine et de l’architecture ». Aurait-on pu être plus cynique, plus méprisant ?

Fig. 2 : future horreur avec la bénédiction du ministre

Ce qui est intéressant, finalement, c'est de savoir que selon que vous serez puissant ou misérable, vous pourrez détruire un bien inscrit à l'inventaire des monuments historiques ou être condamné pour exactement les mêmes raisons. Nous voyons donc que nous vivons dans un pays de droit qui n'est absolument pas concerné par le fait du prince.

Chose amusante, ce même ministère prétend proposer une nouvelle loi sur le patrimoine. Sachant qu'il est incapable de faire respecter ce qui existe, c'est assez cocasse. Le ministère de la culture est donc aujourd'hui un ministère sans réel poids politique, dans un gouvernement inqualifiable sauf peut-être par l'adjectif moribond, qui va se présenter de temps en temps et pour justifier son existence devant un parlement dans lequel la majorité des députés, toutes obédiences confondues, se contrefiche ouvertement du patrimoine. Pire, certains rêveraient même de diminuer encore les contraintes qui pèsent sur les élus en affaiblissant autant que faire se peut les lois patrimoniales.

 

Recruteurs de merdre

29.11.13 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Haines ordinaires, Monde de merde

Ce n'est pas une faute d'orthographe, c'est en l'honneur d'Alfred Jarry.

Depuis deux semaines, je suis à nouveau sur le marché de l'emploi. La dure vie de la profession libérale technique. Depuis deux semaines, donc, j'entends tout et le contraire de tout sur mon CV. Et lorsqu'un recruteur n'a rien à dire sur mon CV, je peux tout de même avoir la désagréable l'impression d'être tombé dans une faille de l'hyper-espace lors de certains entretiens.

Sur mon CV, j'ai entendu en deux semaines :

  • pas assez détaillé ;
  • trop détaillé ;
  • trop court, non, trop long ;
  • « grande gueule » (sic), auquel cas je répondrais que vous n'avez qu'à m'essayer ;
  • trop ceci ;
  • pas assez cela.

Or, il n'y a qu'une règle sur un CV. Il ne correspond jamais au format voulu par le recruteur quel que soit ce format et quel que soit ce recruteur. J'ajoute que j'ai montré ce fameux CV à un ancien recruteur qui n'a rien trouvé à y redire (et pourtant, dans le milieu où évoluait cette personne, les CV bidonnés étaient nombreux), sauf, peut-être, que j'étais trop honnête. Il faut dire à ma décharge que cette personne me connaît depuis longtemps et sait de quoi je suis capable.

Lundi dernier, un cabinet de recrutement m'a appelé pour un poste d'ingénieur électronicien en chef pour une entreprise de Benfeld, dans le Bas-Rhin. Vous pouvez chercher, il n'y a pas beaucoup d'entreprises travaillant dans le domaine de l'électronique à Benfeld. Second rendez-vous avec Skype (pourquoi pas après tout, même si le procédé me semble assez hétérodoxe) aujourd'hui à 14h30.

J'arrive à installer l'horreur Skype sur mon NetBSD des familles. Je commence l'entretien, mais sans la webcam qui, si elle fonctionnait parfaitement hier, a déclaré forfait aujourd'hui. Sans doute un signe que j'avais négligé. Au bout du fil, j'avais un type que j'avais déjà eu en ligne mardi dernier. Nous avions discuté une grosse demi-heure et il savait parfaitement à quoi s'attendre. Il me demande de présenter mes réussites et mes échecs. Je joue le jeu. Mais mes réussites et mes échecs sont avant tout techniques. Là, ça partait mal. J'essaie d'être aussi pédagogue que possible, mais rien n'y fait. Pourtant, j'ai une certaine habitude et j'arrive parfaitement à me mettre au niveau de mes interlocuteurs. Encore faut-il qu'ils en aient envie. Je me fais jeter au bout d'un quart d'heure de discussion, ou plutôt de monologue, parce que j'étais trop technique. Être trop technique pour un poste essentiellement technique, voilà quelque chose de surprenant. J'ai déjà essuyé pas mal de critiques, mais j'avoue que celle-ci m'a laissé sans réponse.

J'aimerais savoir sur quels critères sont recrutés ces recruteurs. Dans la signature du type en question, il y avait écrit ingénieur de l'école centrale de Marseille, avec l'année de sortie. Cela ne me viendrait pas à l'idée de mettre cela dans une signature automatique sauf si j'étais complexé ou que j'avais quelque chose à prouver.

