Aujourd'hui, j'étais convoqué à 14h00 devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Mulhouse à la suite d'un renvoi demandé par Astrid de l'URSSAF d'Alsace le 2 décembre dernier. Pour ceux qui auraient besoin de prendre connaissance de l'audience en question, c'est par ici.
Je me suis donc présenté à l'heure. J'ai pu faire la connaissance de quelqu'un d'angoissé et il y avait de quoi, l'URSSAF lui demandait la bagatelle de quatre cents mille euros à titre personnel — dans un premier temps elle lui en demandait trois millions — après la faillite de son entreprise. Je l'ai renvoyé vers l'association ADC, seule capable de débrouiller au mieux une telle situation. J'avoue avoir vu les quelques pièces du dossier, c'était assez effarant, l'URSSAF d'Alsace se permettant même d'appeler 385 € de cotisation au titre d'un trimestre où l'entreprise était déjà fermée. Les papiers étaient signés Astrid, le contraire eut été étonnant. Nous voyons donc qu'Astrid ne fait pas de mon cas une affaire personnelle.
Je me suis donc présenté à l'heure et j'ai vu arriver la délégation de l'URSSAF. Elles étaient trois cette fois-ci et, si la dernière fois Astrid était tirée à quatre épingles, elle était plutôt aujourd'hui vêtue comme un sac. Sans doute n'avait-elle pas reçu son intéressement. Je plaide coupable. Dans la salle d'audience, seules trois personnes étaient des civils, les autres étant soit des gens de l'URSSAF, soit des représentants des quelques caisses traînées en ce lieu par des heureux cotisants excédés, soit des avocats qui avaient l'air de s'ennuyer ferme. Il faut dire qu'ils connaissent la chanson. Mais au moins, eux, sont-ils payés pour s'ennuyer.
Les affaires sont appelées les unes après les autres. Je note qu'il n'y a quasiment que des affaires contre l'URSSAF d'Alsace. Tiens, une affaire contre la CIPAV en plein milieu, sans doute une erreur. Une autre affaire dans laquelle l'URSSAF est défenderesse et représentée par Astrid qui s'avance à la barre pour simplement déclarer qu'elle est parfaitement d'accord avec les conclusions du demandeur mais qu'elle s'oppose à l'article 700. Tiens donc, si je reformule, tu as tellement emmerdé un pauvre type qu'il n'a eu d'autre solution que de te traîner au tribunal en septembre 2013. Depuis cette date, tu demandes et obtiens renvoi sur renvoi et maintenant que tu avoues que ton dossier ne tient pas la route, le demandeur ne pourrait obtenir aucune réparation pour ses frais et le temps perdu ? J'espère que madame le président t'auras remis à ta juste place !
Et arrive enfin mon tour. Je n'étais pas fier car ma position n'était pas enviable. Les conclusions de l'URSSAF sont un ramassis de bêtises et de mauvaise foi et Astrid joue la procédure. Elle informe le président que l'affaire peut être plaidée parce qu'elle m'a communiqué ses conclusions le 2 février. Effectivement, cela a été porté au dossier que le président a en sa possession. Je rectifie immédiatement en faisant remarquer au président que le 2 février est la date d'envoi des conclusions par l'URSSAF qui, dans sa grande bonté, les a envoyé au tarif lent à une adresse à l'autre bout de la France et non à mon siège social. Pour preuve, je brandis l'enveloppe avec le courrier d'accompagnement, le cachet de la poste faisant foi pour parler en patois pététique. Ce n'est en effet que par le plus grand des hasards que j'ai pu les récupérer le jour de leur distribution, à savoir vendredi dernier. Et je dois dire que ces conclusions sont un tissu de bêtises prouvant s'il en était besoin qu'on n'a encore jamais vu le papier refuser l'encre. Le 2 décembre, Astrid me parlait d'une contrainte de 2500 €, aujourd'hui, elle me rappelle la même contrainte qui est de… 3600 €. J'y apprends aussi que l'URSSAF n'est pas tenue de justifier de son existence légale à des tiers et je passe d'autres billevesées. Je signifie donc mon mécontentement à Astrid et l'obligation qu'a l'URSSAF, même si cela ne lui plaît guère, de respecter le principe du contradictoire sans me prendre pour un imbécile en envoyant des conclusions aberrantes en dernière minute. Je fais bien comprendre à Astrid que si elle s'opposait au renvoi et que l'affaire était plaidée aujourd'hui, je serais au regret de devoir récuser ce tribunal et, pensé-je très fort, lancer une procédure disciplinaire contre toi, ma grande. Cela te ferait le plus grand bien.
