Savoir qui détient notre dette permettrait de mesurer les conséquences d'un défaut de paiement, partiel ou total. L'hypothèse n'est pas absurde tant les finances françaises sont dans un état déplorable.
Assez étrangement, les banques européennes ont obtenu un prêt de plus de 450 milliards d'euros à 1% de la banque centrale européenne pour acheter fin 2011 de la dette européenne. Rassurez-vous, les banques françaises n'ont pas été en reste.
Pour se financer, l'état français vend ses bijoux de famille — entreprises, bâtiments, matériels de l'armée récemment, aéroports et j'en passe — et, de temps en temps lorsque le temps le permet, il émet des titres financiers, généralement sous la forme d'obligations. Une obligation, c'est un titre qui porte lors de son émission une échéance et un taux d'intérêt. Contrairement à une action, une obligation est prévisible sauf défaut de l'émetteur. Ces titres sont mis sur le marché par adjudication de l'Agence France Trésor à vingt banques aggrées, les « spécialistes en valeur du Trésor » (« SVT », de BNP Paribas à Goldman Sachs, en passant par Natixis, la Deutsche Bank ou la Société générale) chargés de les écouler. Ces banques savent donc à qui elles vendent — éventuellement — ces titres. Mais une fois ces titres vendus, ils circulent librement, quasiment au porteur. Leur détenteur final perçoit quant à lui ses intérêts tous les ans, intérêts qui ont été de 45,2 milliards d'euros pour l'année 2010.
En théorie, donc, comme les détenteurs de cette dette perçoivent des intérêts, on devrait les connaître.
Pourtant, sur le site de l'Agence France Trésor, rares sont les informations disponibles. Tout au plus apprend-on que 66% des détenteurs de la dette française sont des non-résidents français. En fouillant un peu, on trouve qu'à la louche, un tiers de la dette est déténue par des investisseurs français, qu'un autre tiers est détenu au sein de la zone euro et que le restant est détenu hors zone euro. Mais cela se corse lorsque l'on sait qu'un non-résident peut être un faux nez puisque sont comptabilisés dans les non-résidents des français de France qui détiennent ces titres au travers d'un portefeuille d'obligations géré à l'étranger, dans un paradis fiscal ou non. Pire, un investisseur qatari qui a investi dans la dette française au travers d'un fonds d'investissement à Luxembourg est considéré comme un investisseur en zone euro !
En creusant un peu le sujet, on apprend que les trois plus gros détenteurs de la dette française sont le Luxembourg, les Îles Caïmans et le Royaume-Uni. Pour information, la population des Îles Caïmans est de 44000 habitants et je doute qu'ils puissent à eux seuls financer leur quote-part même avec la meilleure volonté du monde.
Arrive donc la question qui fâche. Qui détient la dette française et est-ce un secret d'état ? Les enquêtes réalisées par l’Agence France Trésor auprès de ses vingt banques partenaires permettent d’en savoir un peu plus sur les gros acheteurs : principalement des banques centrales, des fonds souverains, des assureurs, des banques commerciales et des fonds de pension. Ce que confirme la base de données financières eMAXX, mise en place par Thomson et l’agence de presse Reuters, qui publient régulièrement la liste « des cinquante plus gros détenteurs de dette souveraine française » (hors banques centrales). Nous y retrouvons des assureurs (Axa, Allianz…), des mutuelles (MMA, MAAF, Groupama…), des banques (BNP-Paribas, La Banque postale, ING…) et une multitude de fonds d’investissement, principalement européens. Impossible d'en savoir plus alors que cette information est pourtant cruciale pour notre avenir.
Or cette absence de transparence est voulue. Elle est même inscrite dans la loi actuellement en vigueur — notamment l’article L. 228-2 du code de commerce, décret d’application n° 2002-803 du 3 mai 2002 publié au Journal officiel du 5 mai 2002, et l’article L. 212-4 du code monétaire et financier relatif à la nominativité obligatoire — et qui n’autorisent les conservateurs d’instruments financiers à communiquer aux émetteurs la liste de leurs détenteurs finaux qu’aux seuls émetteurs d’actions, de bons de souscription d’actions ou d’instruments de taux donnant immédiatement ou à terme accès au capital. Subtil.
Subséquemment, l'Agence France Trésor ne peut identifier précisément les détenteurs des obligations et bons du trésor. Fermez le ban, nous n'avons pas à savoir qui nous détient. Et ce, quelles qu'en soient les conséquences.
Face à cette opacité généralisée, des chercheurs suisses ont enquêté. Fins connaisseurs du gruyère, des banques et de l'opacité des transactions, il ne fallait pas moins que cela. Leurs conclusions sont édifiantes. Ils ont révélé que cent quarante-sept multinationales, tout en se contrôlant elles-mêmes, possèdent 40% de la valeur économique et financière des dizaines de milliers de multinationales du monde entier (source). Il serait étonnant qu'il n'en soit pas ainsi pour les dettes souveraines. Effectivement, selon les données présentées par la Banque des Règlements Internationaux (BRI), un organisme géré par cinquante-huit banques centrales nationales, les banques étrangères possédaient en juin 2011 13 % de la dette de l’État français. Soit 176 milliards d’euros, dont plus des deux tiers sont entre les mains de banques britanniques, japonaises, allemandes, états-uniennes et suisses. Mais il ne s’agit que d’un euro sur dix empruntés. Les autres, on ne sait trop. Sans doute se trouvent-ils répartis chez vous et moi, sournoisement.
Vous avez peut-être oublié le versement des intérêts aux porteurs des titres. Ou vous vous demandez encore comment l'état fait pour verser ses intérêts. Rassurez-vous, il y a pensé. La société Euroclear France, organisme boursier privé, est le dépositaire central des titres français. Elle fait l'intermédiaire entre la Banque de France et les détenteurs de titres du Trésor pour leur verser leurs intérêts ou leur pécule quand l’emprunt arrive à échéance. Euroclear sait ainsi parfaitement qui détient quoi et à quel moment. Mais la loi lui interdit de rendre ces données publiques.
Pourtant, ce sont bien les contribuables qui financent.
À terme, ce seront tous les citoyens qui vont payer. Directement ou indirectement.