Ce poste était le poste idéal pour moi. On aurait dit qu'il avait été fait sur mesure par quelqu'un qui avait eu mon CV en main. Non, un type qui ne me connaît pas, qui ne comprend rien à ce que je peux dire et qui n'a surtout aucune envie d'y comprendre quelque chose, a jugé que je n'étais pas le bon candidat parce que j'étais trop technique.

J'espère que quelqu'un de moins technique que moi pourra concevoir des circuits d'électronique de puissance.

Le cabinet en question est Robert Walters. Osons le citer.

 

Droits d'auteur

26.11.13 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Je hais les politiciens

Il y a des hommes politiques qu'il faudrait changer en bites d'amarrage pour qu'on puisse s'asseoir une bonne fois pour toute dessus. Parmi les candidats à la transformation se trouve le député Hervé Gaymard, encarté à l'UMP.

Souvenez-vous. J'ai déjà eu l'occasion d'écrire ici que ce député avait interrogé Aurélie Filippetti sur les vides greniers numériques, ces sites tels Amazon, eBay, le Bon Coin où l'on trouve en quelques clics des rangées de livres d’occasion. Cela le scandalisait car à l'heure où l'état cherche toujours plus d'argent plutôt que de rogner sur ses dépenses, il serait de bon ton de taxer ces transactions de gré à gré.

Le ministre vient de répondre. Elle vient de répondre sans écarter un encadrement de ce secteur afin de permettre aux ayant-droits d'autoriser ou interdire ce commerce. Voire le soumettre à contribution.

Donc, si j'ai bien compris, je pourrais acheter neuf ou en occasion un livre et ses ayant-droits auraient la possibilité de m'interdire de le revendre. Par ailleurs, ils pourraient toucher des droits sur la revente d'un ouvrage d'occasion alors même qu'ils ont déjà touché quelque chose lors de la première vente. C'est intéressant.

Replaçons le combat de Monsieur Hervé Gaymard dans son contexte. Ce monsieur, qui siège au conseil d'administration des éditions Dargaud depuis 2007, voit d’un très mauvais œil le développement du marché du livre d’occasion. Il fait donc part de ses craintes pour la « répartition équitable des profits » entre les acteurs du secteur. 

Je cite :

Amazon, Priceminister, la FNAC ou Ebay touchent des commissions sur chaque vente et sont soumis pour partie à la TVA. Au contraire, ceux qui ont créé et édité les livres vendus ne perçoivent aucun bénéfice de cette exploitation et voient même leur chiffre d'affaires amputé de recettes non négligeables.

Il persiste en ajoutant que dans le même temps :

les créateurs, les auteurs et les éditeurs sont (…) fortement pénalisés. Les premiers sont en effet privés d'une part non négligeable de leurs droits d'auteur et les seconds voient baisser significativement leurs ventes moyennes, rendant leurs coûts de création de plus en plus difficiles à amortir.

Et là, tout est dans le viseur du député (livres d'occasion, téléchargement légal ou illégal, disques, logiciels, jeux video…) qui appelle à une réglementation de ces reventes. Il ose même le parallèle anxiogène en signalant :

si cette pratique n'est pas réglementée en faveur des propriétaires des œuvres, c'est tout le secteur de l'édition qui, à l'instar de l'industrie du disque face au téléchargement illégal, est menacée.

La solution qu'il imagine est une contribution sur les ventes et les achats de livres d’occasion à l'image de ce qui se fait déjà pour les prêts en bibliothèque ou pour les œuvres photocopiées. Dont acte. Dans sa réponse, le ministre de la culture n’a pas rejeté cette idée d’une taxe sur les livres physiques ou numériques. Le gouvernement est ainsi en train de nous préparer à nous refaire le coup de la taxe pour la copie privée qui fait que chaque fois que j'achète un CD-ROM ou un DVD-ROM, je paie une taxe pour avoir le droit de faire des copies illégales d'artistes dont je n'ai que faire. Au passage, cette taxe me semble être une justification voire une incitation au piratage de ces prétendues œuvres. Psychologiquement, elle me semble contreproductive.

Le ministre précise même :

au regard de la propriété littéraire et artistique, la question qui se pose est de savoir dans quelles conditions l'acquéreur d'une œuvre littéraire, musicale ou audiovisuelle sous une forme numérique, peut ou non être autorisé à revendre le fichier en question sur une plateforme de téléchargement, comme cela est possible dans l'univers physique, pour un ouvrage papier, un CD ou un DVD.

Heureusement qu'elle n'est que locataire rue de Valois ! Elle rappelle même que :

ce débat juridique sur la licéité du marché secondaire des biens culturels numériques est indissociable d'un débat sur les moyens de garantir, dans une économie entièrement dématérialisée, une juste rémunération des créateurs et un niveau adéquat de financement de la création, indispensable à son renouvellement.