Total : une journée de travail perdue, six heures de train, un mal de crâne et une ou deux minutes de discussion sportive avec quelqu'un dont l'intelligence me ferait douter du darwinisme le plus élémentaire. Encore une bonne journée grâce à mes amis de l'URSSAF. Et une affaire renvoyée au 14 avril 2015, même heure, même lieu.
Mais je reviens à mon compagnon d'infortune. J'arrive maintenant à comprendre comment on peut avoir le même jour et en même temps à la fois l'envie de commettre un meurtre et celle de se suicider. J'espère qu'il ne fera ni l'un ni l'autre, parce que dans sa grande bonté, la justice aveugle lui a jusqu'à refusé la faillite personnelle.
Toujours par l'ami Jacques Clouteau, à la suite de son billet « pourquoi je n'embaucherai pas Marcel », un message qu'il a reçu, plein d'humour, sans doute la politesse du désespoir. Pesronnellement, cela m'a fait rire jaune car en 2003, j'ai écopé d'une amende parce que j'ai fait repeindre les toilettes de mon entreprise.
Oui cela n'a pas l'air vrai comme cela, mais je vais vous expliquer. J'avais demandé au peintre de démonter les petits logos homme et femme des portes pour repeindre ces portes au lieu de peindre autour de ces affiches. Je n'aurais jamais dû parce que j'ai eu la visite ce jour-là d'un inspecteur qui a verbalisé pour absence de ces petits panneaux indicateurs. Je comprends que certains les reçoivent au calibre douze. Passons et revenons à notre Marcel et à la réaction qu'il a provoqué :
Concernant votre établissement et suite à l'ordonnance du 26 juin 2014, je vous rappelle les nouvelles dispositions quant à la liste des affichages qui sont obligatoires pour toutes les entreprises à partir d'un salarié :
- égalité de rémunération entre les hommes et les femmes (ndlr. pour un seul salarié, cela risque d'être fort difficile à mettre en place) ;
- inspection du travail ;
- médecine du travail ;
- accords et convention collective applicable ;
- consignes de sécurité ;
- lutte contre le tabagisme ;
- règlement intérieur ;
- ordre des départs en congé ;
- horaires collectifs de travail ;
- repos hebdomadaire ;
- modalités d'accès au document unique d'évaluations des risques professionnels (ndlr. un joli nom) ;
- obligation de diffusion concernant la législation du droit du travail pour :
- prévention harcèlement moral et sexuel (ndlr. là encore avec un seul salarié, on frise l'onanisme…);
- lutte contre les discriminations.
Et pourquoi pas une boussole et un nuancier pour la couleur des tapis de prière, une analyse de l'eau faite par un organisme certifié pour les bénitiers obligatoires et la courbure des coutures de la kippa pour prévenir les lésions cérébrales…
Ah j'oubliais : une affichette indiquant le sens d'ouverture de la poignée de la porte, et oui, une foulure du poignet est si vite arrivée…
Quand je reçois des raflures de papier comme ça, j'ai une irrésistible envie de saisir par le col un des brillants esprits qui ont pondu ce texte pour cogner sur un autre.