Et là, nous tombons sur l'épuisante règle de l'épuisement des droits qui fait actuellement l'objet d'une étude du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique pompeusement appelée « seconde vie des œuvres numériques ».

Cette règle de l'épuisement des droits stipule actuellement que le titulaire de droits perd le droit de contrôler la revente des copies. Cela reste valable en matière de logiciel.

Donc, pour faire simple, le marché de l'occasion grossit et les ayant-droits râlent. Il grossit pour plusieurs raisons dont :

  • l'impossibilité de trouver certains ouvrages neufs car ils sont épuisés ;
  • le coût prohibitif de certains ouvrages ;
  • le pouvoir d'achat toujours en baisse.

Si, à la limite, je veux bien discuter d'une taxe pour des ouvrages toujours disponibles en neuf à des prix corrects, je ne veux pas entendre parler pour des ouvrages vendus à prix d'or ou pour des ouvrages indisponibles, surtout lorsque leurs auteurs sont décédés et que le fruit de cette taxe ira à leurs descendants.

Les résultats de cette mission sont attendus pour juillet 2014. Gageons qu'un belle usine à gaz fiscale va en sortir.

 

Le cancer de Dominique Bertinotti

25.11.13 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Je hais les politiciens

Dominique Bertinotti a dévoilé avoir subi un cancer du sein. Au risque de me faire des ennemis, je trouve cette annonce indécente. Je trouve sa récupération politique indécente, tout comme je trouve indécente de la balancer à la figure des malades.

En effet, si Dominique Bertinotti a eu la chance d'avoir un cancer peu agressif, toutes les personnes atteintes ne peuvent pas en dire autant. Une chimiothérapie médiane demande plusieurs jours d'hospitalisation avec des effets secondaires loin d'être négligeables (fatigue, vomissements, la perte des cheveux n'étant qu'anecdotique…). Quant aux radiothérapies, mieux vaut-il ne pas en parler. Il est illusoire de pouvoir subir un tel traitement dans le dos de son employeur, comme il est souvent impensable de continuer à travailler durant ce traitement.

Un malade ne demande qu'une seule chose. Que son corps accepte tous ces traitements sans lâcher. Il n'en est souvent plus à savoir s'il peut continuer à travailler, la question ne se pose même plus pour lui. En revanche, la question qui se pose est d'ordre financière. S'il était salarié, tout n'est pas perdu parce qu'il a très souvent une assurance prévoyance. En revanche, rien n'est fait pour les travailleurs non salariés qui se retrouvent alors sans aucune ressource.

Le vrai combat n'est donc pas de dire que l'on peut continuer à travailler malgré un cancer. C'est assez facile dans le cas d'un cancer bénin. Le vrai combat, c'est de ne pas laisser les malades qui ne peuvent plus travailler sur le bord de la route dans ce cas.

À titre personnel, j'ai vu un certain nombre de malades de cancers un peu agressifs. Ces gens terminent sous morphine et seraient totalement incapables de travailler. Je ne souhaite pas au ministre une rechute — personne ne mérite de tels problèmes de santé —, mais si sa maladie avait été un peu plus sérieuse, sans doute aurait-elle réagi différemment.

 

Mory-Ducros

24.11.13 | par Le Grincheux | Catégories: Mauvaise humeur, Je hais les financiers, Je hais les politiciens

Voilà, ça y est. L'hécatombe commence dans le milieu restreint des transporteurs routiers. Mory-Ducros va d'ici quelques heures déposer une demande de mise en redressement judiciaire devant un tribunal de commerce. Ce n'est malheureusement que le début.

Je connais assez bien ce milieu puisque mon entreprise, avant d'avoir dû arrêter ses activités à la suite de deux impayés pour un peu plus de cent soixante mille euros — l'un parce que la justice a perdu mon dossier en délibéré, l'autre parce que les politiques du coin étaient tellement mouillés qu'ils ont tout fait pour enterrer l'affaire —, développait un logiciel de gestion commerciale dédié aux entreprises envoyant des salariés chez leurs clients (services après-vente, représentants de commerce, messagerie, aides à domicile, services à la personne…). Ces outils sont dédiés aux itinérants car ils comportent des modules de géolocalisation et d'optimisation de tournées. Pour ceux que cela intéresse, une description complète de ces outils est disponible sur http://www.systella.fr et http://www.circonflex-gestion.fr.