Mais je n'en ai pas le temps, car voyez-vous, je travaille !
Rien à ajouter.
Vous le savez ou vous ne le savez peut-être pas, mais parmi ma clientèle se trouvent des dentistes. Et parmi ces clients se trouvent mon arracheur de dent attitré. Plus exactement il est devenu mon dentiste après avoir été mon client. Que voulez-vous, je suis douillet de la bouche depuis qu'un plombier m'a attaqué une molaire sans anesthésie à la Dremel et avoir une clientèle de dentistes, intervenir chez eux lorsqu'ils sont en pleine opération avec patient sur rocking chair permet de se faire une idée de leur délicatesse. Je suis allé chez le premier qui n'a jamais fait hurler un patient en ma présence. Et j'ai bien fait. Je vous donne son adresse contre deux carnets de timbres, les rouges, les vrais. C'est une valeur sûre et ils ne font qu'augmenter.
Que disais-je avant d'avoir été grossièrement interrompu par moi-même ? Ah oui, je parlais de mon dentiste.
Depuis le temps que nous nous connaissons, nous nous faisons des petites confidences sur l'état du monde en général et de la sécurité sociale en particulier. J'ai ainsi appris une chose inouïe qui m'avait jusque là échappé, une autre magnificence ou malfaisance de la sécurité sociale. Figuez-vous que depuis un an, les dentistes doivent sur leur devis faire apparaître leur déclaration 2035. La déclaration 2035 est une déclaration fiscale sur laquelle apparaît le chiffre d'affaire et les différentes charges (sociales, salaires, matériel, loyer et j'en passe). Il est sûr que le fait d'avoir la 2035 de son dentiste sur son devis permettra à un patient de s'assurer qu'il sera bien soigné !
Je vais vous dire ce que je vais faire à partir de demain matin. Je vais demander à tous les travailleurs non salariés qui interviennent pour mon compte à me fournir la même chose. Je vais commencer par mon boucher, ma boulangère et mon maçon, histoire de pourvoir faire mon choix en toute indépendance.
Pour MST, il est donc plus important pour un patient de savoir combien gagne son dentiste que de savoir combien lui coûtera ses soins et s'il sera bien soigné. C'est une belle avancée et un excellent progrès social à mettre sur le compte des hordes de roses laxistes et pathogènes actuellement aux responsabilités.
Vous ai-je déjà dit que nous avons le gouvernement que nous méritons ?
Le 2 février 2015 n'est pas seulement le 70e anniversaire de la libération de Colmar par de Lattre de Tassigny, c'est aussi le jour funeste choisi par le gouvernement pour taper une fois de plus sur les indépendants et continuer son clientélisme. Qu'attendre d'autre d'ailleurs d'un gouvernement socialiste à d'idéologie crasse qui n'a toujours pas compris qu'il était urgent de donner un peu d'air à ceux qui créent effectivement de l'activité économique ? Qu'attendre de mieux d'un gouvernement qui considère toujours la lutte des classes comme une vérité absolue, utilisant un paradigme vieux de deux siècles dans une société qui a radicalement changé ?
En effet, un décret a été publié en catimini le 2 février courant. Il touche directement les travailleurs non salariés les plus démunis. Il faut savoir que les cotisations versées par un travailleur non salarié qui cotise à un autre régime par ailleurs n'ouvraient déjà aucun droit si les montants versés étaient inférieurs à une certaine somme. Mais depuis le 2 février, c'est mieux, le cas est étendu en partie aux travailleurs non salariés qui ne cotisent pas à un autre régime. En effet, les indemnités journalières leur sont supprimées sur la base d'un bénéfice trop faible. Il annule également le minimum de 20,54 € par jour en cas de maladie. De la même façon, il baisse le montant des prestations en cas de maternité si le revenu du travailleur non salarié n'est pas à la hauteur. Et il ne le baisse pas qu'un peu, il le réduit de 90% !