À ce titre, j'ai eu l'occasion de démarcher un certain nombre d'entreprises dont des entreprises de messagerie. J'ai eu l'occasion fin 2004, début 2005 d'utiliser mon permis poids lourd pour faire moi-même des tournées et critiquer la gestion des entreprises de messagerie. Cela n'a duré que huit jours, mais cela m'a permis de voir où étaient les problèmes et ce qu'il fallait que nos logiciels contiennent pour qu'ils soient réellement utiles.

Ainsi, de 2005 à 2007, nous avons travaillé dur pour modifier les logiciels en question et les adapter au secteur du transport routier. Nous avons mené des campagnes de tests avec différentes entreprises et nous avons essayé d'obtenir des résultats avec des logiciels concurrents. Vous allez me demander pourquoi nous avons essayé d'obtenir des résultats de concurrents. C'est assez simple : le problème à résoudre est un problème d'optimisation combinatoire sous contraintes fortes (positionnements géographiques, heures de passage, ordre de passage) et pour n points de passage, il faut calculer 2n! trajets et estimer leurs temps de parcours. En admettant qu'il ne faille que deux secondes pour estimer la durée d'un trajet élémentaire, que le problème à résoudre ne contienne que cent points de passage, il est mathématiquement impossible de trouver une solution en moins de vingt minutes sur un PC de bureau comme annoncé par nos concurrents. Je voulais donc voir comment ces outils se comportaient et quelle était la qualité de leurs résultats.

Je n'ai jamais réussi à voir ne serait-ce qu'une démonstration des outils de mes concurrents. Même lors de petits déjeuners de démonstration, rien n'était visible.

J'ai donc eu des contacts avec deux transporteurs dont Mory. J'ai constaté que ces outils ne calculaient jamais la durée des trajets. En région parisienne, les durées estimées l'étaient à vol d'oiseau pondérées par une vitesse estimée moyenne. Mais même comme cela, il faudrait plusieurs années — que dis-je, cela se chiffre en milliards d'années, faites le calcul si vous ne me croyez pas — pour obtenir une solution exacte. Par ailleurs, tous ces outils, sans exception, demandent des adresses exactes. Ils possèdent des champs pour entrer le numéro, la voie, le code postal et la commune. C'est très bien, mais il faut savoir que les personnes qui entrent les données ne sont généralement pas des foudres de guerre, que certaines adresses sont écrites à l'ancienne avec le bureau distributeur et que d'autres sont écrites avec le numéro INSEE de la commune plutôt que le code postal. En d'autres termes, il faut commencer par ne proposer qu'un seul champ pour l'adresse et rectifier cette adresse avec des méthodes scabreuses (double métaphone, distance de Levenshtein, algorithme de Jaro-Winkler, le tout programmé avec un langage de programmation fait maison…). Une fois que cette orthogonalisation est faite, il s'agit d'envoyer tous les points avec leurs contraintes dans un algorithme d'optimisation spatio-temporelle sous contraintes fortes. Mon entreprise a été auditée tous les ans entre 2006 et 2011 sur ce sujet précis pour le crédit d'impôt recherche. En 2006, mon dossier a failli passer à la trappe parce que l'auditeur du ministère de la recherche, spécialisé dans les mécanismes d'optimisation nous a écrit que selon lui, le problème n'était pas soluble. Pourtant, nous y sommes arrivés. Nous y sommes arrivés en codant dans un langage spécial, sur des machines massivement parallèles (deux cent cinquante-six fils d'exécution sur des processeurs UltraSPARC), en séparant l'algorithme lui-même, la fonction de coût et les coupes dans l'arbre ultramétrique des solutions. Nos tests montraient qu'avec une journée de temps de calcul nous obtenions d'excellents résultats, largement supérieurs à tous les autres outils disponibles sur le marché. Cela nous a même valu deux prix d'innovation, dont l'un décerné par le ministère de la recherche, celui-là même qui nous prenait pour des utopistes pour ne pas dire des usurpateurs voire des charlots.

Pour fixer les idées, notre transporteur test utilisait à l'époque dix-sept porteurs (poids lourds de dix-neuf tonnes) et dix-neuf sous-traitants, certains avec plusieurs véhicules, le tout pour assurer un millier de points de passage par jour sur un département français. Chaque chauffeur effectuait en moyenne deux heures supplémentaires quotidiennes. Lorsque le chronotachygraphe indiquait que l'horaire maximal de conduite du poids lourd était dépassé, le chauffeur retournait au dépôt et terminait ses tournées avec un utilitaire de tourisme !

Après introduction des points dans nos algorithmes, nous avons démontré que dix-huit véhicules suffisaient à assurer le service et qu'il n'y avait plus aucune heure supplémentaire à payer aux chauffeurs.