Vous allez me dire que c'est pour faire des économies. Même pas puisque le 1er février 2015, un autre décret élargit le droit aux indemnités journalières pour les travailleurs salariés précaires, faisant descendre le plafond des deux cents heures travaillées au cours des trois derniers mois à cent cinquante heures. Pour certains, c'est donc open bar à la sécu, pour d'autres, on leur refuse l'entrée.
Ainsi, pour notre gouvernement, il convient encore de protéger les salariés précaires quitte à mettre les travailleurs non salariés précaires eux aussi et certainement plus encore dans une misère encore plus grande. Il est vrai que le salarié précaire vote plus souvent à gauche que le travailleur non salarié.
Personnellement, j'en ai assez de ces gouvernements qui sortent des décrets dans notre dos, que l'on découvre au hasard d'une lecture ici et là. Je veux pouvoir vivre normalement sans me soucier des décisions politiques idiotes qui ne sont pas appliquées d'ailleurs dans le domaine public, faute de moyens. Parce des moyens, moi, je dois certainement en avoir plus. Plus pour organiser l'accessibilité de mes locaux, plus pour organiser des postes de travail pour travailleurs handicapés, plus pour payer toujours pour les autres sans jamais n'avoir aucun retour sauf du mépris envers le nanti que je serais… et qui une fois payés tous ses impôts, taxes, contributions et charges diverses qui augmentent sans cesse donnait 90% de son chiffre d'affaire directement ou indirectement à l'état sur son bilan 2013. Je devais pourtant être content, ne pas me plaindre, il me restait mensuellement un peu moins d'un SMIC pour vivre, j'étais donc encore positif.
Je ne passerai pas le restant de ma vie à me battre contre les décisions de nos chers hommes politiques. Aujourd'hui, je suis contraint à cette bataille. Je me bats pour moi, mais aussi finalement comme tous les autres libérés de la sécu pour l'avenir de ce pays. Mais on ne pourra rien faire sans l'ensemble de la population qui bénéficie de plus en plus des largesses de cette sécurité sociale et qui n'a aucun intérêt au changement sauf si le système explose rapidement. Je continue donc à me battre, mais à la première occasion qui me sera donnée, je quitterai ce beau pays. Que les bénéficiaires des largesses de l'état se cotisent sans moi pour les financer.
Une fois n'est pas coutume, le texte qui suit n'est pas de moi mais de l'ami Jacques Clouteau qui nous a déjà fait l'honneur de passer par ici. Ce texte, à l'instar de milliers d'autres français, j'aurais pu l'écrire. Certes aves mes mots qui ne sont pas ceux de Jacques, mais avec la même férocité, la même hargne contre notre état obèse qui nous fait passer, nous qui prenons des risques pour les autres, pour des nantis, des égoïstes en oubliant que, de l'extérieur, ce même état nous fait passer pour le dernier pays communiste européen.
Voilà pourquoi je n'embaucherai pas Marcel
Mon nom est Alcide Repart, j'ai cinquante-trois printemps au compteur de ma vie. Après de nombreuses années passées en Australie, je suis revenu voici quelques mois afin de reprendre la petite entreprise de mon père, qui était fabricant de brouettes. Chacun se souvient de ce célèbre slogan des années 1960 : « Quand toutes les autres s'arrêtent, seule la brouette Repart… ».
En fin d'année 2014, j'ai mis au point une nouvelle brouette, plus légère et plus stable, avec laquelle je pense augmenter mon revenu, qui sinon demeurera bien modeste. Si les ventes suivent, je ne pourrai pas assumer seul la fabrication et il me faudra embaucher un compagnon dans l'atelier. J'avais pensé demander à Marcel, qui est un brave gars du village et qui recherche justement du travail. Mais ne connaissant rien aux lois françaises, car je suis resté longtemps loin du pays, j'ai parlé avec des amis artisans, je suis allé à la chambre des métiers, j'ai consulté internet, et je vais vous expliquer pourquoi je n'embaucherai pas Marcel.Je pensais donner à Marcel 100 euros par jour, s'il me fabrique quatre brouettes. Enfin moi je peux en construire quatre, parce que je ne compte pas mes heures. Mais j'ai appris qu'une loi interdisait de faire travailler un employé plus de sept heures. Alors je ne comprends pas pourquoi Marcel, travaillant moins que moi, et fabricant donc moins, gagnerait plus que moi sans avoir aucune responsabilité. Voilà pourquoi je n'embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas philanthrope.
Ces 100 euros journaliers, je comptais lui donner chaque vendredi soir, à l'issue de la semaine de travail, comme le faisait mon père autrefois, soit 500 euros tout rond s'il a travaillé du lundi au vendredi, et 400 euros si la semaine compte un jour férié. Mais j'ai appris que désormais, on devait payer les salariés chaque mois, ce qui est totalement niais vu que, chacun le sait bien, les mois n'ont pas le même nombre de jours et sont semés de jours fériés… Ce n'est peut-être pas la faute de Marcel, mais en tout cas pas de la mienne. Je ne vois pas pourquoi je lui donnerais la même somme en février qu'en janvier, car mon père m'a toujours appris qu'à tout salaire doit d'abord correspondre un travail. Voilà pourquoi je n'embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas une banque chargée de compenser les bosses du calendrier.
Je croyais aussi qu'il suffisait de lui donner cet argent, et de le déclarer aux Impôts, pour être en règle avec la loi. Mais j'ai appris qu'il fallait écrire un bulletin, avec une bonne vingtaine de lignes, et prendre à Marcel, sur l'argent que je lui dois, un certain pourcentage, pour aller le donner à une palanquée d'organismes divers aux noms exotiques : Urssaf, pôle emploi, etc. Sur les 500 euros hebdomadaires que je comptais donner à Marcel, une fois servis ces organismes, il lui en restera moins de la moitié. J'ai objecté qu'alors, il ne pourrait pas vivre. On m'a répondu que certes il ne vivrait pas bien du tout, mais que par contre il était assuré contre tous les accidents de la vie : la maladie, la vieillesse, les coupures de doigts, la maternité (pour ceux qui n'ont pas suivi, Marcel est un mâle...), le chômage, la petite et la grande vérole (la petite c'est en standard, mais la grande c'est avec supplément), la grippe espagnole, et même le décès… Alors j'ai dit que tout ça était idiot, puisque Marcel pouvait très bien s'assurer lui-même pour ce qu'il voulait et que sa vie privée ne me regardait pas. En outre son grand-père possède un joli vignoble, donc il ne sera jamais dans le besoin en cas de chômage car il héritera bientôt de cette vigne. En outre sa grand-mère va lui léguer deux ou trois maisons qu'il pourra louer, donc cotiser pour la retraite ne servira à rien. En outre cotiser pour le décès ne veut rien dire non plus puisqu'il est célibataire et que s'il meurt il ne pourra toucher cet argent. Et enfin j'ai argué que je ne comprenais rigoureusement rien à leurs paperasses et que j'avais autre chose à faire le soir, après avoir assemblé mes quatre brouettes, que de remplir des papiers et faire des chèques pour des risques qui ne me concernaient pas. On m'a méchamment répondu que c'était comme ça la solidarité en France depuis la guerre et que c'était pas autrement, et que si je ne payais pas tout ça on me traînerait devant une cour de justice et on me prendrait cet argent de force. Voilà pourquoi je n'embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas scribouillard et redistributeur d'argent. Et que la nuit, j'ai besoin de me reposer. Et que, pour avoir donné un travail à quelqu'un de mon village, je ne veux pas courir le risque de finir devant un tribunal.