Là, il y a eu comme un blocage. Pas de la direction qui voyait bien l'économie potentielle, mais des chauffeurs. Ceux-ci voyaient d'un très mauvais œil le fait de ne pas pouvoir manger à midi tous ensemble dans le même restaurant routier (quitte à faire plusieurs dizaines de kilomètres superflus), la limitation des heures supplémentaires et la géolocalisation des véhicules. Bref, chez notre transporteur test, ils ont tout fait pour faire capoter l'affaire, allant jusqu'à faire acheter par la direction technique, en remplacement de l'ancien système, des PDA qui ne pouvaient pas être utilisés sur le nôtre ! Le directeur général n'ayant aucune envie de se fâcher avec ses chauffeurs et ne perdant pas encore assez d'argent, celui-ci a laissé tombé l'affaire.

Vous allez me demander le rapport avec Mory. J'y viens.

Après mon échec commercial, mais ma réussite technique certaine, j'ai démarché d'autres transporteurs et je suis arrivé dans le bureau du directeur général de Mory fin 2007. J'y ai présenté mon produit, son fonctionnement et surtout, en quoi il se démarquait des solutions existantes sur le marché. J'ai même présenté les résultats obtenus chez son concurrent direct sans naturellement lui en donner le nom. Ce directeur général était accompagné de tous les décideurs du groupe présents à Paris ce jour-là.

La discussion a été surréaliste.

D'une part, il n'existe aucun bordereau d'inventaire effectué au départ des agences de chargement, l'inventaire n'étant effectué que lorsque les camions sont vidés tôt le matin dans les agences de destination. S'il y a optimisation des tournées, il faut que cette optimisation puisse être faite en quelques minutes entre l'inventaire du matin au déchargement et le chargement des camions de livraison. Par ailleurs, les tournées sont faites un peu n'importe comment, visuellement, et les camions ne sont pas chargés par les chauffeurs dans l'ordre inverse de déchargement. Il s'ensuit une perte de temps considérable lors de chaque point de déchargement en début de tournée.

Mais il y a plus grave. Ces entreprises cherchent à réduire de plus en plus leurs marges en comptant sur une augmentation des volumes pour ne pas couler. Lorsqu'on refuse le conflit avec les chauffeurs parce qu'on cherche à changer leurs habitudes, lorsqu'on refuse de modifier ses procédures (il aurait suffit de faire un inventaire le soir au départ de l'agence plutôt que le matin lors de l'arrivée à destination), c'est que l'on considère que l'on a encore assez d'argent à perdre.

À la sortie de cette présentation, je me souviens avoir déclaré au directeur général de Mory que lorsque son entreprise ne pourrait plus faire de croissance externe et que si rien n'était fait pour rationnaliser ses procédures, elle plongerait. Je n'aime pas jouer les Cassandre, pourtant, au moins sur ce coup-là, j'avais raison.

Et ce qui est lamentable dans cette histoire, ce sont les syndicats. De ce que j'ai vu dans plusieurs entreprises de transport et de messagerie, la responsabilité de la situation est partagée entre les syndicats et les directions souvent trop timorées, incapables d'assumer des décisions qui s'imposent.

Comme quelques milliers de chômeurs supplémentaires d'un seul coup, cela se voit bien plus que des dizaines de TPE qui ferment tous les mois, le gouvernement s'en émeut. N'a-t-on pas entendu Arnaud Montebourg dire à un journaliste du JDD :

La reprise économique n'a pas été suffisante, l'entreprise était en surcapacité et les dirigeants ont trop attendu pour réduire les coûts d'exploitation. Caravelle, le fonds de retournement qui a repris l'affaire il y a deux ans, n'avait pas connu d'échec auparavant. Mais ce dossier était trop difficile. Un rapport établi à la demande des salariés dresse le même diagnostic. Il faudra attendre l'analyse de l'administrateur judiciaire pour construire les solutions.

Réduire les coûts d'exploitation… Que ne faut-il pas lire ! Le problème n'est pas dans les coûts d'exploitation mais dans la gestion et les procédures. Le métier de transporteur est un métier technique. En dehors des chauffeurs, il faut une maîtrise parfaite des tournées et de leurs horaires et il est illusoire de le faire à la main. Sans cela, il n'y a aucune solution possible puisque l'entreprise ne pourra jamais estimer ses coûts.

Cette explosion en vol était prévisible. Cela se voyait comme le nez au milieu de la figure depuis plusieurs années. Mais rien n'a été fait pour l'éviter. Plus exactement, la seule manière pour essayer de l'éviter était une continuelle fuite en avant avec une croissance externe démentielle. Lorsqu'il n'y aurait plus rien à phagocyter, il était patent que cela irait très mal.

 

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