J'ai toutefois demandé ce qui se passerait, si j'étais assez fou pour m'occuper de ces problèmes, au cas où Marcel se trouverait immobilisé par une brutale lombralgie après avoir riveté toute la journée. Avec un tel montant de cotisations, je ne doutais pas que Marcel fut choyé comme un prince, et que ladite assurance me fournirait prompto un Marcel bis pour continuer le travail. On m'expliqua alors que Marcel percevrait 80% de son salaire, puisque ce n'était pas de sa faute s'il était sans revenu, mais que moi, par contre, je devrais fournir les 20% restant, soit quasiment 300 euros par mois, jusqu'à ce que le Rhône se jette dans l'Euphrate, au nom d'une mystérieuse convention signée autrefois par une secte très occulte qu'on appelle partenaires sociaux. J'objectai que si Marcel avait une lombralgie, ce n'était pas ma faute non plus et que son assurance n'avait qu'à s'en occuper (c'est d'ailleurs à ça que ça sert, une assurance…). Et que si moi, je devais construire encore plus de brouettes pour payer ces 300 euros, c'est moi qui aurais la colonne vertébrale en quenouille. On me rétorqua alors que je n'aurais droit à rien du tout, vu que la colonne vertébrale d'un patron, c'était son problème à lui et pas celui de la solidarité nationale. Voilà pourquoi je n'embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas assureur ni réassureur. Et que si je travaille, comme la majorité des gens, c'est pour moi, et pas pour les autres.
Je me suis aussi inquiété de ce que je ferais de Marcel si mes brouettes ne se vendent plus un jour et si je dois me séparer de lui. On m'a alors imprimé un document décrivant par le menu la procédure de licenciement. Je l'ai lue trois fois, avant d'abandonner. J'ai seulement compris que Marcel serait payé à ne rien faire un certain nombre de mois, et que l'argent pour le payer à ne rien faire sortirait de ma poche, alors même que je n'aurais plus de rentrées. Et pour pimenter la sauce, il faudrait que je lui verse une indemnité de licenciement, au moment où l'entreprise n'aurait plus d'argent, et moi les poches vides et plus de boulot… J'ai objecté que si les clients ne veulent plus de mes brouettes, ce n'est bigrement pas ma faute, et que s'ils ne les achètent plus, je n'ai donc plus de trésorerie, donc je ne vois pas, sauf à puiser dans mes économies, comment je pourrais rémunérer Marcel, qui ne fabrique plus, avec de l'argent que je n'ai pas. On m'a rétorqué que un contrat c'est un contrat, et que je dois le respecter et qu'un patron se doit de fournir à ses salariés un minimum de sécurité. A quoi j'ai répondu ne pas comprendre comment je pourrais fournir à Marcel une sécurité que moi je n'aurai jamais… Je leur susurrai aussi que si je voulais embaucher Marcel, c'était pour lui donner un travail, pas pour lui assurer un salaire… Voilà pourquoi je n'embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas nounou sociale.
Un monsieur, se prétendant contrôleur du travail, avec des mains bien trop blanches pour savoir vraiment ce qu'était le travail, est venu visiter l'atelier de mon père. Il a poussé des cris de chouca en rut devant l'emboutisseuse, hurlant qu'elle n'était pas aux normes, et que si je mettais un employé devant cette machine, j'irais droit en prison. J'ai répondu que mon père avait travaillé 40 ans sur cette machine vénérable, et qu'il était seulement mort d'être trop vieux. Que de toute façon je n'avais pas le premier sou pour acquérir une nouvelle emboutisseuse, et qu'il y avait mille autres possibilités pour se blesser dans un atelier que d'aller mettre la main sous cette satanée machine. Voilà pourquoi je n'embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas ange gardien.
Puis un jour, quelques mois après mon retour en France, un gentil courrier m'a annoncé que j'allais devoir, moi aussi, donner plus de la moitié de mon bénéfice, après avoir rémunéré Marcel, afin de bénéficier d'une protection sociale contre une montagne de calamités (curieux le lapsus légal qui vous fait bénéficier de choses diverses avec votre propre bénéfice…). J'ai décliné l'invitation, puisque j'avais, durant ma vie dans le Pacifique, économisé suffisamment pour être à l'abri. On m'a répondu que la protection, dans le doux pays de France, n'était pas une option personnelle, mais obligatoire, sous peine des pires sanctions financières et même de la prison. Voilà pourquoi je ne vais sans doute pas continuer l'entreprise, et donc pourquoi je n'embaucherai pas Marcel, parce que, voyez-vous, je suis constructeur de brouettes, pas un coffre-fort où vont puiser des gens que je ne connais pas pour me garantir des choses dont je n'ai nul besoin.
À cet instant de mes réflexions sur l'avenir de cette petite entreprise familiale, j'ai regardé l'allure des bâtiments où créchaient ces gens qui voulaient ma peau, je les ai trouvés tristes et laids. J'ai regardé la tête des employés de ces machines bureaucratiques auxquelles je m'adressais, je les ai trouvés déprimés et déprimants, j'ai regardé les imprimés que j'avais reçus, je les ai trouvés illisibles et incompréhensibles. Et j'ai pensé à mon grand-père et à mon père, fiers de leurs brouettes et heureux de satisfaire leurs clients. J'ai pensé au rêve que j'avais, en revenant en France, de retrouver ce bonheur simple durant une dizaine d'années, avant de goûter aux joies de la pêche à la ligne. Je me suis demandé pour quelles obscures raisons j'irais me crever le derrière pour faire vivre cette armée de parasites et entretenir un système qui est à l'absolu opposé de mes valeurs les plus sacrées. Parce que, voyez-vous, le travail a toujours été pour moi synonyme de bonheur. Et ce bonheur-là, tous ces organismes en ont fait un bagne…
Le problème dans tout ça, c'est que nous sommes cinq millions de petits artisans dans ce pays qui n'embaucherons pas Marcel… C'est ballot, n'est-ce pas ? Mais après tout est-ce vraiment un problème ? Ne pas embaucher Marcel, ça fera plein de boulot pour les assistantes sociales, les pôlemployistes, les distributeurs de revenus minima, et bien sûr les fabricants de brouettes chinoises… Et la France, vue d'Australie, passera encore un peu plus pour le dernier pays communiste d'Europe de l'ouest.
Quant à Marcel, il se demandera longtemps pourquoi je ne l'ai pas embauché. Il se trouvera bien quelques bonnes âmes pour lui susurrer que les patrons sont tous les mêmes, ils préfèrent se dorer la pilule dans le Pacifique que de jouer en France un rôle social de solidarité. Je n'ai jamais voulu jouer de rôle social, moi, parce que, voyez-vous, je suis un simple constructeur de brouettes… Et les autres, là-haut, les hauts fonctionnaires qui savent tout sur tout alors qu'ils n'ont jamais travaillé de toute leur vie (dans le sens où mon père entendait le mot « travail »), ils se demanderont longtemps pourquoi je suis reparti. Pas le temps de leur expliquer… Si à Bac+20 ils n'ont toujours pas compris, il est définitivement trop tard…
Dans quelques jours, je vais cesser de riveter des brouettes et je vais repartir dans le bush australien. Je vais fermer la porte du vieil atelier, qui a fait vivre ma famille pendant deux générations, et jeter la clé dans la rivière. J'aime toujours ce pays où je suis né, mais je n'ai pas le courage d'apprendre à devenir aussi abruti que ceux qui le dirigent aujourd'hui.
Je pense maintenant que vous comprendrez mieux la réaction de Maurice Taylor, PDG de Titan, lors des discussions concernant la reprise de l'usine Goodyear d'Amiens-Nord. C'était brutal, sans gant, et avait le bon goût de remettre notre pays à sa place.
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